l'ivresse de la vie (ft. Nelis)

Elle n'était pas l'élève parfaite, c'était un fait dont elle avait conscience. Et elle n'essayait pas de l'être, parce qu'elle savait que si elle se mettait ça en tête, elle se laminerait le moral ; ne se trouverait jamais à la hauteur parce que ses capacités n'étaient pas les mêmes que celles de son mentor, parce qu'un Syràn était différent d'un autre et chacun faisait avec ce qu'il pouvait. C'était quelque chose avec laquelle Kell avait du mal, parce qu'elle était encore jeune et que si elle avait été élevée par ses parents, peut-être que ses talents seraient un peu mieux centrés, qu'elle verrait chaque jour sous une nouvelle lumière. Mais elle avait appris à survivre, et on utilisait pas les mêmes outils que les autres quand on voulait juste survivre un jour de plus. On tentait de se faire sa propre porte de sortie, avec des armes ridicules, puis quand on s'en sortait, on réalisait bien assez vite que l'extérieur était pas mieux que l'intérieur tout pourri d'où on venait.

La rousse était chanceuse d'avoir été choisie par Nelis pour être entraînée, et il lui donnait des meilleurs outils pour faire un peu mieux que survivre. Mais elle en usait pas trop, parce qu'elle était une personne têtue et qu'elle se détournait souvent du chemin qui devait pourtant paraître clair pour son mentor ; mais la gamine avait toujours aimé les forêts et les bois, se perdre parmi les arbres et regarder chaque être qui y vivait, alors c'était peut-être tout naturel pour elle de prendre du temps. Ou d'avoir peur de ce qui l'attendrait face aux autres, quand il serait temps d'évaluer si elle était digne d'une greffe. Alors, elle prenait son temps, même pour revoir Nelis, parce que rien n'était urgent, parce qu'elle avait des mystères de son passé à résoudre avant de pouvoir envisager un vrai avenir, où elle ne craignait pas les mains qui se tendaient à elle.

Puis c'était des questions pour plus tard, en attendant elle préférait faire un peu sa vantarde et le défier, comme s'il n'avait pas plus d'entraînement qu'elle et plus d'expérience, mais ça se lisait dans ses yeux qu'elle était pas là pour gagner. Si elle appréciait quand il la laissait seule pour mener ses propres aventures, elle appréciait tout autant lorsqu'ils se retrouvaient et qu'ils pouvaient voyager silencieusement autant qu'ils pouvaient parler de ce qui s'était passé durant les derniers jours.

Le vieillard en question ne prit même pas la peine de sortir une arme à son tour, se contenta de laisser tomber ses affaires et la renarde lisait sur son visage que ça ne se jouerait qu'en quelques secondes, et elle avait raison. Elle n'eut même pas le temps de songer à ce qu'elle devait faire que c'était elle qui était en position de faiblesse, mais elle levait la tête haut et y avait toute l'insolence de la jeunesse dans son regard, loin de la sagesse qui irradiait des yeux de Nelis.

-Voyons, je t'ai laissé faire, elle déclara en tirant la langue comme une gamine impolie avant de se défaire de la prise et récupérer sa dague, tandis qu'elle-même reprenait ses quelques affaires. Hmm, je ne termine jamais vraiment mais on va dire que pour cette fois...

Et elle s'apprêtait à renchérir, parce que Kell aimait avoir le dernier mot ─ en plus de chercher les ennuis, on ne va pas se mentir ─ sauf que le plus âgé lui coupa l'herbe sous les pieds. Elle le regarda, interdite, pendant de nombreuses secondes. Quelque part, la colère bouillait en elle parce que Nelis était arrivé à trouver quelqu'un qui pouvait répondre à ses questions, alors qu'elle en avait été incapable. Mais c'était une autre appréhension qui ressortait sur son visage ; une sorte de peur d'apprendre la vérité, devoir se résoudre à ce qui s'était passé et enfin réaliser qu'elle ne pouvait plus rien changer. Mais combien de gamins ne rêvaient pas de changer leur passé, pour oublier les cicatrices que ça avait causé ?

-Emmène moi à lui, alors, déclara-t-elle finalement, mais sa bouche était pâteuse.

Cette fois, elle suivit silencieusement Nelis en travers des rues, elle jouait avec les pans de sa veste tandis qu'elle ne cessait de regarder ce qu'il y avait autour d'eux. Ça, c'était les signes de sa nervosité, et elle n'arrivait pas à les cacher, alors qu'elle aurait dû. Elle aurait dû mieux savoir, mais Kell était une apprentie qui était lente à la détente quand il s'agissait de son comportement, apprenait plus vite comment bien frapper pour casser un nez, plutôt que d'apprendre à réparer celui-ci. Lorsque son comparse ralentit le pas, elle se figea quelques pas avant lui, et songea un instant à faire demi-tour.

A part le fait que tout avait brûlé, qu'est-ce qu'on allait lui apprendre de plus ?

Kell resta figée, soudainement terrifiée par ce qu'elle ignorait, ou pire encore, par ce qu'elle savait déjà.