exit light, enter night (elenwë)

exit light, enter night

 @Elenwë

Les coups dérouillent, les lames se croisent, se percutent. Les chairs s’ouvrent et laissent passer des giclées sanguines. Ils sont deux contre lui, deux sans qu’il sache la raison de leur attaque soudaine. Ils n’ont pas l’allure des bandits de chemin, de ceux qu’on trouve sur tous les croisements et dont on se débarrasse aisément. La colère flambe dans le fond de leurs yeux. Il est certain d’avoir été confondu avec quelqu’un d’autre. Orbsun se bat, plus lent que ses assaillants, mais plus précis, et les spectrales creusent des dommages, grignotent petit à petit. Les bestiaux chutent dans la terre à cause de leurs plaies invisibles, et lui tombe à genoux, haletant, blessé, mais sans danger pour sa vie. Il faut du temps pour qu’il revienne à lui. Son cheval le pousse doucement de sa tête, lui demande à partir, à fuir cette terre qui suinte le danger. Lève-toi, qu’il entend de la part de l’équidé. Lentement, le colosse se redresse, douloureux. Il fouille les carcasses, y déloge ce qu’ils ont. Aucune pitié. Ils n’emportent rien dans la mort, autant les délester du moindre poids. Le capitaine leur dérobe ce qu’ils ont, ce qu’ils semblent garder comme un précieux trésor – un carnet barbouillé d’un langage codé. Et sur sa gauche, dans l'horizon, juste avant de s’enfuir, il aperçoit une autre silhouette qui le regarde mais qui ne bouge pas.

Le cheval ne peut pas galoper, la foret condamne leurs pas, les oblige à la lenteur. L’animal porte l’homme fatigué qui met sa dernière énergie dans son maintient. Pekkala est partie loin, en survol, pour espérer y trouver un refuge contre la nuit naissante, bientôt envahissante. Le village est loin derrière lui, y faire un retour pour se reposer n’est pas envisageable. Il continue tout en sachant qu’il n’atteindra pas le rivage ce soir. Trop loin, trop fatigué. Son Ligné est revenu, il dialogue dans ses pensées, le maintient éveillé. Une petite cahute est nichée dans un arbre, non loin d’ici. Il faut continuer jusqu'à la destination évoquée, et ménager la monture sans faiblir. Continue, tu ne peux pas t’arrêter ici, avance. Il entend le grondement de Pekkala, il suit le plumage d’or et de sang. Molech n’a pas d’autre choix. Il doit se poser pour la nuit, pour récupérer un peu de force. L’abri évoqué par l’oiseau se trouve devant lui, l’entrée est creusée dans le tronc d’un arbre gigantesque. Sa tête se lève, essaye d’en discerner la cime qui s’élance dans les nuages. Il croit être seul en posant sa main sur le bois de la maisonnette. Il espère une nuit de tranquillité quand il ouvre la porte et se glisse dans les lieux noyés par la nuit. Tout laisse penser que les propriétaires n’existent plus depuis des décennies. Une erreur. Le destin ricane et se présente sous la forme d’une arme qu’il sent dans son dos. Son corps entier se tend à la surprise désagréable. « J’ai déjà cassé la gueule à deux gars, si tu veux être le troisième ok mais j’espérais plutôt une chope et du repos. » 

Elenwë ne s’était pas attardée près de la capitale. Avec la mort de l’archonte, le peuple était aux abois, et chacun avait peur de son voisin. Magrielle pleine de magie, l’elfe avait décidé de prendre la poudre d’escampette et de retourner chez elle. Elle devait retrouver les siens, vérifier que tout le monde allait bien et établir une stratégie. L’immortelle n’était pas une dirigeante, mais la gardienne. Et elle prenait son rôle très à cœur.

Elle avait galopé un moment avec sa jument, dans le calme, avant de repasser au pas. Il n’y avait plus de ville, plus de village, juste la nature et quelques oiseaux qui chantaient encore. Elle s’apaisait face au silence pourtant bruyant de la nature. Elle préférait les bruissements des feuilles dans les arbres, les animaux qui se baladaient tranquillement dans la forêt plutôt que la ville ou un village, bruyant et qui sentait souvent mauvais.

Elenwë se dirigeait tranquillement vers son village alors que le soleil commençait à décliner doucement. Elle n’y serait pas avant le lendemain, elle s’y était prise trop tard. En soupirant, elle arrêta sa jument et regarda autour d’elle. Là-bas, il y avait une forêt réputée hantée. Elle n’avait jamais cherché à en savoir plus ; il lui restait tant à découvrir dans ce monde.

La forêt n’apportait pas la même sensation que celle à laquelle elle était habituée. Même sa jument faisait attention, les oreilles se tournant dans tous les sens. Elenwë la rassura et elles continuèrent un moment. La nuit tombait, mais elle le voyait moins, au fin fond de ces bois. Par chance, elle trouva une petite maisonnette qui ne semblait pas habitée. L’elfe n’entendait aucun signe de vie. Elle descendit, laissa sa jument dans le hangar afin qu’elle ne se fasse pas attraper par un prédateur.

Le voyage avait été long et elle rêvait d’une nuit de sommeil dans un lit. La maison était belle et bien vide, l’elfe lâcha donc son arc, qu’elle mit à côté du lit qu’elle avait refait. Elle n’avait allumé que quelques bougies afin d’y voir un minimum. Elle avait déjà enlevé sa veste lorsqu’elle entendit des pas de chevaux. Et le bruit se dirigeait par ici. Rapidement, elle éteignit les bougies, prit son arc entre ses mains et y encocha une flèche. L’avait-on suivie ? Qui ? Tapie dans le noir, elle entendit des grognements, un pas hésitant et lourd. Un homme. Elenwë n’avait pas peur et le laissa entrer sans faire de bruit. Il du se sentir en sécurité quelques secondes avant qu’elle ne s’approche avec discrétion et pointe sa flèche contre son dos, prête à tirer. L’homme n’était visiblement pas d’humeur. Elle haussa un sourcil, un sourire presque amusé sur les lèvres.

« Et une femme ? Avez-vous déjà cassé la gueule à une femme ? »

Demanda-t-elle, presque trop sérieusement. Elle se demanda un moment ce qu’elle pourrait bien faire de lui. Le jeter hors de la maison ? Il semblait mal en point, sa flèche du toucher une blessure car elle le vit frissonner à ce contact. Elenwë était peut-être une mercenaire, mais elle avait des principes. Et battre un homme affaibli n’était pas quelque chose qu’elle faisait. En général. En soupirant, elle baissa son arc et s’éloigna, jugeant l’homme inoffensif pour le moment. Elle ralluma les bougies et en apporta une pour l’observer de plus près. Blessé, c’est bien ce qui lui semblait.

« Je rêvais aussi d’une bonne nuit de sommeil, mais je ne vais pas vous laisser comme ça. »

Dit-elle en le prenant par le bras pour l’asseoir d’autorité sur le lit. Il semblait un peu à côté de la plaque, mais elle ne s’en formalisa pas. Elle entreprit de lui enlever sa chemise tout en parlant.

« La guérison n’était pas ma matière préférée à l’académie, mais je connais les bases. »

Dit-elle en passant ses doigts sur le visage de l’homme et sur son torse. Il avait un certain charme, et elle aurait très bien pu passer sa nuit avec lui, mais panser ses blessures lui semblait plus urgent. On verrait pour la suite.

L’immortelle alla chercher de l’eau et les quelques herbes qu’elle avait dans sa sacoche. Avec un tissu propre, elle entreprit de nettoyer les blessures qu’elle voyait. Elle se concentra d’abord sur le visage, croisant un regard stupéfait et elle se mit à sourire.

« J’espère au moins que les deux autres sont morts. »

Dit-elle, amusée. Elle s’agenouilla alors pour nettoyer les plaies sur son torse avec application. Elenwë avait toujours été plus douée avec un arc qu’avec le pouvoir de guérison. Mais elle pouvait au moins empêcher les blessures de s’infecter, ce serait déjà gagné.

« Je crains de ne pouvoir vous offrir une chope, mais je peux vous offrir une nuit dans un lit. »

Elle ne précisa cependant pas si ce serait avec elle ou non. Elle verrait bien sa réaction. Après un regard soutenu, mais se remit au travail.

« Etes-vous blessé ailleurs ? »

Demanda-t-elle, n’allant pas jusqu’à lui enlever son pantalon. Elle avait déjà une belle vue sur son torse, lui ayant enlevé sa chemise sans lui demander son avis. Elenwë était comme ça, fonçait et ne réfléchissait qu’après.

exit light, enter night

 @Elenwë

« J’en ai déjà tué. Homme ou femme c’est le même résultat » La voix tamponne dans ses oreilles, révèle qu’il s’agit d’une femme et non d’un homme. Le danger n’en est pas moindre pour autant. Il n’est pas de ceux à sous-estimer les femmes. Il sait de quoi elles sont capables. Il a affronté, souvent perdu, il préfère ne pas jouer, fermer son clapet le temps de voir ce qu’elle va décider pour son sort. Molech évalue silencieusement ses possibilités, ses armes qu’il n’aurait pas le temps de décrocher. Aucune aide n’existe pour lui. Les animaux habitants dans la forêt sont trop éloignés pour les appeler. Pekkala s’est réfugiée en haut d’une cime. Le voilà condamné au bon vouloir de l’étrangère – propriétaire ?  Une grimace gribouille son visage fatigué. La pointe de l’arme titille une plaie dont il prend conscience à la douleur qui le foudroie. Du rouge habille sa chemise, s’est répandue comme une marée. Le suc poisseux est sur ses doigts. Le pirate n’a pas le temps d’émettre la moindre parole supplémentaire. Elle mène, l’entraîne vers un lit qui accueille sa silhouette affaiblie. Un grognement degueule de ses babines rougies à la paume qu’il sent glisser sur son visage. L’adrénaline a disparu, ne reste que la douleur comme vieille compagne. Molech n’est pas avare de contact, pas farouche mais l’endroit ne le rassure pas, pas plus que celle qui s’improvise guérisseuse. Il en connaît des histoires qui commencent par les mêmes péripéties — la bonté qui cache l’atrocité. Le monstre déguisé de ses plus belles fantaisies. « La dernière qui a essayé d'me réparer a tenté d'me bouffer après. Si c’est pour le même résultat, passez à l’étape deux » Le mot est amer. La douleur fait parler ses nerfs. Orbsun n’a pas la force de se battre une deuxième fois. C’est déjà un exploit qu’il ait réussi à dérouiller les deux bandits sans être trop salement blessé. 

Sa chemise est enlevée de sa chair. Le tissu se décolle douloureusement à cause de l’amas de sang et de transpiration, et révèle les anciennes plaies, des zébrures blanchies qui constellent le torse. Il a le poitrail d’un colosse, marqué par la mer et le soleil. De ces échines malmenées par la vie mais qui refusent de faiblir. Il se souvient maintenant d’un coup de lame qu’il avait cru avoir déjoué La lame s’est enfoncée de quelques millimètres, juste assez pour le faire saigner. « Vous soignez tout ce qui tombe dans la gueule de votre bicoque ? » Pour en faire quoi, qu’il se retient de demander. Les sorcières capturent les égarés, en font des diners.

Ses assaillants sont ils réellement morts. Il ne s’en est pas assuré, il a fui des qu’il a pu s’extirper du danger. Ils étaient au sol et badigeonnés de leur sang, c’était suffisant. « Ils ne m’ont pas suivi si c’est votre crainte. » Les bois sont une gueule béante où le danger règne sur un trône de lianes. C’est ce qu’ils disent, ce dont il se souvient. Il n’avait pas le choix pour s’en sortir.

Le capitaine relève la tête vers l’inconnue, ses yeux se fixent dociles dans les billes de celle qui s’est improvisée guérisseuse. Les traits de son visage sont noyés dans la pénombre, dans l’obscurité des maigres bougies qu’elle a allumées. Il n’a pas l’habitude de cette dévotion, de gens qui acceptent de soigner sans rien demander en retour. La plupart achèvent les bêtes blessées, personne ne s’encombre d’un homme trépassant sa propriété. « Vous dormez par terre ou on partage ? » Il n’a pas perdu sa lucidité. Seule sa vision est légèrement brouillée par la violence, et le sang. Le loup dialogue toujours en pirouettes salaces. « Vous voulez vérifier ? » Qu’il jacte avec un sourire affiché dans le recoin de sa bobine tachée de terre et de sang quand elle évoque d’éventuelles plaies encore cachées, plus bas sur la chair meurtrie.

Le marin tente de se relever avant qu’elle prenne une décision. La terre n’est jamais droite, il chancelle et se rattrape au mur. Molech ignore si ce sont les blessures ou les herbes utilisées qui brouillent ses pensées.

Elle l’avait écouté, lui, l’homme qui ne semblait pas avoir peur de tuer ni homme ni femme. Elenwë n’en était pas étonnée et ne commenta pas. Essayait-il de lui faire peur ? Parce qu’elle ne craignait pas grand-chose, l’immortelle, au grand désarroi de ses amis. Nombreux étaient ceux qui lui auraient dit de le laisser là, de prendre ses jambes à son coup et de partir. Mais pourquoi faire, après tout ? Il était blessé, il ne pouvait rien lui faire. Ou pas grand-chose, du moins. Elle ne le regarde même pas lorsqu’il dit à demi-mot se méfier d’elle.

« En l’état, vous ne me donnez pas envie de vous bouffer, rassurez-vous. »

Elle s’amuse, le nargue tandis qu’elle nettoie et désinfecte les plaies avec les quelques herbes en sa possession. Si elle avait cru qu’un jour ses cours de l’académie lui serviraient…

Le pire, c’est qu’il se laissait faire. Elenwë préférait ça, c’était quand même beaucoup plus simple de le soigner s’il ne bougeait pas. Elle observait les nombreuses cicatrices d’un corps qui a vu beaucoup de chose dans sa vie. Elle ne touche pas, mais observe. Qui était-il ? Et pourquoi venait-il s’échouer là à deux doigts de s’évanouir ? Ce n’étaient sans doute pas ses affaires, elle préférait ne pas poser trop de questions. Et lorsqu’il se remet à parler, elle appuie sur une plaie en ne s’excusant pas.

« Ce n’est pas chez moi ici, j’ai quand même un peu plus de goût que ça. Je l’emprunte pour la nuit. »

Dit-elle, affairée à sa tâche. Et surtout, comment pouvait-il croire qu’elle vivait là-dedans ? Ce n’était ni rangé, ni lumineux et surtout, clairement à l’abandon. Elle passe alors derrière lui en soupirant face aux blessures. Il avait été passé à tabac visiblement. Et elle qui voulait juste dormir…

« Tant mieux. »

Grogna-t-elle en nettoyant la dernière plaie qu’elle voyait. Il était temps que ça s’arrête. Quoique… Le regard de l’elfe tomba sur le pantalon de l’homme. Lorsqu’elle savait qu’elle passerait la nuit avec quelqu’un, elle osait. Mais là, oserait-elle ? Soudain, le voilà qui retrouve sa lucidité. Elle se met à rire et lui offre un sourire en coin.

« Si on ne partage pas, ce n’est pas moi qui dormirai par terre. »

Assise à côté de lui, il lui demande quand même si elle veut vérifier si blessure il y a. Avec un sourire qui ne laisse place à aucune autre interprétation. Elle hausse les sourcils, l’elfe et le regarde tenter de se lever.

« Si en plus vous me facilitez la tâche… »

Dit-elle en se levant à son tour et la voilà qui ni une ni deux, abaisse son pantalon et le regarde se retourner. Avec une moue satisfaite, elle replace ses cheveux derrière ses oreilles et le soutient.

« N’allez pas vous cassez la figure, allez… » elle l’aide à sortir ses pieds de son pantalon en le soutenant. « Voilà. Et n’allez pas croire que c’est de ma faute. Je n’ai utilisé que des herbes basiques. »

Et en plus elle se justifie. Un sourire sur les lèvres, elle le reconduit sur le lit en prenant soin de faire attention. Après inspection, il n’y avait rien qu’elle puisse faire.

« Rien à signaler par là… » Murmure-t-elle en déviant son regard amusé vers les prunelles étonnées de l’homme. « Maintenant, si vous voulez partager ce lit, je pense qu’on peut faire quelque chose. »

Elle alla allumer quelques bougies supplémentaires avant de revenir vers le lit. Les doigts s’amusant sur son torse, l’elfe s’assied à ses côtés, préférant attendre son aval avant de tenter quoique ce soit.

exit light, enter night

 @Elenwë

Le doute circule dans ses iris, il ne sait toujours pas ce qu’elle est, ce qu’elle veut, ce qui adviendra de lui. Molech ne peut pas dire non aux soins, il en a besoin. Les plaies ne sont ni dangereuses, ni profondes mais une infection risquerait de lui nuire durant des jours. Il ne peut pas se permettre ça, si loin de son équipage, sans possibilité de les contacter. Le choix est vite fait. Le capitaine se laisse manipuler, devient pantin entre les paumes de celle qui s’est improvisée guérisseuse. Elle appuie sur la blessure encore vivace et son visage grimace à la douleur qui se répand dans ses nerfs. Un grognement bestial dégueule de ses babines, un son qui attend un semblant d’excuse mais rien n’est formulé. Seule la douleur subsiste, une vieille compagne qu’il connaît si bien, dont il ne parvient pas à se débarrasser.

La tête tourne, le regard s’ancre sur les détails, sur ce qu’il peut apercevoir dans la pénombre. La faible luminosité n’aide pas à découvrir l’endroit. Les flammes dansantes des bougies n’ont vocation qu’à empêcher les cauchemars de venir les troubler. « On va oublier l’hospitalité comme qualité. »

L’arrangement se goupille dans les regards, dans les gestes, dans la paume tendue sur son torse. « J’suis toujours partant pour faire ma pute contre un lit. » Il a le verbe salaud, la gouaille qui cache les pensées troublées. Se vendre, il l’a déjà fait plusieurs fois, autrefois, quand c’était nécessaire — entre les paumes mâles et malfrats recueillant son échine sans picaille et clamant un toit, dans les bras des sorcières guérissant ses maux. Et ne dit pas non à l’occasion d’une donzelle qui se montre entreprenante. Vieux loup vorace. « J’crois qu’on va devoir trouver un arrangement. » Il doute de pouvoir être utile. La carcasse est blessée, fatiguée et son esprit semble s’égarer vers des chemins brumeux. Molech remet en question les propriétés des plantes, leur inoffensivité apparente. Il oscille entre fatigue et euphorie. « Tu mènes, j’ai la flemme. Et après tu m’laisses pioncer. » Il s’approche un peu pour mieux l’observer, voir les contours de son visage, la silhouette sous l’armure de cuir. Sa paume effleure la joue, agrippe la nuque. Malgré les dires, il reste toujours de l’énergie pour bafouer un lit, partager des draps. « Putain. » Il s’écarte d’un coup, gueule fort à la douleur qui tenaille dans chaque muscle. La vérité se révèle enfin. Une magriel. Le peuple des enchanteurs, les divins à qui il jure une étrange fidélité et dévotion sans qu’il parvienne à l’expliquer. On ne touche pas, on n'effleure pas, on n'y songe surtout pas! La distance se creuse entre les deux. Le marin n’est plus certain de pouvoir la regarder dans les yeux. L’impression de se sentir minuscule sous le regard de l’elfe le foudroie sur place. Une bête dépiautée sous le scalpel de la sainteté. Les tissus sont ramenés misérablement contre lui, dans l’espoir vain d’y cacher la chair exposée. Il est ridicule dans ses gestes, dans sa posture, dans sa médiocrité de laeris qui a cru pouvoir s’encanailler avec une personne d’un peuple divin. « Je n’savais pas, oubliez c’que j’ai dit. » Le pardon ne franchit pas ses lèvres, jamais. Il ne sait pas. Le mot est absent de son vocabulaire — curieusement. Le capitaine est tombé dans le piège, ne sait pas ce qui l’attend. Un tribunal pour ses manières ?

L’homme semblait ailleurs. Fatigué, son esprit vagabondait au gré de ses pensées tandis qu’Elenwë terminait son travail. Enfin, travail était un grand mot. Elle ne faisait pas grand-chose, lui permettait que ses plaies ne s’infectent pas. L’elfe devra refaire quelques réserves en retournant chez elle. Il est grognon. La magrielle ne savait pas si c’est son caractère ou si c’était la douleur qui parlait. Haussant les sourcils, l’immortelle s’amusait plutôt bien.

Elle n’avait pas prévu de rencontrer quelqu’un, surtout par ici. Peu de gens tentaient de s’aventurer dans ces bois et certainement pas pour y dormir. Mais aux grands mots les grands remèdes. La maison semblait avoir été abandonnée depuis un moment au vu de la poussière qui s’amoncelait. L’ambiance n’était pas très rassurante, même si Elenwë n’avait pas peur. Elle était cependant ravie de ne pas être seule. Lui en revanche, ne semblait pas savoir ce qu’il voulait. Dormir ou partager son lit ? Elle nota qu’il devait être fatigué de son altercation et peut-être, peut-être qu’elle devrait lui ficher la paix.

Elenwë laisse virevolter ses doigts sur le torse de l’homme avec un sourire amusé.

« Vous semblez plus fatigué qu’intéressé. »

Elle hausse les épaules. S’il avait la flemme et rêvait de dormir, elle ne pouvait pas l’en empêcher. Tant pis pour le partage de la couche. Ils pourraient toujours s’endormir dans le même lit, après tout, les nuits étaient froides. Elle ne le vit pas se redresser. C’est lorsqu’il effleura sa joue qu’elle sursauta et l’observa. Il s’approche, agrippe sa nuque et se demande ce qu’il allait tenter ensuite. Certainement pas commencer les hostilités au vu du cri qu’il poussa avant de se reculer d’un bond. Était-elle si vilaine que ça ? Elenwë haussa les sourcils en se demandant ce qui lui prenait. Ses herbes n’étaient pas hallucinogènes.

« J’ai suscité bien des réactions, mais celle-là, jamais. »

Elle s’étonne, se redresse et lui passe l’un des draps qu’il y avait sur le lit. Elenwë le couvre, l’aide à se relever et ne comprend décidemment rien à ce qu’il raconte.

« Vous ne saviez pas quoi ? »

Elle ne comprend vraiment pas sa réaction mais l’homme semble… terrifié ? Elle n’avait jamais terrifié personne. Ce serait bien une première fois. L’elfe lui touche le front mais il n’a pas de fièvre. Elle se sent presque mal, presque coupable de susciter une telle réaction. Elenwë le rassoit sur le lit, lui pose le drap sur lui pour cacher la nudité qu’il semblait à présent vouloir lui cacher à elle. Elle n’aurait pas dû présumer qu’il serait intéressé.

« Prenez le lit, vous semblez avoir besoin de dormir. »

Elle se recula doucement, dans l’incompréhension totale. Elenwë alla s’asseoir dans le petit fauteuil à proximité, l’autre drap sur elle. Elle remonta ses genoux contre sa poitrine et s’installa le plus confortablement possible.

« Je suis désolée. »

Lui dit-elle, laissant de la distance avec l’homme. Elle n’était pas sans cœur non plus et son regard la travaillait plus qu’elle ne voulait le laisser croire. Avait-il vu ses oreilles ? Pourtant, il semblait être un laeris, il ne devait pas craindre les elfes tandis que l’inverse pouvait être toujours d’actualité. Elle l’observe au gré des flammes qui vacillent dans cette nuit sans lune. Elle s’est reculée puisque c’est ce qu’il semblait vouloir.

exit light, enter night

 @Elenwë

Une elfe. Il aurait du s’en douter, aurait du se méfier. C’était évident que sous l’armure de l’aide et ses phalanges dotées de talents guérisseurs se trouvait cette race qu’il a juré de ne jamais approcher de trop près. Molech n’a pas pu empêcher le mouvement de recul, cette tension soudaine de chacun de ses muscles, cette peur inscrite dans le cercle de ses iris. Et dire qu’une seconde plus tôt… il était prêt à… Il fait des gestes incohérents avec ses mains, cherchant à éradiquer des pensées qui se seraient matérialisées devant lui. Le capitaine est penaud, ridicule dans sa position de bête effrayée. Son aisance et son bagou se sont envolés. Il ne reste plus rien, si ce n’est cette distance qui s’est créée entre eux. Un gouffre d’incompréhension. Le corsaire doit reprendre la parole en premier, il faut désamorcer la situation qui s’empoisonne doucement et sûrement. « C’pas vot’ faute. C’que… jamais eu trop affaire à c’te engeance, moi. Mais on m’a toujours dit, qu’vous, les elfes… vous étiez pas comme les autres, voyez ? J’trouve pas l’mot exact, mais du genre, sacré, un peu mystique, si vous voyez c’que j’veux dire. Pas d’ce monde, qu’on m’disait. » C'est reparti, la mécanique de la connerie en route. Tout ça, il se souvient qu'on lui a dit, que c’était interdit d’y toucher, qu’une malédiction pouvait le frapper. Ses superstitions le tueront. Des bobards entretenus par les siens, par les ivrognes, par tout la plèbe des queutards du port. Molech y a cru, s’est embourbé dans les histoires, dans la trouille, dans l’illusion que les elfes sont trop purs, immaculés et décrits par tout le lexique religieux. « Les oreilles pointues, c’est sûr qu’ça a son p’tit charme. Y’a d’autres trucs bizarres chez vous ? » Il s’enfonce dans la bêtise et aucun litre d’alcool n’excuse ses propos crétins. « J’voulais pas vous faire fuir. J’étais pas prêt, fallait m’avertir. C’pas tous les jours qu’on vous côtoie. » Plutôt l’habitude des fiels et de leurs sales manières. « L’offre du lit, ça tient toujours ? »