NE REGARDEZ PAS LE RENARD QUI PASSE, REGARDEZ LE SEULEMENT QUAND IL EST PASSÉ
La chanson qu'entonnaient toujours les enfants quand Kelisendra ─ Kell, bon sang ! ─ se joignait à eux pour jouer. Le plus drôle, c'était que tout le monde pensait que ça serait facile d'avoir Kell quand ils jouaient, parce qu'elle était petite et qu'avec une telle chevelure de feu, c'était pas possible de la rater ; pourtant, y avait personne qui la trouvait quand ils jouaient à cache-cache. Elle se trouvait en hauteur souvent, ou des fois, si proche du sol qu'on pourrait presque lui marcher dessus. Ça l'avait toujours amusée, Kell, parce qu'elle était imbattable à certains jeux, puis elle courait vite aussi. Ça amusait un peu moins ses parents parce qu'elle venait jamais quand ils l'appelaient du premier coup. Kell, elle leur criait de la trouver, puis quand ils ne le faisaient pas, elle disait qu'ils n'étaient pas drôles. Gamine qui ne tenait pas assise, qui mangeait même debout, qui se battait aussi, parce que c'était une question de fierté pour elle. Elle allait toujours trop loin, la renarde, et c'était peut-être tout ça qui la sauverait à l'avenir. Ou peut-être que ça la condamnerait, parce que si les enfants ne la regardaient que quand elle était passée, ce n'était pas le cas des ombres qui rôdaient.
THINGS WE LOST IN THE FIRE
Renarde qui se promenait dans les bois, qui escaladait les arbres et sautait inlassablement, espionnant écureuils et oiseaux, en quête d'un brin d'aventure et d'action. Elle était seule parce qu'elle s'était un peu trop enfoncée dans les bois, et elle s'était pas retournée que ses amis la suivaient plus. Elle aurait dû insister cette fois-là, les encourager à venir vivre une aventure avec elle, ne pas se limiter à leur village. Ce fut uniquement quand la soirée s'annonçait qu'elle décida de retourner chez ses parents, surprise qu'ils ne l'aient pas encore grondé depuis l'orée des bois. Aussitôt ses pieds touchèrent le sol, elle s'arrêta, dans la semi-obscurité ; elle vit une paire d'yeux ; puis l'obscurité la saisit. Elle se réveilla quelques heures plus tard, et apeurée, elle courut, elle sentit la fumée et entendit les derniers cris, et dans le village, le feu régnait toujours quand elle arriva, ça sentait pas bon, ça sentait la destruction. Et Kell, elle cria après ses parents, mais le silence fut sa seule réponse.Elle resta plantée là alors qu'on éteignait les flammes, resta à l'orée des bois, craignait sa propre chevelure dès qu'elle apparaissait dans son champ de vision. Il avait commencé à faire froid, même, malgré le feu qu'il y avait eu, et l'air était saturé de cette odeur de chairs cramées et des cendres de ce qui restait de sa vie. Elle resta là des heures avant que Nelis n'arriva, n'emmena la gamine dans un orphelinat, décrochant à peine quelques mots sur ce qu'elle savait, parce qu'elle, elle avait rien vu. Elle était pas là. Et cette culpabilité la traquera toute sa vie.
ONE WRONG MOVE AND YOU'RE DONE FOR
L'orphelinat, pour une gamine qui avait été une vraie tempête comme elle, c'était une punition au quotidien. Les autres enfants étaient des brutes, alors c'en était devenue une aussi, sauf qu'elle parlait pas pour s'excuser après. Si un gosse se prenait un poing dans la tronche de sa part, c'était qu'il l'avait mérité, c'était pas autrement. Si on avait juste pu la laisser dans un coin, elle aurait été plus heureuse, mais ça grouillait d'enfants partout, y avait des groupes, et la renarde s'entêtait dans son mutisme cassé par des insultes et des cris, des règlements de comptes qui finissaient toujours mal. C'était pas faute d'avoir tenté de fuir plusieurs fois, mais elle revenait à chaque fois à cette case, comme s'il n'y avait plus d'autre chemin pour elle.C'était même lors d'une fuite qu'elle perdit le petit doigt de sa main gauche. Ou plutôt qu'on lui coupa, parce que c'était qu'une voleuse, en plus c'était une orpheline, elle serait jamais adoptée vu comment c'était une merdeuse, et avec maintenant un doigt en moins c'était sûr que personne viendrait pour elle. Elle resta des années, les yeux ouverts trop souvent, à se remémorer des flammes alors que ça criait dans tous les sens au sein de l'institut, alors qu'on lui tirait les cheveux et qu'elle était plus appelée la renarde, mais des surnoms beaucoup moins gentils, comme Kell Neuf-Doigts. Ce qu'ils savaient pas, c'était que ce doigt en moins, c'était rien pour elle. S'ils pensaient l'insulter, ils s'fourraient le doigt dans l'œil, parce qu'elle savait toujours aussi bien frapper et voler.
Puis, un jour, quand tout espoir semblait perdu, quand on lui prévoyait un avenir miséreux, Nelis revint pour elle. Pour la première fois, elle sourit sincèrement.
AND IF THERE'S A REASON I'M STILL ALIVE WHEN SO MANY HAVED DIED THEN I'M WILLIN' TO WAIT FOR IT
Kelisendra, Kell, Kell Neuf-Doigts, à ce tableau on rajoutait Eden, jeune apprentie pour être vraiment une Syràn, parce qu'elle voulait aller jusqu'à la greffe, elle voulait être meilleure encore et encore. Mais elle était agitée et irréfléchie, se lançait un peu trop vite dans les ennuis. Ça partait jamais d'une mauvaise intention, mais elle trépignait tellement d'action et d'aventure qu'elle oubliait les conséquences de ses actions. Elle était certainement pas l'apprentie la plus assidue, mais il y avait certainement quelque chose à faire avec toute cette volonté, et c'était pour ça que Nel était là.Parce qu'elle avait un avenir, elle était pas rien du tout. Peut-être même qu'un jour on l'appellerait la Renarde et qu'encore une fois, les gens s'étonneraient de voir sa chevelure de feu se dissimuler dans l'obscurité. Puis il y avait cette paire d'yeux qu'elle n'oubliait pas, ce qu'elle avait vu dans les bois avant d'être assommée, ce qui l'avait sauvée et le geste qu'elle avait détesté pendant des années, la condamnant à ne pas être là quand il le fallait.
Mais ça n'arriverait plus, désormais. Elle serait toujours là où il le fallait.