"la lumière autour,
et toutes les autres,
couleurs d'espérance"
Les remous agités de l'océan qui venait lécher le ponton, les mouettes au dessus de leur tête et l'air marin signaient en un cliché parfaitement ajusté le village de pêcheur se jetant directement dans l'Océan. Il faisait doux y vivre, tant il était idéalement placé; trop proche de l'océan pour risquer une invasion de pillards, pas assez éloigné des villes pour que les pirates se risquent à y tenter une quelconque approche. Le temps y filait doucement, avec bonheur et les villageois étaient suffisamment conscients de leur chance pour savourer ce sentiment simple. Au centre de la place du village, où siégeait habituellement le marché des producteurs locaux venant présenter à qui mieux mieux leur dernière charcuterie, leurs nouvelles plantes médicinales acquises à la capitale ou encore leur plus belles broderies, trônait également la grande maison du maire. Et il y régnait un capharnaüm bien différent et éloigné de l'apparente tranquillité qui suintait dans les rues pavées. Trois bambins faisaient fi de la volonté de leurs parents de se reposer et s'employaient à déverser tout autour d'eux leur joie d'être au monde. Nelis, le calme aux émotions débordantes, Lilya, la créative qui n'aimait rien mieux qu'écrire et dessiner sur les murs et Jasper, le colérique, le plus attachant cependant, ce minuscule enfant qui savait déjà faire régner sa loi. Ils étaient beaux, doux, et ils faisaient le régal de leurs parents qui, en géniteurs attentifs, savaient déjà qu'ils feraient de grandes choses. Il était étonnant de les voir évoluer, ces trois-là, faisant et défaisant des alliances, se jetant à corps perdus dans des affrontements majeurs pour une sucette ou un jouer brodé. Mais il n'était pas de plus beau moment que celui où, réveillée par un piaillement intempestif, leur mère se levait, au plus sombre de la nuit pour les trouver réunis dans le même lit, faisant fi de leurs propres draps, endormis les uns contre les autres, apaisés, simplement ensemble.
"c'était vous, et vos mots,
moi et le silence,
quand tout s'est effondré."
Elle était soldate Syran et elle avait atterri chez eux avec le reste de sa caravane pour approvisionner la capitale en poissons frais. Elle s'était démarquée du reste de la troupe, aux yeux de Nel, grâce à ses longues boucles blondes qui tombaient en cascade jusqu'au creux de ses reins. Elle était belle, elle est animale et elle dégageait une lumière qu'il n'aurait su décrire avec des mots. Et il en était ébloui. Elle s'approcha de lui et dû lire des choses que personne n'avait décelé auparavant, car bientôt, elle se présenta à la demeure familiale et parla longuement avec eux. Un chemin qui s'étendait à ses pieds. Une voie honorable, lumineuse et pavée d'aventures, de rencontres inoubliables et de rêves. Ses parents lui laissèrent le choix, convaincus qu'il était destiné à accomplir de belles choses, peu désireux de le voir s'enfermer dans une profession de pêcheur, comme c'était la plupart du temps le cas par ici. Il guetta l'approbation dans leur regard, essuya la colère de Jasper qui ne souhaitait pas le voir quitter la maison, reçu une embrassade de Lilya et s'embarqua pour la plus grande de ses aventures. La formation fut longue, difficile, parfois, il eut envie de partir, de quitter les rangs, cette guilde pour laquelle il n'était pas assez bien mais chaque fois, Elina lui faisait comprendre combien il était légitime. Les mois s'égrenèrent, puis les années et bientôt, l'accomplissement de sa voie; la greffe. Le jour de son obtention fut celui où son village d'enfant fut rasé de la carte par des pillards, contraignant sa famille à l'exil en Syran.
"rester fort et droit
pour ne jamais céder
ne jamais ployer."
A la fin de son apprentissage, et dès lors qu'il eut retrouvé les siens, il s'y présenta, sans attendre. Il avait toqué à la porte, trop impatient pour attendre croiser quelqu'un, trop étranger, à présent pour entrer sans y être invité. Cliquetis de loquet, visage interloqué, puis joie, et vagues de larmes. Sa mère l'accueillit avec le bonheur simple de ceux qui ont été trop longtemps séparés et la maison fut le théâtre de retrouvailles émouvantes pendant quelques heures. Il accueillit avec bonheur l'annonce concernant sa sœur qui avait rejoint l'académie des dessinateurs et qui, si elle donnait peu de nouvelles, tentait d'écrire à leurs parents dès qu'elle le pouvait. Mais les nouvelles furent troublées et rapidement, les sourires s'effacèrent. Ils lui contèrent les déboires de son frère et alors, il tenta de le prendre avec lui; de le guider sur cette voie, comme lui-même l'avait été. Il ne récolta que colère et rejet, de cet enfant qu'il avait tant aimé. Leurs chemins semblèrent se séparer pour ne plus se croiser, pendant de longues et tristes années.
"craindre le pire
suffoquer dans la nuit
apprendre à s'ouvrir."
Le Chaos. Il avait préféré à son frère, à la vie qu'ils avaient connu, au bonheur, le chaos. Il leur avait préféré la mort. Nel accusa longuement le coup de la nouvelle qui lui était parvenue par courrier de sa sœur. Jasper était un pirate, et elle n'avait plus eu de nouvelles de lui depuis son départ du village. Que devenait-il? Était-il dans les rangs de ceux qui essayaient d'infester l'empire pour le détruire? Il y pensait énormément, retenant ses émotions pour ne pas qu'elles le débordent, comme cela était parfois le cas dans les moments où il ne parvenait plus à les contenir. Il apprenait encore sur lui-même, et il aurait très probablement à le faire toute sa vie. Il y pensait, mais en pointillés, car sa vie venait de prendre un chemin inattendu. Elle s'appelait Iris et poser les yeux sur elle avait scellé son destin au sien, irrémédiablement, sans qu'il ne puisse réellement s'en détourner. Iris, brisée, éreintée, presque éthérée, qui ignorait la lumière qu'elle portait en elle, qui ne voyait pas combien elle était belle, combien elle était lumineuse et il n'avait rencontré auparavant de personne plus à même d'arpenter la voie. Il gagna sa confiance, sans trop savoir si elle lui serait jamais totalement acquise et ensemble, ils progressèrent sur ce qui avait été pavé pour elle.
voile qui recouvre tout
mais qui n'étouffe rien
chez celle qui est.
Il l'accompagna dans tous les questionnements, les doutes, les peurs qui l'avaient lui-même agité, avec la conscience que peut-être il ne rencontrerait plus jamais d'apprentie comme elle, savourant avec elle la moindre journée passée. Et quand vint la fin il s'aperçut que le fil de ses pensées rejoignait souvent son chemin, même s'il ignorait où elle était, ce qu'elle faisait, elle était là, partout avec lui, dans le moindre bruissement du monde, dans chaque souffle échangé, chaque brise l'éveillant au petit matin.