1226
naître.
elle vint au monde, troquant sa vie pour celle qui l'avait portée, fait grandir, emportant dans le sang et les pleurs l'existence même. elle vint au monde et porta depuis ce jour la culpabilité d'avoir tué, avant même de savoir marcher et parler. dans cet univers sombre et morose, elle tint la main de son frère, dès les premières heures et se retrouva dans l'océan de son regard.
1226 - 1235
survivre.
et il faisait froid, dans ce monde, il faisait peur chaque jour, quand l'alcool coulait trop, quand les coups tombaient, et s'ils rêvaient à mieux, à plus grand, s'ils évoquaient des songes d'ailleurs, allongés sous les draps réchauffés par leurs discussions nocturnes, ils craignaient quelque part de ne pas y parvenir, d'être condamnée à ici, à l'horreur.
1235
agoniser.
et il partit, sans elle. elle le regarda passer le pas de leur porte, pour l'ultime fois, et si elle attendit patiemment son retour, formant dans ses cheveux les tresses maladroites qu'elle avait tenté de reproduire, souvenir de celles qu'il lui faisait et qu'il aimait tant, elle comprit, lorsque le crépuscule faucha, qu'il ne reviendrait pas. la nuit fut plus sombre, plus froide, et les larmes qui mouillèrent son oreiller eurent de nombreuses sœurs, durant de trop récurrentes nuits. elle avait neuf ans lorsqu'on l'abandonna, encore.
1235 - 1240
mourir.
et il n'y eut plus alors de rempart contre la barbarie et l'horreur. elle affronta jour après jour les violentes récriminations avinées de celui qui n'était plus un père, guère plus qu'un étranger habitant sous son toit, s'intoxiquant chaque jour un peu plus, vagissant des insultes et horreurs à son égard, quand la nuit tombait. elle était coupable de tout en ses yeux, de la mort de sa mère, de l'absence de revenus de leur foyer, du départ de son frère. elle était coupable, mais si elle l'avait voulu, ils auraient pu s'en sortir. a l'aube de ses quatorze ans, et alors qu'il évoquait l'idée de la jeter sur un bout de trottoir, elle s'enfuit.
1240
renaître.
aux roses, jetée. envolée la Dana enfant, espérant après trop d'années le retour de son frère. elle erra de villages en villages, volant de maigres rations lui permettant tout juste de survivre, vivotant plutôt que vivant réellement. chassée par les gardes des cités, traquée par ceux qui cherchait qui d'un renard ou d'un vagabond avait emprunté des œufs, elle en vint aux idées noires. mais elle échoua, là aussi et, montée sur un promontoire rocheux, seuls d'épais buissons arrêtèrent son envol. un buisson de roses. de grandes roses rouges sang, odorantes et merveilleuses. la peau meurtrie à une centaine d'endroits par les épines, la cheville brisée écoutant le martellement de centaines de sabots fauchant le sol, elle les regardait. des roses. comme elles sentaient bon.
1241 - 1250
grandir.
ils l'avaient recueillie. un détachement de l'armée impériale avait assisté à son saut dans le vide et l'avait extraite des buissons, pour lui offrir une autre vie. la protection de l'armée, le dévouement à un empire, l'assujetissement de tous ses doutes. elle enfila l'armure rutilante et embrassa une destinée, tout autant qu'une raison de vivre. elle relégua ses souvenirs au rang d'insignifiant et tenta de se couler dans une nouvelle vie.
1250
apprendre.
il était mort, leur père. et elle avait dû s'occuper de l'enterrer, de porter en terre celui qui avait été un bourreau, un tyran, l'essence même de ses cauchemars, des soucis qu'elle avait à aimer son corps et à le considérer autrement que comme un outils. elle le porta en terre quand elle n'aurait aimé que mettre le feu à tout ce qui avait composé leur vie; maison comprise. elle le porta en terre et réintégra son bastion. elle aurait tant donné pour oublier tout de sa vie d'avant.
1250 - 1262
évoluer.
l'armée lui apporta tout ce qu'elle n'avait pas connu; une famille soudée, des perspectives, un avenir et la confiance en elle que jamais elle n'avait touché du bout du doigt. grimpant les échelons elle devint astre, dirigeant d'une main de fer, juste et douce, forte et déterminée le bastion qui l'avait fait recueillie, tant d'années plus tôt.