poisonous vibrations. (mallacht)

« C'est lui, qui t'a mis dans cet état ? » Sa voix transperce les murs. Elle ne s'est pas retournée pour l'accueillir ; savait qu'il viendrait lui faire son rapport. Lancé (une fois de plus) à la poursuite de ceux qui en veulent à sa peau, à elle - car Mallacht n'est pas seulement une Lame. Il est sa lame, l'extension même de son bras. Sans l'avoir regardé, l'odeur du sang est parvenu jusqu'à ses narines. Enfin, la gardienne se retourne, faisant virevolter la longue cape qu'elle porte comme si elle venait de rentrer ou qu'elle s'apprêtait à sortir. Son regard chargé d'ombres se dépose sur le faciès de l'homme. « Approche. » ordonne-t-elle, la voix tiraillée par une fermeté naturelle, une autorité acquise au fil des ans - pas toujours de la bonne façon. Mais ici, dans son monde de feu et de cendres, il n'y a parfois pas de bonne manière de faire. Depuis plusieurs jours, Helna s'était sentie épiée. Surveillée. Une ombre parmi les ombres. Soupçonnant un membre du Bras de la Rédemption, ces nouveaux ravisseurs sauvages qui traquent les sorciers, elle a naturellement envoyé le fiel faire disparaître la menace. Sans se demander qui aurait pu la trahir. Cela ne l'intéresse pas - la liste de ses ennemis dépasse bien celle de ceux sur qui elle peut aveuglément compter et alors qu'elle le toise, elle semble le jauger, se demander s'il en fait partie. Evidemment.

Une inspiration plus tard, elle s'approche de lui. Arachnéenne, le museau froissé d'indifférence malgré une ride plus prononcée en travers du front, elle le contourne pour constater l'étendue des dégâts. Son regard vorace s'affûte au tissu imbibé de sang qui colle le haut de son épaule. Un soupir (est-elle déçue ? inquiète ?) avant qu'elle ne se saisisse de son poignet. « Viens. » Sans lui demander son avis, qu'elle l'attire vers les profondeurs de son refuge intime. Peu savent réellement où la trouver. Ce n'est pas un hasard si Mallacht, lui, sait. Plus loin sur le bureau, elle se saisit d'une petite lame et se retourne de nouveau vers lui, menton relevé pour combler l'écart de hauteur enter leurs visages. « J'en déduis que le travail est fait. Aurais-tu été distrait, Mallacht ? » Ses paupières se plissent. Elle cherche sur sa trogne un indice qui prouverait qu'elle ait raison. Mais Helna revient se camoufler de nouveau dans la grandeur de son dos. Là, la pointe de la dague éventre son haut au niveau de la blessure qu'elle devine, puis à laquelle elle fait finalement face. « Il serait temps de laisser au néant la voix des morts, Mal. » Si son timbre semble plus doux, presque mielleux, s'y cache pourtant une dose venimeuse - scorpion dans l'âme, rongée jusqu'à l'os, jalouse de tout ce qui pourrait le hanter. Elle veut être, pour lui, pour d'autres, pour tous, un fantôme harceleur qui jamais ne laisse leurs esprits en paix.

A l'aide d'une éponge grossière gorgée d'eau, elle dissipe le sang, révélant la plaie qui ceinture l'omoplate de son soldat. N'utilise pas sa magie pour le soigner - n'en connaitrait même pas les formules ni l'utilisation. Jamais elle n'a utilisé le feu à des vertus guérisseuses, laissant cette lâche tâche aux Nympheas. Ses doigts font preuve d'une délicatesse qu'on lui soupçonne peu, bien loin de la violence que Mallacht lui connait ; loin de la violence qu'elle lui réclame d'habitude. La blessure nettoyée, elle dépose sur le bureau le récipient d'eau teintée de carmin. « Raconte-moi, » qu'elle chuchote plus doucement, hantant son dos, écartant le trou béant dans son haut, directement à l'aide de ses mains cette fois. Ses lèvres se déposent sur sa peau brûlante, retraçant les contours de la plaie profonde mais dont il se remettra - elle ne lui laissera guère le choix. Sur le bord de ses lippes s'incruste la saveur onirique et séductrice de l'hémoglobine. A peine de quoi enflammer ses terminaisons nerveuses planquées sous sa longue crinière d'ébène. Ses baisers invoquent sa colère à se déverser sur elle. Sa sensualité cherche à séduire toute la haine qu'il lui voue assurément, quelque part au fond de lui, pour l'avoir condamné à cette pénitence cruelle. Helna elle, ne regrette pas le sacrifice. Les pleurs de l'enfant bercent parfois encore ses prières meurtrières. « Raconte-moi comment tu l'as tué. » Jamais plus séduite que par le Mal - le seul, l'unique, le véritable. En détachant enfin ses lippes de la peau meurtrie du fiel, la sorcière se penche, saisit une petite boîte pour en extirper fil et aiguille avec une grimace. Cela non plus, elle n'en a pas l'habitude. Ses gestes seront sûrement grossiers. Ses sutures, approximatives. Mais peut-être n'est-elle pas vraiment là pour le soigner. Ses talons s'étirent, elle niche un instant son museau carnassier à la base de sa nuque où ses dents se saisissent avec précision mais délicatesse de la peau qui s'y trouve. Une forme d'assouvissement. Un geste possessif, comme si elle était la lionne et qu'il était le lionceau. C'est pourtant à rôles inversées qu'elle l'aime le plus. Cherche ses punitions pour combler le vide immense qui la ronge, repousser les dents du néant pour lui éviter d'être dévorée crue. Helna récupère ses babines, approchant l'aiguille munie du fil des deux rebords de la plaie. Elle ne parle pas de ce qui le hante - de ce qu'elle perçoit parfois dans ses yeux troubles. Des ombres qui menaceraient de trop exister encore si elle venait à leur donner raison. « Cette cicatrice t'ira bien. » Comme toutes les autres. Comme toutes celles qu'elle ne voit pas mais perçoit dans son âme morcelée, trop de fois rafistolée. Elle ne le prévient pas, entame son labeur. L'aiguille chauffée par la seule capacité de son esprit ; il n'y a que dans le Feu qu'Helna trouve son compte. Sa rédemption.

Sois ma brûlure, Mallacht. Sois ma blessure - comme je suis la tienne.

La trogne de Mallacht est résolument immobile, bien qu’il puisse sentir ses nerfs vibrer à la lisière de sa moelle épinière. Ses yeux affûtés, soulignés de bleu, s’ancrent au dos d’Helna et s’embrasent, toujours en silence. « C'est lui, qui t'a mis dans cet état ? » Sans l’avoir regardé, sans avoir daigné se retourner, elle le constate. L’homme se redresse. Ses vertèbres craquent, marquent sa colonne vertébrale d’un frisson glacé. Les afflictions qui perforent la peau fendue et les chairs tuméfiées sont secondaires ; avalées et oubliées, comme si elles appartenaient désormais à l’entremêlement de ses entrailles. Comme si elles étaient siennes. Les lèvres rigoureusement scellées, la cicatrice marquant son arc-de-cupidon blanchit à mesure que ses mâchoires se contractent. Il n’honore pas la question qui lui a été adressée d’une réponse qui se verrait certainement pourfendue d’un claquement de langue désapprobateur. « Approche. » Au mouvement de sa cape autour de ses mollets, Helna se retourne ; parèdre qui le somme de son autorité, éclat d’épée sous laquelle son échine moite se ploierait volontiers, à en ressentir la lame sur la longueur de sa nuque. Sans souffler mot, ses jambes ankylosées se bousculent de quelques enjambées. Une dignité branlante (chancelante, non – putain d’absurde) macule le moindre de ses mouvements ; à l’instar du sang qui a coagulé sur ses doigts et qui s’est entiché de la rondeur de ses ongles ; vermeil qu’il n’a pas été en mesure de purger, et dont la crasse peint désormais ses longues phalanges, et se craquèle à chaque à-coup.

De nouveau, Mallacht s’arrête. S’il s’est rapproché, ce n’est qu’avec défiance ; et s’il prétend se réinventer soldat, un ultime sursaut de résignation le condamne à s’enliser toujours plus profondément dans l’opacité de cette obédience corrosive ; clébard sous l’œil affûté d’Helna qui avorte la distance sans tarder puisqu’il semble en être incapable. Immuable, ses yeux suivent toutefois la danse qui s’amorce autour de lui, au corps de la supérieure qui le contourne ; à remarquer son regard qui l’inspecte scrupuleusement ; à apprécier, sans qu’il ne puisse pleinement se l’expliquer, l’effet que cela lui procure – qu’elle le regarde comme elle le fait. « Viens. » A l’ordre qui lui est donné, aux doigts qui se nouent autour de son poignet, Mallacht obtempère. Gaillard planté au milieu du bureau dans lequel elle le mène, il s’agit peut-être là d’un aparté qu’il aura connu mille fois ; dont il peut envisager et anticiper tous les contours. Ne frémit qu’à peine, en la voyant tourner les talons, lame calée dans la pogne. « J'en déduis que le travail est fait. Aurais-tu été distrait, Mallacht ? » Son visage se pare d’un bref sursaut de férocité ; n’appréciant ni ses soupçons, ni cette caricature d’interrogatoire. « Non, » ment-il après avoir marqué une courte pause, la voix grinçante de celui qui parle peu ; peu, et jamais réellement bien. Il ne sait pas si Helna l’a entendu, ou si elle le croit. Pourrait prétendre qu’il n’en a cure, quand la constance de son absolution est certainement ce qui l’empêche de se jeter dans le brasier. Elle le contourne déjà, et fend le tissu de son haut du bout de sa lame. La fraîcheur de la soirée balaie sa nuque désormais à découvert. « Il serait temps de laisser au néant la voix des morts, Mal. » Ses pognes se referment sur elles-mêmes, ses ongles s’enfonçant dans le creux de ses paumes. « Tu ne sais pas de quoi tu parles. » Une exhalation lourde gangrène son atmosphère. « J’ai fait ce que tu m’as demandé de faire. N’est-ce pas suffisant ? » Son visage pivote lentement, son profil s’alignant avec la ligne de son épaule. Son œil cherche la trogne d’Helna, plantée dans son dos. Ses sourcils s’arquent, réclamant réponse à cette question qui se voudrait, sans doute, rhétorique. « Je ne suis pas troublé par les morts, » ajoute-t-il, plus doucement. Un second mensonge qui lui brûle le gosier. En ultime acte de dévotion, qu’il souligne de sa voix rocailleuse : « Je ne suis hanté que par ta voix. Celle à laquelle tu fais référence a été annihilée depuis bien longtemps déjà. » Puisqu’il sait qu’elle aime être flattée, hissée sur ce piédestal qu’elle semble chérir, exaltée ; qu’il soit ou non mérité ; et grand bien lui fasse, puisqu’à l’évidence, la réalité de ses décisions transpire la vénération aveugle qu’il lui voue. Un frisson cisaille la longueur de sa colonne vertébrale, rappelant à lui regrets et culpabilité qu’il crève sous ses molaires. Don’t think about it.

Alors, Mallacht se concentre sur les gestes qui se multiplient sur sa carne incisée. La texture de l’éponge sur ses chairs à vif. Les gouttes qui dégoulinent le long de son épiderme malmené. Ses cils frémissent. Son regard se perd tranquillement dans le vide, absorbé par le néant qui le contemple férocement en retour. Don’t think about them. Opacité dantesque qui le recrache, à la voix d’Helna qui le ramène d’entre les morts, irrémédiablement assujetti au supplice de la vie. « Raconte-moi. » Et déjà, les lèvres de la sorcière se répandent en baisers autour de sa peau fendue, narguant le calvaire de son affliction du bout de sa bouche carnivore. En martyr, qu’il accueille la fébrilité d’être ainsi possédé. Dans l’ombre de son crâne, pourtant, le pleur d’un bébé. « Que souhaites-tu m’entendre dire ? » s’enquiert-il, la voix chaude et troublée au contact de ses lippes sur la moiteur de son épiderme ; à cet acte aussi intrusif que séduisant qui le ramène à un autre temps, peut-être. Dans le creux d’autres bras. Ses paupières papillonnent, chassant les assauts qui cherchent à s’immerger dans sa mémoire. «  Raconte-moi comment tu l'as tué. » Les dents d’Helna s’enfoncent à la base de sa nuque, où elle y referme la raideur de ses mâchoires. Le torse de Mallacht s’affaisse, au soupir qui lui échappe. Ses yeux se lèvent vers le plafond, et s’y ancrent avec l’énergie d’un condamné à mort. « N’y a-t-il qu’ainsi que je te plaise ? » Deux fossettes se creusent dans les joues émaciées de l’homme. Il connait déjà la réponse. « Je préfère m’épargner ces préliminaires : il n’y a que toi que ça affame. » L’arrière de son crâne se tend légèrement en arrière, vient brièvement rencontrer le front d’Helna, avant que Mallacht ne se redresse. « Et tu l’es déjà. Affamée. »

Mais la prêtresse se venge sans doute, quand l’aiguille vient le rafistoler (de manière approximative, il le sait mais ne s’en vexe pas) sans qu’elle ne l’ait prévenu au préalable. « Cette cicatrice t'ira bien. » Un éclat étrange, presque tendre, perle dans ses yeux égarés. « Comme toutes les autres. » Les dents aussitôt enfoncées dans le bout de sa langue, sous le joug de cette douleur incandescente qui l’irradie de son cuir chevelu à la plante de ses pieds. Ses paupières se ferment ; mais lorsque ses yeux se reposent, c’est elle qui danse dans les ténèbres ; elle qui s’éternise avec ses démons ; elle qui devrait être exorcisée de son réseau sanguin. Arrache-la de mon système, aimerait-il demander à Helna ; quand il sait qu’elle le ferait avec plaisir ; qu’elle plongerait ses deux mains dans son cœur, et l’en extirperait sans hésiter ; quand lui aimerait la vomir, qu’elle n’a que trop longtemps existé en lui. « Es-tu satisfaite de me voir ainsi marqué, pour toi ? Tu sembles y prendre goût. » demande-t-il enfin en rouvrant les yeux sur le bureau, les chairs encore raccommodées sous une poigne qu’il ne lui reconnait pas.

S'invente des airs supérieurs pour ne pas fusiller son rôle ; là-haut, tout en haut de ce piédestal qu'elle s'est créée elle-même. L'orpheline devenue Reine. Mallacht est sans doute le soldat qu'elle préfère - parce qu'il lui est fidèle. Et, aussi, parce qu'il lui obéit toujours comme si elle en était digne. Comme s'il n'y avait finalement que ça à faire : suivre les règles. Alors, forcément qu'elle l'inspecte. Le détaille, le jauge. En prend soin, à sa manière. Mais Helna se nourrit aussi de la férocité qu'il devine chez lui - cette colère qu'elle a aiguisé, braqué sur elle comme la bouche d'un canon. « Tu ne sais pas de quoi tu parles. » Le sourire de la vipère s'accentue un peu plus. Hautaine, volontairement blessante, et ô comme elle aimerait lui confier qu'elle sait très bien de quoi elle parle. Comme elle aimerait lui raconter, parfois, comme le visage de Syn la hante encore, douze ans plus tard ; que le passé n'est jamais qu'un ennemi redoutable qu'il faut garder à l'extérieur des remparts si l'on ne veut pas qu'il s'invite à la fête. « J’ai fait ce que tu m’as demandé de faire. N’est-ce pas suffisant ? » Elle voit bien que son oeil cherche son regard mais celui d'Helna reste braqué sur sa blessure, dédaigneuse. A hausser une épaule, comme si elle ne savait pas si cela est vraiment suffisant ou non. A prétendre qu'elle puisse douter de lui quand Nosoi est sans doute l'une des seules âmes à qui elle confierait sa propre vie. Ne peut le lui dire, ne peut le lui avouer ; il pourrait s'enfuir avec un bout d'elle entre ses mains tueuses. Après tout, elle l'avait déjà senti au bord de la fuite. Là, qu'elle avait lancé sur sa silhouette colossale les fils d'un piège redoutable. Entre manipulation et emprise, la gardienne avait assuré sur l'esprit de Mallacht suffisamment de poigne pour en faire, elle le pense, ce qu'elle souhaite. Elle avait voulu qu'il reste, il était resté.

Elle avait voulu qu'il sacrifie son propre sang, il l'avait fait.

Ses oreilles reçoivent son mensonge sans qu'elle ne sourcille. Non pas qu'elle l'accepte mais pour lui, Helna le tolère. La dévotion de Mallacht a déjà été prouvée. Elle en frémit presque, à se souvenir. « Je ne suis hanté que par ta voix. Celle à laquelle tu fais référence a été annihilée depuis bien longtemps déjà. » Le museau de l'araignée se pare d'un sourire satisfait. A croire qu'il sait les mots qu'il lui faut entendre. Ses gestes, destinés à le soigner, se suspendent un instant tandis qu'elle étudie le profil de son vis-à-vis. « J'espère bien qu'il n'y a plus que ma voix, ici. » Le timbre paresseux, presque sensuel, quand l'une de ses paumes s'élève, que son index vient s'appuyer sur la tempe de l'homme. Prédatrice possessive, ne cherche qu'à étendre toujours plus loin l'emprise qu'elle s'imagine avoir dans son crâne. S'immiscer dans sa carne là où une autre s'est déjà immiscée - tout raser, prendre la place (qu'elle imagine) vacante, reconstruire à partir des cendres. Et pour mieux s'y répandre en reine, qu'elle lui réclame le récit de ses aventures à sa solde, tandis que ses lèvres se perdent sur sa peau. Embrassant les cicatrices anciennes, ravivées par sa bouche brûlante, reconnaissant les nouvelles comme une alpha accueillerait au sein de sa meute de nouvelles recrues. Chaque plaie qu'il prend pour elle est comme une consécration. Une preuve qu'il lui appartient. « N’y a-t-il qu’ainsi que je te plaise ? » Un nouveau haussement d'épaules de la part de la gardienne. « Tu me plais surtout ainsi, » corrige-t-elle lentement, de sa voix gorgée de venin et d'ammoniaque. « Je préfère m’épargner ces préliminaires : il n’y a que toi que ça affame. Et tu l’es déjà. Affamée. » Son front roule contre l'arrière de son crâne qu'il est venu y déposer. Comme une communion intime, déplacée ; un acte sensuel à lui seul. Comme s'ils étaient capables de s'unir, juste ainsi - et l'idée lui tire un nouveau sourire qu'elle camoufle dans l'opacité de son dos. « Sans doute le suis-je toujours, oui. Cela te déplait-il, Mallacht ? » Ravivée de l'entendre autant, quand elle sait sa voix rare et précieuse, limitée, Helna ne cesse de se galvaniser. Par son contact, par la reconnaissance de ses meurtres. Ses lèvres chuchotent de nouvelles prières contre son épiderme. Protège-moi hors de ces murs et je te protègerai à l'intérieur de ceux de ton esprit.

Attelée à sa tâche, Helna recoud lentement la blessure du corps quand elle ne cessera, jamais, d'agrandir la plaie interne qu'elle a créé en lui. Une gangrène disséminée sous sa carne, plantée là par ses propres soins - et ça la rend fière de pouvoir, toujours, en saisir les contours. D'en discerner les frontières, boursouflées, d'en gratter les croûtes pour que jamais il n'en guérisse réellement. Rester en lui comme une maladie. Assurément que c'est ce qu'elle est ; un putain de cancer.

« Es-tu satisfaite de me voir ainsi marqué, pour toi ? Tu sembles y prendre goût. » Ses doigts, agiles comme s'ils en avaient l'habitude, achèvent la suture approximative. En guise de lame pour abréger le fil, ce sont ses dents qui viennent le trancher, non sans octroyer à sa peau malmenée un baiser reconnaissant. Lentement, ses longs doigts viennent déposer son matériel sur le bord du bureau. Un instant, ses grands yeux noirs cernent le soin donné, l'observent avec un semblant de satisfaction. « Evidemment. » Sa paume revient hanter le cuir malmené de sa peau. Le bout de son ongle détoure la plaie avant de l'abandonner, se détournant de la meurtrissure pour contourner Mallacht. Lui faire face, les sens emplis de son odeur, de son goût. « Cela t'étonne ? » Les lèvres de la sorcière se courbent en une moue faussement peinée, alors que ses doigts se saisissent des pans de son haut saccagé par la morsure de la lame. Lentement, elle fait glisser le tissu autour des bras solides de sa Lame, avant de laisser les haillons s'échouer au sol entre eux. Ses longs cils battent lentement, sa paume se dépose sur son torse chaud. « N'aimes-tu pas, toi aussi ? Lorsque tu me marques. » Au soupçon de déraison, Helna penche la tête sur le côté. Ses griffes viennent arpenter la peau criblée de marques de son torse, se délectant du moindre relief qu'elles viennent détecter sur son épiderme. Comme si chaque cicatrice était sienne. Comme si chaque marque pour elle le faisait un peu plus lui appartenir. Ses talons se dressent, de quoi avorter leur différence de taille. Sa bouche nargue alors la sienne d'un souffle retenu, volontairement écourté. Ses pupilles d'ombres vont et viennent - des forêts de ses yeux auxquelles elle a mis le feu, des années plus tôt, à ses lèvres tentatrices. « Que désires-tu en récompense de cette mission dignement menée à bien, Mallacht ? » Se répand en chuchotement contre ses lippes qu'elle effleure, puis dérobe, paresseusement, étouffant sans doute l'esquisse d'une quelconque réponse. De quoi lui prendre un baiser voluptueux, piquant, partageant avec lui le goût qu'a eu la peau de son dos, entre le sel de l'effort et le fer du carmin. L'une de ses serres se cale dans la courbe de sa nuque, de quoi le maintenir tout près d'elle quand elle se retire, un sourire venimeux suspendu au bord des lèvres où elle récupère un peu de son parfum du bout de sa langue vipérine. « Profite donc. Ce n'est pas à chaque fois que je te propose de me demander ce que tu souhaites. »