01
Aermagh entend le premier souffle de l'enfant. Un corps minuscule qui ne braille pas, qui ne bouge pas. La mère chuchote des prières, se refuse à l’abandonner sur le bas-côté, avec la ribambelle des morts-nés qui sont le fléau de cette année. « Molech » Répandu dans l’air comme une symphonie, puis un cri. Il vit.
02
La terre est maudite. La misère se répand, s’éprend des gorges qui s’affament. La survie ne lui offre aucun autre choix - canaille ment et vole, se faufile à travers les rues, sous le regard des adultes. Bandit vif. Renard agile. Paluche s’en prend à une figure nimbée d’habits fastueux. Le filou tombe sur une expérimentée. Une femme qui agrippe son poignet et l’empêche de s’échapper. Un papier lui est faufilé entre les filaires. « J’sais pas lire » Ronchonne marmot. « Tu apprendras. » L’aventure s’oublie dans les replis de son crâne. Il continue ses larcins, essaye de ne pas crever, de faire survivre la famille.
03
Départ pour Orveil. Trop de bouches à nourrir, plus assez de monnaie. Il dit vouloir s’engager, rejoindre le monde salé. L'orbe en pâmoison devant les grands navires. Il reste des jours sur le port, à admirer les bâtiments flottant sur la grande ondine. Au matin du cinquième jour, une voix chuchote contre son oreille « Te voilà enfin. » Elle est là, la femme du temps passé ; Hagal. Une figure de l’ombre de l’empire. Assassin qui lui tend sa main, le prend contre giron pour lui apprendre les rudiments. Il accepte sans retour, sans regret. Les siens sont abandonnés. Hagal se peint de divers visages : maitre, famille, amante. Elle inaugure sa première ébauche de sentiments. Il ignore l'âge qu'elle ne lui dira jamais - le double du sien. Le coeur ramdam est fasciné, attaché.
04
Vingtaine, ses ambitions sont achevées, tailladées dans la chair, en giclées sanguines sur les pavés. L’affront le met sur le sol, le condamne à mourir dans la souffrance. Médiocrité. L’Assassin assassiné, comptine ricane dans son crâne. Il n’a plus la force de se relever et l’autre refuse de l’achever, s'est barré. Solitude douloureuse. « Penses-tu mourir bientôt ? » Une voix moqueuse dans ses pensées, l’impression d’avoir halluciné. « Je suis patient, je vais rester près de toi. Je regretterai qu’un autre me vole ma pitance. » Il ne discerne plus le vrai du faux. Molech se bat contre la mort, il refuse les limbes. Des ailes géantes se referment sur lui, protègent la carcasse abimée. Vautour traine la charogne humaine jusqu’aux portes d’une guérisseuse.
05
Une cote perpétuellement cassée. Un œil qui fonctionne à moitié. Bon à rien pour les assassins. Hagal n’est pas venue le trouver, l’a abandonné. Un navire impérial le récupère pour nettoyer les fonds de cale. Il grimpe les échelons, prouve sa valeur, leur montre le gout du sang et le maniement des lames. Cerbère de l’équipage.
06
Le nom se tisse dans le sang, sur le bout des langues tranchées. Un capitaine impitoyable. Un navire aux voiles d’un noir dégueulé des enfers. L’annonce au loin est mortuaire, signe de carnage. Une ombre plane au dessus des prochaines victimes, un présage qu’aucun ne néglige, que tous murmurent comme une légende trop terrifiante pour ne pas y croire. L’équipage est constitué par les rébus de l’empire, les pires, les salauds, des rigolos, la horde du contrevent. Suicid Squad ondin. La légende a déraciné toute humanité. Derrière l’oeil subsistant, il n’y a pas de monstre, ni de loup, ni de démons. Juste un homme aux plaies salées.