I. Braises
Un écrin avait été construit par un Syran et une Fiel, au creux des vallons d'Orcylin. Ils avaient choisit l'amour et la délicieuse banalité d'une vie simple, lui, abandonnant la joute pour le noble métier de forgeron, elle, pure et bienfaisante qui n'usait de sa magie que pour le bien. Lorsqu'elle se trouva enceinte, ils choisirent de s'établir sur cette terre d'accueil où les guerres de clans étaient des plus rares et où ils pouvaient se fondre dans la masse, voulant offrir à l'enfant à naître une vie paisible et pleine de possibilités. Ils ne savaient pas qu'un autre mal plus pernicieux s'emparerait d'eux quelques années plus tard. Dans la petite maison toute simple entourée de lierre que le couple avait peu à peu meublé d'objets du quotidien et de tendres souvenirs, une première petite fille naquit. Elle avait les yeux d'azur, de sombres mèches en duvet sur son crâne encore luisant, et son père en tomba immédiatement sous le charme quand on la mit dans ses bras. Il la berçait contre lui, œil inquiet alors que les cris de sa femme qui ponctuaient la nuit d'été ne s'arrêtaient pas et que ses fines mains restaient agrippées aux baldaquins du lit ; lorsque la délivrance vint enfin, ils posèrent tous deux des yeux ébahis et amoureux sur les deux fillettes qui étaient finalement nées avant l'aurore. Ils chérirent ce cadeau du destin, se promettant de rendre chaque jour plus beau que le précédent.II. Incendie
Evanora, c'est ainsi que fut nommée la première née, enfant téméraire et au caractère bien trempé qu'elle développa très tôt. Mèches brunes au vent et yeux bleus emplis de malice, elle avait ce goût de marcher pieds nus, d'attraper moultes animaux et insectes durant de longues balades, mais surtout, elle n'avait peur de rien. Ses petits poings serrés sur sa taille, elle pouvait défier des adultes faisant trois fois sa taille lorsque l'on ne cédait pas à ses caprices - mais ô comme on l'aimait, tout comme on aimait la douceur de sa jumelle, Morgana qui était l'inverse d'Evanora ; cheveux dorés et iris chaleureux qui inspiraient le calme et déjà, la sagesse. Ames contraires et pourtant fusionnées, les deux petites filles partageaient un lien profond et étaient rarement éloignées l'une de l'autre. Les cinq premières années de leur vie s'écoulèrent paisiblement sous la main attentive et aimante de leurs parents qui remarquèrent vite que de leur mère elles hériteraient leurs pouvoirs. Laissant l'enfance se dérouler, ils remirent à plus tard l'apprentissage, les sorts ; les fillettes avaient le temps d'apprendre que toute action avait un poids dans la balance de l'univers, et qu'une vie en demande une autre. Faisant fi de leur volonté, la leçon arriva bien trop vite un terrible jour hivernal. Préservées des perversions de ce monde, Evanora et sa sœur ne savaient pas qu'un nuage flottait sur leur foyer, prenant la forme d'un patrouilleur Laëris qui avait jeté son dévolu sur leur mère, si belle, si gracieuse. Poliment ignoré, puis rejeté lorsqu'il essaya de poser la main sur elle, son obsession se transforma en rage qui le dévora alors qu'il se tenait derrière un mur, lorgnant sur elle un regard débordant de convoitise. C'est dans son dos qu'il se fondit, voulant l'attraper, l'emmener, sans but précis si ce n'était de la faire sienne. Pour la première fois, elle usa de son pouvoir à d'autres fins que l'altruisme, excédée par cette menace qui planait sur sa vie et celle de sa famille - et envoya un onde invisible et brûlante qui propulsa l'homme à terre. Le mari sortit précipitamment à son tour, prit par surprise, que pouvait t-il faire avec ses seuls poings contre l'armure et la lame d'acier ? Celle-ci le transperça en un cri de rage qui fendit le crépuscule en même temps que le hurlement de détresse poussé par l'épouse. "Maintenant tu m'appartiens." sifflé entre les dents du soldat qui voulu s'emparer d'elle, l'empoignant pour la retourner vers lui ; constatant avec horreur que les yeux de la belle étaient devenus rouges alors que des mots indistincts sortaient en murmures de sa bouche. Des voix émergèrent du silence glaçant, la panique gagna l'assassin qui n'hésita qu'un très court instant avant de la poignarder à son tour, éteignant la lueur de ses yeux tandis que la mère rendait son dernier soupir. Relevant la tête, il fut un instant paralysé en croisant un regard qui le vida de toute sa chaleur. Evanora, du haut de ses cinq ans, se tenait dans l'encadrement de la porte et le fixait des mêmes yeux incandescents qu'il avait fermés quelques secondes auparavant. L'extrémité de ses doigts rougeoyait comme la braise alors qu'un vent se leva tout autour d'elle, agrémenté d'étincelles qui eurent vite fait d'embraser l'herbe et le toit de chaume de la maison. L'homme qui venait de lui arracher ses parents s'enfuit dans la nuit alors qu'elle poussait un cri surnaturel, continuant de tout enflammer autour d'elle avec plus de puissance avant de s'effondrer au sol, inconsciente.III. Ignis
C'est à l'arrière d'un chariot qu'elle reprit conscience, secouée par les soubresauts des roues grinçantes. L'image de ses parents au sol et de la maison envahie par les flammes s'imposa sous ses paupières encore closes où se mirent à couler des larmes. Son jeune esprit comprit que père et mère n'étaient plus, et qu'elle avait provoqué un chaos enflammé qui avait du ôter la vie de Morgana, prisonnière de la maison qui se consumait. Les larmes redoublèrent tandis qu'elle gémissait, ne remarquant pas que le chariot s'arrêtait et qu'une vieille femme encapuchonnée dans une robe carmin se retournait pour la regarder ; "Dors, mon enfant, demain ton ancienne vie sera derrière toi.". Evanora venait d'être emmenée en Junfark où elle avait été bannie et abandonnée par les citoyens d'Orcylin qui l'avaient jugée coupable de l'horrible scène où elle fut découverte - elle n'eut pas la possibilité de s'expliquer, ni de savoir que sa sœur était toujours en vie quelque part, comme elle. Personne n'avait voulu s'embarrasser d'une enfant à arrêter et juger, surtout lorsqu'elle l'enfant était capable d'invoquer les flammes ; autant s'en débarrasser là où est sa place et ne plus jamais en entendre parler. Année après année, le temps fit son œuvre et Evanora grandit au sein du Coven du Dernier Age, cultivant sa magie et les rouages de son esprit. Maera, prêtresse qui l'avait recueillie, l'entraîna d'une main de fer, ne souffrant d'aucune faiblesse. Il y eut des cris, des larmes, des mains douloureuses et un corps meurtri avant de commencer à maîtriser la magie du feu. Adoptant le nom de Ignis car ne se rappelant ni de son nom de famille ni de la chaleur de celle-ci, la petite fille était partie depuis bien longtemps. La femme s'était endurcie, apprenant les jeux de pouvoir, les ruses, les sorts occultes, yeux fermés et corps en transe lors des rites sacrés où elle pouvait regarder dans les yeux le Dieu de la Mort qu'elle jura de servir en faisant couler son propre sang sur l'autel. Devenue Sorcière du Premier Age lorsque sa supérieure ne fut plus de ce monde, Evanora entreprit de faire régner la terreur chez ces Autres qu'elle avait apprit à haïr, tous ceux qui n'étaient pas des siens, tous ceux qui lui avaient volé sa vie. Qu'ils souffrent comme elle avait souffert, et leur douleur serait éternelle car la sienne l'était aussi. Jouant avec les flammes au bout de ses doigts, elle regardait avec un sourire mauvis l'horizon depuis sa fenêtre, le ciel brillant au delà des terres volcaniques et orageuses où s'érigeaient les tours du Coven. Il était temps que les Fiel regagnent le pouvoir qui était le leur, avec la mort et le chaos à leurs côtés pour assurer leur victoire.