Not a savior (Arlo)

Mentions de maltraitance d’enfance, idées noires, dépression

Iris était partie chercher des informations à propos du bras de la rédemption. Elle n’avait pas eu besoin de l’ordre de l’empereur pour partir à leur recherche. Elle se sentait presque responsable de la mort de cet homme. L’archonte n’avait sans doute pas mérité de mourir de cette façon. Elle savait que d’autres proches de l’empereur ressentaient la même chose qu’elle. Et elle, elle n’avait même pas entendu les murmures à leur propos. Ils étaient discrets, si discrets qu’elle-même peinait à les trouver. Pourtant, avec les années d’expériences, la ville qu’elle connaissait par cœur et dans laquelle elle ne cessait de vagabonder, elle aurait dû remarquer quelque chose.

Elle n’avait pas pris de repos. Se sentait désespérément coupable et incapable. Iris avait bien tenté de se dire que personne n’aurait pu les voir venir, elle avait bien essayé de se rassurer, de remonter la pente, rien n’y faisait. L’espionne prenait les choses à cœur, c’est ce qui la tuerait un jour, probablement. Elle n’était pas allée voir Nelis, ni même Arlo, ni personne. Elle s’était contentée de vérifier qu’ils étaient sains et saufs et était repartie s’enfoncer dans la ville.

Elle avait même été plus loin. Iris était partie dans d’autres villages, d’autres villes, toujours à la recherche d’un murmure qui pourrait être intéressant. Où se cachaient-ils ? Certainement pas au cœur de la grande ville. Peut-être dans les plus petits villages, peut-être même dans les bois. Elle s’était baladée des heures durant, s’était perdue dans les ruelles sombres. Avait grimpé sur les toits et s’était arrêté face à une scène qui lui rappelait sa vie d’avant. Les enfants étaient là, dans le jardin d’une maison ; si on pouvait appeler ça un jardin, et elle les voyait se prendre des coups. Iris avait l’impression de se revoir, elle, des années avant. Elle avait presque l’impression que ses cicatrices la brûlaient encore. Posant une main sur sa bouche, elle se demandait ce qu’elle pouvait bien faire pour les sauver. Eux, et les autres qu’elle avait croisé. Les enfants des rues qui ne volaient pas assez bien, qui n’étaient pas assez bon, et qui ne servaient plus. Iris s’était assise sur le toit, à pleurer. Elle se souvenait pourquoi elle n’aimait pas passer par ici. Pour eux. Pour tous ces enfants qui n’avaient pas eu de la chance, ou la chance de croiser un Nelis. Il n’y avait qu’un constat qui tournait en boucle dans sa tête.

Elle ne pouvait pas les sauver.
Pas tous.
Pas beaucoup.
Pas assez.

Comme pour se faire du mal, elle resta là longtemps, les yeux dans le vague, regardant et ressentant la souffrance qui avait été sienne, qui était toujours en elle. Iris se punissait parce qu’elle n’arrivait pas à faire quelque chose pour eux. Ils étaient trop nombreux. Elle avait pu sauver Eryn, oui, mais c’était sûrement un coup de chance. C’était sûrement ça.

Au lever du jour, elle n’avait pas bougé, se sentait endolorie. Les yeux gonflés et fatigués. Perdue dans un cycle infernal qu’elle connaissait pourtant. Duquel Nelis l’avait déjà sortie à quelques reprises. Elle ne voulait pas aller le voir, ne voulait pas lui montrer qu’elle avait rechuté. Qu’elle était faible. Se sentait misérable. Les enfants étaient depuis longtemps endormis et elle, elle était restée. Iris n’avait pas su réfléchir à un plan.

Elle ne su même pas comment elle s’était retrouvée sur son cheval. Elle le laissa la guider quelque part, sans prendre aucune décision. Ne pouvait pas. Elle aurait dû faire quelque chose. Se battre pour eux, les approcher, leur insuffler une flamme. On l’avait fait pour elle. Elle l’avait fait pour Eryn. Pourquoi ne pouvait-elle pas le faire pour tout le monde ?

Elle n’était pas une sauveuse.
Elle n’aidait personne.

Iris se rendit compte qu’elle était arrivée chez elle, dans la petite chambre qu’elle s’était offerte, le plus haut possible. Elle laisse son cheval à l’écurie, une gratouille sur la tête et s’en alla en ville. Elle n’était pas fatiguée, ne ressentait pas grand-chose en ce moment. Même les odeurs, les bruits et l’agitation de la ville ne la sortirent pas de sa torpeur. Capuche sur la tête, elle se faufila parmi la foule, se fit bousculer mais continua sa route sans se retourner.

Elle avait atterri à une table, avec un verre d’alcool à la main. Iris ne buvait que très peu. Jamais à s’en rendre malade. Combien de verres avait-elle bu ? Aucune idée. Mais au moins, l’alcool la détendit et elle retrouva un sourire sur ses lèvres. Elle ne sentait plus le poids sur son cœur, se sentait plutôt bercée, légère et amusée. Elle observait les gens qui passaient, s’amusait et souriait. Elle verrait demain pour la culpabilité. Ses pensées étaient à mille lieux de ce qu’elle avait vu, préférant cadenasser ce souvenir pour le ressortir plus tard.

La jeune femme aperçut soudain une ombre qu’elle connaissait. La silhouette grandissait jusqu’à devenir vivante. Un homme, celui qu’elle aimait beaucoup. Avec qui elle chuchotait, parlait et dont ses lèvres ne lui étaient pas inconnues. Le sourire sur ses lèvres s’élargissait à mesure qu’elle prenait conscience qu’il passait dans la rue juste devant l’échoppe où elle se trouvait. Elle pencha la tête sur le côté, le regarda passer avant de bondir ses pieds. Iris mit du temps à prendre une pièce, ou deux elle ne savait plus, sur la table pour les consommations et parti à la suite de l’homme.

Elle accéléra lorsqu’elle le retrouva et bondit dans ses bras.

« Arloooo ! »

Elle l’embrassa sans se poser de question et le regarda dans les yeux.

« Je suis si contente de te voir ! »

Dit-elle en hochant la tête, comme si elle était certaine de ce qu’elle venait de dire. Elle relâcha sa proie -non Arlo- et le regarda de haut en bas. Elle se mit à jouer avec un pan de la veste d’Arlo, perdue dans des pensées qui n’appartenaient qu’à elle, laissant trainer sa main sur les vêtements du conseiller. Toujours proche de lui, elle appuya sa tête contre son torse en soupirant de contentement. Là, elle était bien. Elle s’accrocha à lui avant de le regarder, une drôle de lueur dans les yeux et de nouer ses doigts aux siens.

« On va chez toi ? »

Et elle n’attendit pas qu’il réponde avant de le tirer vers chez lui. Une maison quelle connaissait bien. Là encore, elle avait fauté, embrassant un homme marié, se couchant dans le même lit que lui alors que sa femme était encore là. Encore une erreur. Qu’elle n’arrivait pourtant pas à regretter.

Arrivés chez lui, elle lui laisse à peine le temps de fermer la porte qu’elle lui saute à nouveau dans les bras pour l’embrasser. Elle avait envie de lui maintenant. Lui faisait-elle comprendre correctement ? Elle passa sa main sur sa mâchoire puis dans ses cheveux. Elle le voulait.

« On monte ? »

Murmura-t-elle à son oreille. Dans leur chambre. Dans sa chambre à lui. Son cœur battait à tout rompre, était sûr de sa décision tandis que sa raison s’était effacée au profit de l’alcool.

tw : Idées noires, dépression, deuil.

Il est rare de le croiser à la nuit tombée. Mais ce soir, Arlon est parti à la chasse aux fantômes. Ceux qui peuplent sa mémoire. Dans son crâne, les voix se sont amplifiées ; à tel point qu'il a préféré les fuir, chercher une échappatoire dans la moiteur du soir. L'esprit englué dans une succession de chimères qui lui semblaient bien plus réelles que la réalité, parfois, le dessinateur erre, déambule dans des ruelles qu'il connait par coeur sans les reconnaître par instant. Ci et là gisent des souvenirs autrefois heureux mais que le temps et la solitude ont changé en ronces qui ne manquent pas de s'accrocher à ses chaussures, de vouloir le faire trébucher. Dans son crâne résonne la voix de Molech - parfois si forte et si convaincante qu'Arlo se demande s'il est vraiment là. La raison ébréchée, à ne plus savoir ce qui appartient au présent ou au passé. Ce qui est vrai de ce qu'il a inventé. Les muscles raides, tendus, il semble au dessinateur que même l'inclinaison de la terre se joue de lui, tirant sur la corde passée autour de sa nuque. Evoluer au bord du vide. Danser sur un fil ; un seul faux pas, la chute.

Sa voix, sa présence, tout le bouscule à tel point qu'il en sursaute. Qu'il peine à s'extirper du monde chimérique dans lequel il évolue, braquant son regard trouble et égaré sur Iris, la réceptionnant contre lui de mains maladroites, accueillant son baiser avec une surprise inopinée. Les sourcils légèrement arqués, Arlo tente de se reconnecter à la réalité. De se connecter à elle comme à un repère dans l'obscurité. Longtemps qu'il erre dans les ombres pour qu'aucun phare ne puisse vraiment l'en extirper. « Iris ? » qu'il souffle, encore égaré, d'une voix basse qui s'entend à peine comme s'il doutait que ça soit vraiment elle. Sa mélancolie rencontre de plein fouet l'ivresse notable qu'il saisit dans les yeux de la plus jeune. Son corps frémit au passage de ses mains qui s'amusent de ses vêtements et peu à peu, d'Ombreval parvient à quitter le monde des cauchemars pour celui des fantômes (car eux, il en est certain, sont bien réels). Sur le bord de ses lèvres danse encore la saveur du baiser qu'elle lui a pris - et peut-être Arlo ne souffre-t-il que de ça, de ne pas être assez bousculé, de ne pas être assez dérobé. Il lui distingue un comportement étrange et l'attribue immédiatement à l'alcool qui roucoule dans le regard de la jeune femme - et s'enroule, comme un serpent étrangleur, autour d'une douleur sur laquelle il n'a pas d'emprise. Plus tard, les questions. Plus tard, l'inquiétude. « On va chez toi ? » Il a à peine eu le temps de hocher la tête, acceptant le soleil qu'amène Iris dans sa vie, délaissant pour plus tard les parties de lui qui n'appartiennent qu'à la nuit. Qu'aux démons.

Chez lui, tout semble stérile. Rien ne semble avoir bougé ou changé depuis la mort de Nymea. Comme si elle vivait encore ici - ou comme si elle n'y avait jamais vécu. La porte refermée, ses paumes accueillent de nouveau Iris contre son corps. Il la trouve bien plus engageante qu'à l'accoutumée - bien plus engageante qu'elle ne l'a jamais été. Rendu plus fébrile par son aura encore morose et par l'entrain brusque de la jeune femme, il répond à ses baisers avec désarmement. Ses doigts se glissent dans ses cheveux avant qu'il ne la considère, à sa question, d'un drôle de regard. Inquisiteur, curieux, inquiet, aussi. « Iris... » qu'il chuchote d'abord, la fixant avec attention maintenant que les tentacules de la pénombre sont restées au dehors. « Pourquoi tu... » Il ne parvient même pas à formuler sa question correctement. Homme de lettre ayant finalement, si peu souvent formulé ses émotions de la bonne façon. Il sait ce qu'elle veut. Il le ressent. Une part de lui, sauvage et brûlante, rêve de l'étreindre après toutes ces années sans avoir eu l'autorisation de le faire. Quelque chose qu'il a toujours respecté. Quelque chose qu'ils n'ont jamais remis en question - avant ce soir. Et l'autre part d'Arlo, plus hésitante, plus frileuse, à franchir le pas sans formuler d'interrogation. Lentement, il se débarrasse de sa veste, l'accroche derrière la porte avant d'attraper tendrement sa main. Sans un mot, qu'il la tire vers les escaliers qui grimpent à sa chambre. Un lit conjugal où il n'a jamais été foutu d'épouser correctement son rôle de mari. La gorge légèrement nouée, il la lâche et s'assoit sur le matelas, ses yeux clairs et orageux déposés sur elle. Un fin sourire souligne l'incompréhension dans laquelle il baigne. « Tu as bu, n'est-ce pas ? » Une lueur triste allume ses prunelles. Les voix reviennent. Le hantent. Le harcèlent. Evidemment, Arlo. Qui voudrait de toi, dans son état normal ? « Tu devrais te reposer. Viens. » Il tapote le lit à côté de lui, dans l'attente de voir si elle allait se montrer plus docile ou toute aussi enflammée. Pas certain d'être correctement armé ce soir pour lui résister si elle se faisait plus insistante.

Mentions de maltraitance d’enfance, idées noires, dépression

Il accepte, Arlo, de la suivre. Peut-être juste pour s’assurer qu’elle va bien. Pour veiller sur elle, comme il l’avait toujours fait. Iris ne sait pas, ne se soucie pas, ne laisse même pas les pensées se fixer dans sa tête. Elle ne voulait pas réfléchir, elle voulait agir. Pour une fois, elle voulait oser quelque chose, laisser libre court à des sentiments qu’elle garde profondément enfoui.

Ce n’est pas tant la peur des sentiments qui l’empêchait de se montrer plus intime avec le dessinateur, il y avait de ça, oui, mais la peur de souffrir. C’était un tout. Avoir mal, le voir partir, ne plus l’aimer. Elle savait qu’eux, ce n’était pas pour toujours, elle l’avait accepté depuis longtemps. Mais elle savait aussi que si elle se donnait à lui, il emporterait une part d’elle avec lui lorsqu’il la quittera. Parce qu’il la quittera, elle en était persuadée. Et elle ne lui en voudra pas, jamais. Ils ont toujours été francs l’un envers l’autre, elle le sait.

Était-elle elle-même après avoir bu tous ces verres ? Est-ce que l’alcool faisait ressortir sa vraie personnalité ou juste une autre Iris ? Elle ne savait pas. N’avait jamais bu à ce point et à l’instant, elle se demandait pourquoi elle n’avait jamais osé. Iris se sentait bien, ne ressentait plus cette culpabilité qui l’avait jetée dans la boisson. Elle parvenait même à montrer à Arlo ce qu’elle voulait. Lui. Il semblait hésitant pourtant, alors qu’il avait toujours été celui qui aurait voulu ce contact physique qu’elle lui avait refusé jusqu’à maintenant.

Iris avait pris sa main, enroulant ses doigts autour des siens et l’avait suivi jusque dans sa chambre. Elle aurait pu y aller les yeux fermés, connaissant l’endroit par cœur. Elle ne nota pas qu’il n’y avait eu aucun changement dans cette maison. On aurait dit que femme semblait toujours être là. Elle avait presque envie de chuchoter pour ne pas la réveiller.

A peine passés le pas de la porte qu’il la lâche pour aller s’asseoir sur le lit. Elle le regarda faire sans y prêter vraiment attention, se délestant de ses bottes. Non, décidemment, cette pièce n’avait pas changé. Jamais, depuis toutes les années qu’ils se fréquentaient. Ce lit était à Nymea mais aussi un peu à elle. Et si elle y repensait fort, elle aurait honte. Est-ce que sa femme se doutait de quelque chose ? Probablement. Iris frissonna et posa ses prunelles sur Arlo en penchant la tête sur le côté, un sourire amusé aux lèvres.

« Juste un verre… ou deux… »

Qu’elle lui chantonna. Quelque chose comme ça. Sans doute un peu plus. Mais elle ne voulait pas penser à ça, alors quand il lui dit qu’elle devait se reposer, elle fit la moue et secoua légèrement la tête.

« Je ne veux pas me reposer. » Dit-elle en s’approchant de lui. Elle se positionna entre ses genoux et enroula ses bras autour de ses épaules. « C’est toi que je veux. »

Et elle l’embrassa. Un peu plus posément mais avec toujours cette même envie. Iris passa lentement ses mains en-dessous de la chemise d’Arlo, toucha son ventre, son torse, remonta jusqu’à lui enlever ce tissu qui la gênait. Elle se permettait de le toucher, comme si elle ne l’avait jamais fait. Elle l’avait déjà fait, mais aujourd’hui, ça avait une tout autre saveur. Quittant ses lèvres à regret, elle se dégagea de ses mains avant qu’il ne la laisse plus partir.

Elle avait chaud, terriblement chaud.

Iris fit le tour du lit, abandonna son haut quelque part en chemin et grimpa sur le matelas. Se positionnant derrière lui, son visage tout contre son oreille et ses mains attrapant les siennes, elle déposa un baiser juste en dessous de l’oreille avant de lui souffler…

« Tu ne veux pas de moi ? »

Sa voix, presque déçue, presque une supplique. Iris ne comprenait pas. Elle avait pourtant fait tout ce qu’il fallait. Peut-être qu’il ne l’aimait plus. Peut-être que son amant de toujours été venu le récupérer ? Iris, pourtant, resta là, sa poitrine pressée contre son dos. Un contact qu’ils n’avaient pas encore expérimenté, qu’elle n’avait jamais laissé faire. Elle ne savait pas pourquoi, il dégageait une douce chaleur qu’elle commençait à apprécier. Iris lui embrassa l’épaule dans l’attente d’une réponse.

C’est lui qu’elle veut aujourd’hui.
Ses bras pour l’étreindre.
Son sourire pour la rassurer.
Ses yeux pour la regarder.