(fb) with the wolves (syn)

with the wolves

 @syn bates
taverne, fin de journée

Le navire se traîne comme une vieille peau décharnée. Des lambeaux perdus dans l’eau, des débris témoins d’une vieillesse qu’il est impossible de déguiser. La victoire se devine difficilement tant le bâtiment est abîmé. Pas de défaite ou de gain dans le sillage des voiles de suie. Juste une réparation qui n’a pas été faite les fois d’avant. Un accrochage et c’est toute une immense partie qui a foutu le camp. À quai pour une semaine. Le voilier remis entre les mains expertes. Molech a observé, s’est assuré que rien n’arrive à l’immense bâtiment qui est sa maison depuis des décennies. Sentimentalisme qu’il ne peut nier. L’absence de rafiot le contraint de rester à la capitale pour quelques jours. Sur une terre trop dure et inamovible qu’il en perd son équilibre. Comment font-ils pour marcher sans s’échouer.

Le respect et la peur s’enfoncent dans les orbes des quidams qu’il croise. Galons sur poitrail, l’effigie de ses victoires et de son rang. Chien impérial qu’ils préfèrent voir sur les eaux, qu’entre les murs de leur belle capitale. Capitaine s’encanaille avec sirènes et matelots. Se noie dans les vices, dans chaque propos, chaque proposition. Molech n’est pas fait pour la terre, pour un monde d'entrelacs et d’apparats. Il s’enferme dans les tavernes, les bordels, là où gueule la vie et fuit l’aristocratie.

Un jour écarlate. Le soleil se couche dans le lointain. Des éclaboussures rougissantes qu’il observe depuis la fenêtre de sa piaule. Encore ivre de la veille. Les pensées mal articulées dans le crâne. Le corps désordonné. Il manque de s’écrouler en sortant du lit. Fatras de jurons, colère mollassonne. Colosse entreprend la descente de cinq marches jusqu’à la piaule des désœuvrés, là où se rassemble la populace autour d’alcool, déchèterie alimentaire et monnaie jouée à des jeux de tricheurs.

Orbsun titube entre les tables, cherche un refuge pour sa carcasse. Curieuse coïncidence de celui qui harponne sa curiosité. « Bates. Quel déplaisir de voir ta bobine dans le coin. » L’exclamation prend trop de place, s’empare de la pièce, voit toutes les têtes se tourner vers eux. Discrétion néant. L’ami n’est pas seul. Il s’est déjà trouvé une compagnie - une belle de nuit. Tristesse du partage. « Dégage. Tu perds ton temps avec lui. Il a la lame la plus fine de l’empire, et j’parle pas de ses talents à l’épée ». Clin d’œil salopard, le sifflet toujours vulgaire. Envoie valdinguer poupée qui a cru pouvoir accoster à la table du loubard. Pas d’autorisation, de négation. Molech n’attend rien, il prend, s’installe. Gueule la chaise raclée sur le plancher. « Ça faisait longtemps. J’ai cru qu’on avait oublié de m’inviter à tes funérailles. » Risette allure cercueil. Préférable quand il garde une bouille impassible. Le sourire lui taille une gueule effroyable. Bates. L’ennemi-amitié. Le lien impossible à qualifier. Camarade de batailles chimériques. « Tu me paies à boire ? Plutôt que de dépenser ta picaille dans des putes. » Fêter les retrouvailles.

Trois jours. Trois jours d'une quête éprouvante à la conquête d'une aguara perdue en dehors de ses îles, traumatisant les abords d'Orcylin. Trois putains de journées, à sillonner les terres, à scruter attentivement chaque renard pour discerner au fond de leurs pupilles la magie d'une métamorphe, à voguer de ruelles en ruelles, faisant le pied de grue dans l'attente d'une illusion mortifère qui semblait ne jamais vouloir venir.
Syn n'aurait pas pensé manifester un tel bonheur à la vue de cette odieuse créature. « Fais vite. » lui avait soufflé Chimère, se faisant l'écho de l'inquiétude impériale. Ces mots résonnent dans son esprit lorsqu'il darde ses prunelles dans celles de l'aguara, du renard mue en une silhouette lascive et sensuelle qui lui promet la lune. L'illusion est parfaite. De la courbe délicate des seins aux hanches impudiques qui semblent tanguer ; des iris clairsemées à la sensualité de la voix  - il est clair que cette aguara maîtrise à la perfection ses illusions.
« Bien tenté, ma belle. » qu'il glisse, le mercenaire, la main fermement accrochée à sa brise-aube reflétant les éclats ardents du soleil. « Mais j'ai une renarde plus terrible que toi qui m'attend avec ta tête. »

La nuit commence à peine à tomber lorsque Syn parvient à la capitale. Le combat fut rude, son bras laisse échapper sur son sillage des gouttelettes carmines, preuve s'il en faut de sa mortelle humanité. Cette salope d'aguara est parvenue à lacérer de ses serres sa peau tannée par le soleil, vestige de ces années marines.
Il peine à reprendre son souffle, l'aile carmine, il halète encore lorsqu'il sillonne les rues. La nuit tombe, et il sait que Chimère l'attend avec cette tête qu'il trimballe dans un vieux sac de lin tâché de toute part - mais ne l'a-t-elle pas déjà attendu trois jours ? Il a bien le temps d'un verre.
La taverne lui fait de l'œil, et il estime mériter cet instant de repos. C'est la main assuré qu'il franchit le seuil de ce bouge immonde, puant autant la pisse que l'alcool. D'un regard, il demande au tavernier de lui offrir de quoi se rincer le gosier. Alors qu'il passe la taverne au crible de ses iris ardentes, il tombe sur la jolie silhouette d'une prostituée en quête d'un client à désosser.

Un verre et une pute,

que demander de plus en récompense pour l'assassinat d'une aguara ?
Il jette sur la table de la demoiselle le sac de lin recélant la fâcheuse tête, avant de prendre place à ses côtés, le regard voilé d'une lubricité évidente. Il faut dire que les illusions de la bête n'ont pas manqué d'attiser en lui quelques flammes charnelles. Un instant, il regrette de n'avoir pas poussé ses pas jusqu'aux châteaux d'Eilean, ou Ringer l'aurait attendu, la fierté dans les prunelles, une boisson autrement meilleure que cette pisse que lui sert le tavernier et de bien plus excitantes parades érotiques. Peu importe, il n'est pas très regardant quand le soir tombe et que l'obscurité dissimule les aspérités.

Ils allaient quitter les lieux, tous les trois (ben quoi, la tête de l'aguara compte, elle aussi), afin de voguer vers d'autres océans plus intimes, lorsque Syn se laisse harponner par un importun peinant à garder l'équilibre. Molech. Il ne rêve pas. Molech et son sarcasme, ses vieux os mal dégrossis, sa plaie morbide sur l'œil droit, Molech même, qui fait naître sur le masque de Syn un sourire narquois auréolé d'un masque sincère de ravissement. Voilà qui promet d'aviver la soirée.
Il a la lame la plus fine de l’empire, et j’parle pas de ses talents à l’épée. La pute ne rit pas, elle attend, darde ses prunelles en celles de Syn comme pour chercher réconfort et protection. Il ne fait que lui apporter confirmation, dans un rire étouffé.  « Laisse-nous. » A peine a-t-elle tourné le dos, laissant échapper sa rage d'être ainsi traitée en un crachat furieux, que Molech poursuit sa litanie. Il a la langue acérée, et la parole affutée. J’ai cru qu’on avait oublié de m’inviter à tes funérailles. Syn laisse échapper un rire moqueur. « J'te ferai pas ce plaisir, tu crèveras avant moi. »
Compères de nombre d'aventures, ces deux vieilles branches en ont vécu, ensemble, des hasards sinueux et des frôlements avec l'enfer. Syn se demande bien souvent s'il a pour lui de l'affection auréolée d'une profonde hostilité, ou si c'est l'hostilité qui s'entoure d'un vague voile d'affection.
L'assassin hèle le tavernier en réclamant une deuxième choppe pour son ami ennemi interlocuteur. « Qu'est-ce que tu fous là, vieux pilleur ? T'arrives même pas à marcher sur la terre ferme. Me dis pas que t'as fait couler ton bateau ? » Il a le regard qui se darde en lui, empli d'une curiosité venue d'outre-tombe titillant son palpitant.

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 @syn bates
taverne, fin de journée

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La donzelle s’en va grogner vers d’autres amarres. Des types moins regardants moins chiants. De ceux qui fermeront leur gueule sans qu’elle ait trop à besogner pour sa monnaie. Molech garde un œil sur elle. Sur son dos, son cul caché par les nippes. C’est qu’il l’aurait bien embarqué dans ses draps mais la monnaie est absente de sa poche malheureusement trouée. Toute son attention revient vers le le serpent, le camarade aux pensées rubis, cette vieille amitié un peu froissée, maladroite et épineuse qu’ils entretiennent depuis longtemps. « Je suis increvable. Y’a personne qui veut de moi » Les épaules haussées, le sourire faussement tombant. La Mort le rejette à chaque tentative, le recrache sur le territoire des ressuscités. Carne trop coriace, trop pourrie. Il est mieux ici, à dialoguer avec les vivants, à traîner son squelette de géant.

La couleur whisky de ses lucarnes s’embrume à l’idée du bateau qui se serait échoué. Paluche cogne contre le bois de la table. « C’est comme mon gamin le navire ! Jamais il coule, jamais ! » Crache la houle dans ses paroles. « Il est blessé » Lichette larmoyante dans les orbes. Une habitude étrange qu’il a depuis toujours — celle de parler des navires comme on causerait d’enfants, d’humains. Charpente humanisée. La coque est squelette. Les voiles des jambes. Les rames des bras. Le gouvernail un œil. Le mat un crâne. D’autres y voient des madones, une seconde épouse des eaux. Molech a construit l’imaginaire d’un petit garçon, d’un brave gaillard qu’il ne laissera jamais crever.

La chope bienfaitrice arrive entre ses paumes adroites. Une lampée dans le gosier réanime le colosse qui avait manqué de s’effondrer faute d’alcool pour faire fonctionner la mécanique rouillée de sa chair. Le sourire de satisfaction disparaît à la remarque acerbe du brun. « Je sais marcher. C’est votre sol qu’est pas droit » Une singularité qu’il a développée avec les années. À ne plus revenir sur terre. À refuser de quitter le navire et son mouvement perpétuel. Il semble boiter quand il marche. Un marin en détresse là où l’eau s’absente de son regard.

« Tes yeux m’avaient manqué. Ils me crachent toujours l’même mépris. C’est beau. J’suis amoureux de ta fureur » Risette canaille habille son visage bouffé par le soleil et le sel. Une habitude de commenter Syn, d’y loger quelques compliments au milieu de toutes les aiguilles verbales qu’ils se plantent mutuellement. « T’es loin de tes standards. Qu’est-ce tu fais dans ce rade ? T’as toujours eu une gueule trop princière pour t'échouer sur l'zinc » Molech n’a jamais rien su du passé de Syn. Tout est cadenassé. Alors, il a imaginé, il a conté des histoires et des faits. Il lui a donné le background d’un bâtard abandonné, d’un enfant de la haute qui justifierait ses manières et son dédain. Prince de ses nuées. L’idée lui convient. Probablement qu’il a tout faux, que ses fabulations sont proches du néant de la vérité. Qu’importe. Molech y préfère souvent ses rêveries à la réalité sans intérêt.

Le capitaine prend seulement la mesure de la tierce personne présente à leur table ce soir. De leur duo qui s’enjolive d’un paquet sanguinolent. « C’est la tête de ta dernière conquête ? » L’humour est toujours corné de dégueulasserie avec lui. « Faut modérer ton mécontentement » La forme ne laisse aucun doute sur le contenant. Tête de qui, de quoi. Pourquoi. Sa main se suspend dans le vide, il n’est plus certain de vouloir savoir ce qui se cache là-dessous. Les trophées anatomiques ne sont pas ses préférés. Seules les babioles brillantes parlent à sa curiosité. « Tu n'dois pas être le seul à collectionner les têtes. Chacun ses trophées. Je juge pas. C’est un peu encombrant, non ? »

Molech regarde avidement le cul rebondi de la fille de joie qui tangue vers d'autres amarres. C'est un vieux loup de mer aux manières déplorables, mais au moins a-t-il le mérite de tirer chez Syn un aigre sourire amer - aux frontières entre le jaune pisse et l'ironie carmine. « Et pourtant, tu continues à t'incruster partout où tu peux. » Elle persifle, l'aile dénuée de son ornement de la nuit. Jamais n'avouera que la compagnie d'Orbsun lui est plus agréable.
Mange pas de ce pain là.
Il sursaute, pourtant, lorsque Molech cogne le bois vieilli de la table, et que la tonalité de sa voix se fait menaçante. Il crache, non hurle, en proie sûrement à maint tourments qui dévorent son âme comme le feu une brindille. Son bateau est son fils, et les voiles noires qui se dressent sur le pavillon du renégat son unique phare dans le nuit tombée du soir. « Il est blessé » Larme qui semble venir faussement embuer les prunelles, quand la voix s'apaise doucement - ne pas parler trop fort pour ne pas éveiller l'enfant endormi, en pleine convalescence. « J'espère que ce n'est pas une bête bisbille entre pillards, qu'a abimé ton fils. Ce serait bien décevant. » Voix qui s'éteint, doucement. Emprise par la curiosité, et le regard interrogateur qui se fiche.

Dis-moi que c'est une amère rencontre avec une Aeshna, qui mérite au moins d'être contée. Un truc bien sauvage, bien dramatique, bien à ton image. Qu'au moins ça nous fasse passer une partie de la soirée, à défaut de te permettre d'en son sein voguer.

Je sais marcher. qu'il dit, le môme aviné. Syn répond d'un sourire amusé, venu stimuler le masque de son visage. Non, le sol n'est pas droit. Les lunes ne sont plus stables et les étoiles trompeuses - la terre est un univers dangereux et sordide, où la félonie côtoie chaque jour les plus indicibles avanies. L'aile carmine n'a jamais su trouver sur un bateau de tels océans de chaos, tant ils semblent enfants de chœur - les sadiques matelots - au côté des langues acérées et venimeuses des âmes politicardes.

Il darde ses prunelles en les siennes, Molech, crache compliments comme un juron. « J’suis amoureux de ta fureur. » « Ca tombe bien t'auras rien d'autre. » Les paroles se font échos, les échanges gausseries. Il y a de la malice dans les orbes qui se répondent. Celle des vieux loups solitaires qui trouvent en l'autre un miroir à moitié cassé, étripé de toute part, les peaux conjointement tannées par des années en mer.
Il l'interroge, l'alter-égoécho. La curiosité semble sincère, mais là encore, ça manque cruellement de manières. Vanne la gueule princière de Syn, celle qui lui valut sans doute d'être nommé conseiller.  « C'est pas parce qu'on sait se tenir en société qu'on peut pas aller aux putes. Toi t'as ni l'un ni l'autre, elles vomissent toutes en te voyant. » Lève son verre, Syn, à la mémoire du partenaire. Trinquons ensemble, buvons cette coupe comme de faux frères, avant que t'ailles pourrir au fond de la mer (ou en enfer ?). Un jour, la mort se bouchera le nez et te prendra.
Il semble montrer d'un doigt curieux la tête qui trône sur la table, à vos côtés, dont le sang commence peu à peu à perler le tissu. « C’est la tête de ta dernière conquête ? » Syn boit une gorgée de sa chope, avant d'apporter réponse aux curiosités. « Je t'avoue qu'elle m'a proposé. » Le souvenir de l'aguara et de ses illusions perverses poppent au visage de Syn. Il est bien loin le temps des courbes lascives et de la voix langoureuse qui l'enjoignent à partager sa couche ; ne reste d'elle qu'une gueule de renard à moitié déchiquetée qui pourrit dans un sac. « Moins encombrant que ton rafiot. » Celui qui se nomme fils. « Mais bon, les aguaras, c'est pas mon truc. Je leur préfère de bonnes vieilles putes. »

Un soupir s'échappe des lèvres du combattant, alors qu'une dernière gorgée vient s'échouer au fond de son gosier. « T'as déjà vu un de ces specimens ? » Le regard vogue entre pensées souvenirs et présent Orbsunien. « Je t'assure, c'est spécial. Saloperies d'illusions. » Syn n'a jamais trop aimé la magie, craint les forces de Fimjir et les guérisons elfiques - ne voue respect qu'à la force brute et aux perversions de l'âme. Mais celle-là. Celle-là est trop.
Un vague frisson parcourt son échine. Et ses orbes se perdent dans celles de Molech, ode aux souvenirs plus anciens encore. Aux parchemins tâchés d'une encre vieillie et trop brûlée par le soleil.