1193-1205
enfance.
De sa famille, de son enfance, ne reste que des images décolorées, des souvenirs patinés par le temps. Elle croit se souvenir de l'étreinte de sa mère, de la chaleur de sa peau, du confort de ses bras. Du rire de son père, d'une odeur de tabac. Des souvenirs de papiers mâchés, inventés de toute pièce pour se rassurer, se construire un début d'identité. Mais tout a été dévoré par le feu, ravagé par l'incendie, et quand elle pense au passé, il n'y a qu'une acre odeur de fumée, de brûlé et la lumière dansante des flammes derrière ses paupières closes. Comme si le reste n'avait jamais existé, comme si elle n'était née qu'une fois extraite de l'incendie, arrachée à son foyer par les fiels. Née des flammes.
1205
orphelinat divine.
Metal chauffé à blanc, que l'on a tant frappé et plongé dans le feu, qu'elle s'est modelée selon les seuls souhaits de ses bourreaux. L'on a fait d'elle une lame aiguisée, acérée. Enfant silencieuse, mais attentive, elle s'est fondue dans les ombre, en est venue à craindre les flammes. Se conformer aux leçons, aux attentes, n'est qu'un moyen d'échapper aux démones affamées, aux punitions qui ont pris un goût de normalité, d'habitude banale dont l'adulte ne se fait plus se défaire, aujourd'hui.
1251
ailes carmines.
Assasine aux armes bien particulières, la sorcière trouve une place de choix parmi les ailes carmines. Si le premier instinct aurait été de refuser, la loyauté chevillée au cœur, les murmures du coven et d'Helna lui ont fait envisager la chose sous un autre angle. Aux yeux de la couronne, elle a renié toute affiliation fiel, déchue, mais elle n'est qu'un serpent venu se glisser au plus près du pouvoir pour mieux servir Fimjir et ses adeptes. Un double-jeu qui force une solitude qu'elle a toujours adulé, sans en connaître encore la réalité glaçante. Mais l'exil a un goût de renouveau, et elle nourrit sa science des nouvelles expériences, y voit comme une énième renaissance. De quoi servir son ascension vers le pouvoir.
1253
mariage.
Oloe a grand cœur, mais dans ses yeux brille une mélancolie dans laquelle elle se reconnait. Iels se sont trouvé·es, par un heureux hasard ou, peut-être, une manipulation habile du destin. Il n'a jamais été question d'amour, seulement d'un syndrome du sauveur du jeune homme dont elle s'accomode, satisfaite de s'habiller du titre des Varnalys pour passer inaperçue, être de celles dont l'on ne s'étonne pas de la présence, que l'on ne soupçonne pas. Aux yeux de la cour, elle se languit en l'absence de son mari, le regard perdu vers la haute mer, en quête d'un signe de son retour. La vérité, c'est que ses voyages sont bien commodes, que la solitude rend le mensonge aisé, fait d'elle l'exilée qu'il croit avoir épousé, sans se douter des occupations macabres de sa compagne. Parfois, il lui semble encore que, malgré les années, iels ne sont que des étranger·ères l'un pour l'autre. Mais le temps a œuvré pour faire d'elleux des allié·es de choix, dont l'on ne sait s'iels sont très mal assortis, ou si au contraire, iels se seraient trop bien trouvés, bercé·es par leurs propres illusions dont iels peignent le monde.
1263
perte.
Elle n'était pas destinée à être mère, ne s'était jamais dépeinte dans ce rôle, avait toujours évité d'endosser cette responsabilité. Pourtant, quand la vie a éclos dans son ventre, l'évidence est née, en a fait une nécessité, et la perte a été d'autant plus déchirante. Elle ne s'en est jamais relevée, encore recroquevillée autour d'un enfant qui n'a jamais vu le jour, comme pour le protéger alors qu'il est trop tard, qu'il a été trop tard à l'instant où Fimjir a posé ses yeux sur elle et lui a tendu la main, main qu'elle s'est empressée de saisir, avide de puissance, avide de connaissances.
Rien ne répare la perte d'un enfant, arraché à son ventre, à peine né qu'on l'a remis entre les mains de Fimjir. Malgré la nécessité de trouver un coupable, quelqu'un sur qui expier sa haine, elle n'a jamais su qui accuser de son soudain malheur ; l'absence d'Oloe, peut-être, ou le charme de son amant ? Mais ce serait se leurer, et elle s'est toujours targuée d'être trop intelligente pour se permettre de se mentir à elle-même. Alors son regard finit toujours par se tourner vers elle-même, vers sa magie sanglante, vers Fimjir, jusqu'à questionner sa propre foi, le sens de sa dévotion, de ses sacrifices. Depuis, le doute, serpent pernicieux, s'est infiltré dans sa cage thoracique pour enlacer et écraser son cœur.