l'an 1192
— naissance.
on raconte que sa mère cherchait sans doute à atteindre le refuge poisseux de nuxvar mais qu'elle n'en a pas eu le temps. son corps était déjà froid, quand on a trouvé helna. à se demander comment et pourquoi elle avait survécu ; la môme sans défense qu'aucune bête n'avait pourtant touché. gisait là, tout près d'elle, la dépouille de sa génitrice. recueillie par des prêtresses fiel, il n'est même pas question de se demander d'où elle vient ; ses grands yeux noirs brillent déjà d'une obscurité latente, affamée.
1192 - 1207
— enfance.
pourtant, on la met quand même à l'épreuve. après tout, elle n'appartient à personne. alors, on la confie aux meilleurs. alors, on la confie à fimjir lui-même. un apprentissage qui s'apparente parfois à de la torture. et si l'enfant glapit, nulle pitié ne lui sera accordée. à toujours pousser sa résistance au plus loin. à toujours tester ses limites - jusqu'à les effacer. les brouiller. on lui apprend le feu et la rage. on lui apprend la morale ; on lui apprend comment la taire, la contourner, jusqu'à l'effacer. à l'aube de son âge adulte, on la laisse. faire ses propres expériences. ses propres erreurs. helna est déjà ambitieuse. il lui faut se brûler elle-même pour comprendre. on l'encourage même à commettre l'irréparable. la hargne aux dents, la sorcière s'essaie aux sortilèges qu'elle ne peut encore maîtriser. fimjir la punira sur l'instant ; et dans d'atroces souffrances, ses hurlements apprendront au ciel qu'elle ne pourra jamais enfanter.
1226 - 1235
— mère-dragon.
qu'importe sa malédiction. qu'importe la mort qui rôde autour d'elle et dont elle se drape, fière et insaisissable. dès que ses yeux sombres se sont posés sur la gamine, elle a su. c'est instantané. pas même besoin d'entendre la prophétie dont on la comble ; helna sait. c'est lors d'une nuit sans lune qu'elle se l'accapare. comme d'un trophée. l'enfant est saisie, dérobée. les parents, muselés aux cachots. à elle, désormais, de la faire grandir. de l'éduquer. de lui apprendre, comme on lui a appris, à elle. au gré des années qui se tassent, helna efface nithya pour faire naître la dragonne. sa première création. la plus belle, sans doute. maternité carnivore. et si l'affection s'est installée au fond de sa carne esseulée, helna la tait, lui préférant la main tranchante.
1235 - 1249
— appétit piraterie.
elle a laissé l'enfant-dragon aux mains du coven. il lui faut autre chose. soudain, le ciel s'est révélé trop bas. l'horizon, trop près. insatiable affamée, la bête s'est lassée. c'est la mer qui l'appelle, désormais. plus tard, elle se dira. que ce sont forcément les dieux, qui l'ont guidée jusque là. dans un univers qui n'est pas le sien. la salinité se dépose pourtant avec affection sur ses blessures déjà infectées. qu'importe. si ça brûle, c'est qu'elle vit encore. engagée sur le pont du red fling, helna se sent à sa place. ici, on se fiche de qui elle est. d'où elle vient. ce qu'elle pourrait accomplir. elle ne se mélange pourtant pas aux âmes qui pillent et mettent les océans à feu et à sang. trouve son compte dans leur cruauté. leur absence de règles. l'écho de la violence viscéralement accrochée sous l'épiderme, elle ne se mêle pas à eux, pourtant. la nuit, la sorcière hante le pont comme un spectre maudit. ça ne fait qu'une semaine qu'elle est dans l'équipage quand elle croise son regard. c'est qu'un môme. la flamme se rallume. elle lit dans son âme cette faim qui le ronge, lui aussi. qui ressemble à la sienne. sous sa cape, c'est syn qu'elle entraîne. qu'elle enrôle ; pourtant, c'est différent, cette fois. elle ne se sent pas mère. elle ne veut pas l'être. elle veut être sa créatrice. le moduler de ses doigts comme une poterie. inséminer en lui sa passion de l'obscur comme un poison. une drogue dont il ne saurait plus se passer. finalement, c'est à cette tâche qu'elle va s'atteler. quatorze ans sur l'océan. elle ne l'éduque pas, syn. elle le crée. ce n'est pas comme avec nithya. elle ne veut pas être sa mère. elle veut qu'il soit son double. son ombre. le fantôme de sa cruauté. le miroir de ses vices. elle place en lui tous ses espoirs les plus troubles. tous ses rêves les plus obscurs. elle lui apprend la vie à travers la mort. le forge de son feu, à elle, au beau milieu de l'eau. jusqu'à l'élever à son niveau. sans plus vraiment de maître ou d'apprenti. il n'y plus de syn ou d'helna. ils sont un.
1249 - 1256
— errance accompagnée.
ils sont revenus sur la terre ferme. il leur reste du chemin à faire, pourtant. helna le pousse toujours. leurs flammes se croisent. se répondent. elle le regarde autrement. elle le regarde différemment. ce qu'il réveille en elle, elle en est sûre, est digne d'une malédiction. mais elle est dame des ombres et creuse sa tombe au plus profond de ses prunelles claires. elle noie ses vices dans leurs nuits blanches où ils refont le monde, bâtissent à même les cendres qu'ils répandent. ils sont plus qu'une équipe. ils sont une seule main. une seule âme. au creux de ses entrailles, la bête se débat. s'éveille ; trouve en lui une résonnance. la source d'un manque dont elle n'avait, peut-être, pas même conscience. elle accueille le danger en son sein. toujours en silence. jusqu'au jour où celui-ci fait trop de bruit pour être ignoré. elle ne sait pas vraiment. si c'est lui, si c'est elle. qui a fait le premier pas, puisqu'ils marchent de la même enjambée. elle ne sait pas vraiment. pourquoi. comment. quand ça a commencé à germer. quand est-ce qu'elle l'a enterré. quand est-ce que ça se réveille trop fort pour le repousser encore. persuadée que céder la mènera à sa perte. elle a raison. mais helna a toujours eu l'appétit du risque. le vice de l'interdit. et syn est la plus belle trahison qu'elle puisse faire à ses propres règles. il est l'emblème de l'entorse à ses propres lois. alors, forcément, qu'elle cède à l'appel lancinant qui rumine dans ses tripes depuis trop longtemps, lui semble-t-il. elle se souvient encore. du capharnaüm étourdissant qu'a fait sa passion obscure, déréglant chacun de ses paramètres internes. oui, helna se souvient. une seule nuit qui hante encore ses souvenirs carbonisés. une réminiscence qui reviendra, encore et encore, semblable à un phoenix maudit. quel comble, pour une sorcière, de se retrouver piégée par un sortilège adverse. quand, dix-neuf ans après avoir mêlé son âme à la sienne, leurs corps se sont unis à leur tour. comme une évidence. comme une sentence.
depuis 1256
— retour aux braises d'ébène.
la madone a insisté. il lui faut aller plus haut, plus loin. n'importe où, mais loin d'elle. le danger a été trop grand. il y a toujours un prix à payer. alors qu'elle pousse syn à côtoyer les hautes sphères où elle ne mérite pas d'y mettre un pied, la sorcière s'égare. dès lors, elle revient à la source. retrouve les braises d'ébène. pour oublier le manque agressif qui grignote ses chairs, elle s'acharne. reprend où elle avait tout arrêté. proclamée gardienne du coven, elle devient flame. pour oublier ce qui la lacère chaque jour qui passe, ce que le temps ne peut tuer, ce qui l'a un jour rendue faible. elle se l'est promis. elle ne le sera plus jamais. dans les étreintes ardentes, helna n'offre que des caresses assassines. ses mains, du papier de verre. tendances mante religieuse. prédatrice affamée qui ne trouve pourtant aucun repos à sa faim, qu'importe ce qu'elle avale, qu'importe ce qu'elle arpente. la faim grandit, le monstre aussi. dévore les ombres pour oublier le goût qu'a eu la lumière. madone redoutable s'écharpe d'un manteau de nuit pour échapper à la furie des jours trop clairs. elle devient cauchemar des terres pour oublier l'ivresse des mers. sa mémoire comme un fardeau, la sorcière préfère vendre son âme à fimjir. mais l'appel hurle au fond d'elle. elle le sait. elle a beau l'étouffer ; un jour, il deviendra impossible à maîtriser. impossible à ignorer. après tout, la faim ne trouve jamais son compte dans les miettes dérisoires qu'elle lui offre.