Someone I loved once gave me a box full of darkness. It took me years to understand that this too, was a gift.
- C’est ta fille ?, demanda-t-il d’une voix suave, presque chaleureuse. Ses coudes étaient posés sur la table et son visage reposait contre ses mains dont les doigts étaient entremêlés. Ses yeux, plissés, dévisagèrent l’adolescente durant d’interminables secondes. Elle détournait le regard, n’avait de cesse de tripoter nerveusement un morceau de tissu. De larges sillons s’étaient creusés sur ses joues éthérées, signe que nombres de larmes avaient coulées. Sa longue chevelure dorée, bouclée, masquait en partie un faciès déformé par l’horreur, la terreur et bien qu’elle s’en donnait sans doute les moyens, elle ne parvenait pas à réprimer les spasmes qui agitaient son corps frêle. Ses épaules n’avaient de cesse d’être secouées par d’irrésistibles tremblements, ses pieds martelaient fébrilement le plancher et de sa gorge serrée, s’échappaient des couinements apeurés. Keryan l’étudiait, l’apprivoisait du regard avec une certaine compassion. Il avait presque pitié pour cette gamine, âme éplorée prise entre les feux d’une guerre qui n’avait jamais été la sienne. Mais l’indulgence n’avait pas voix à ce chapitre, la clémence n’avait pas sa place dans son monde. Agacé par les gémissements incessants de l’adolescente, il souffla bruyamment. Il leva les yeux au plafond, trahissant son irritation, puis porta son regard sur l’homme assis en face de lui, appuyant sa question d’un haussement de sourcils.
- Laissez la partir, elle est…
- Innocente ? Tout le monde est innocent, Thoros. Tout le monde, jusqu’à ce qu’un petit grain de sable, une infime petite poussière de rien du tout ne vienne salir l’engrenage. Tu ne te souviens pas de moi, hein ?
L’homme secoua la tête. Il avait passé la cinquantaine depuis plusieurs années. Sa mâchoire, carrée et parsemée d’une légère barbe blanchissante, se contractait par intermittences. Lui aussi était nerveux, tendu. Ses mains épaisses, calleuses, étaient posées paumes contre la table, là où Keryan pouvait les voir, les surveiller. Il était imposant ce garde impérial, faisait facilement deux têtes de plus que le fiel et son armure rutilante ne faisait qu’accentuer son physique d’armoire. Sa respiration était courte, saccadée et ses muscles bandés infirmaient son envie de bondir, d’attaquer pour protéger celle qui lui restait. À l’autre bout de la table, Keryan eut un rictus de dégoût autant face à l’attitude du dénommé Thoros, que face à cet affront qu’était l’oubli. - Le temps découvre les secrets, le temps fait naître les occasions, le temps est père de la vérité, Thoros. J’ai mis du temps à te trouver, parce que tu étais le dernier, celui qui m’avait laissé un bien maigre souvenir. Un visage, une voix…les quelques mots que tu avais adressé à ma sœur ? Tu te souviens de ces mots ? Quand vous êtes venus en conquérants à Aldmerys, arrêter mon père, mettre un terme à cette folie, comme Adraïr l’avait si bien dit. Tu te souviens ?
Keryan avait changé de ton, sa voix n’avait plus rien d’une éventuelle invitation à la discussion, à l’apaisement. Chaque mot qui avait été prononcé entre ses dents serrées, au travers de ses lèvres brûlantes, l’avait été de manière sèche. Il était à présent penché sur la table, son torse rasant le bois alors qu’il portait un doigt accusateur en direction du garde impérial. Un nouveau rictus souleva subrepticement la lèvre supérieure du fiel. Ses poings s’étaient serrés, les jointures de ses doigts blanchirent, les ongles pénétrèrent la peau. Son regard s’embrasa et dans un dernier mouvement, il désigna la fille du garde d’un vague mouvement du menton, avant de s’adosser à la chaise sur laquelle il était assis.
- Dis-lui, Thoros. Comme tu l’as dit à ma sœur. Dis-lui que ça va aller.
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As it fades, I see the truth - in plain sight, yet hidden all along. We are all children of blood and bone. All instruments of vengeance and virtue. This truth holds me close, rocking me like a child in a mother's arms. It binds me in its love as death swallows me in its grasp.
La forteresse d'Aldmerys se dressait avec une majesté imposante au sommet d'une montagne, telle une sentinelle gardant les secrets des âges. Construite dans un lieu presque inaccessible, elle était entourée de falaises escarpées qui ne faisaient qu’ajouter puissance et domination à son aura d’invincibilité. En contrebas, une jungle abondante s'étendait à perte de vue, formant un tapis vert, dense et vibrant de vie. Les murs extérieurs de la forteresse étaient taillés dans la pierre de la montagne elle-même, d'un gris profond, presque noir, qui semblait absorber la lumière et donner à la forteresse l’apparence d’une ombre imposante et perpétuelle au milieu du jour. De hautes tours, surplombant les remparts, étaient ornées de drapeaux flottant fièrement aux couleurs de l’Empire, visibles de loin, même au milieu de la canopée dense de la jungle. L'entrée principale de la forteresse se faisait par un pont-levis massif, gardé par des portes de fer ornées de gravures représentant des scènes de batailles héroïques et des créatures mythiques. De chaque côté de l'entrée, des statues de gardiens de pierre, d'apparence sévère, semblaient surveiller les visiteurs, ajoutant une atmosphère solennelle et grandiose.
À l'intérieur des murs, la forteresse d’Aldmerys était un mélange harmonieux de robustesse militaire et de beauté architecturale. Les cours intérieures étaient pavées de pierres, et des jardins suspendus ajoutaient une touche de verdure, avec des plantes exotiques et des fleurs aux couleurs éclatantes, importées des Îles Lozia, contrastant avec les murs de pierres austères. Au centre de la forteresse se trouvait le donjon, une structure imposante et primordiale, visible de tous les points de la citadelle. Ce donjon abritait non seulement les quartiers du souverain mais aussi la salle du trône. Les fenêtres du donjon, bien que rares et étroites pour des raisons de défense, offraient des vues spectaculaires sur les vallées en contrebas. La vue panoramique depuis la forteresse était à couper le souffle. Du sommet de la montagne, on pouvait voir les vallées s'étendant loin à l'horizon, les rivières scintillant sous le soleil, serpentant à travers le paysage, et la jungle dense formant un océan vert. Les jours clairs, on pouvait même apercevoir certains volcans lointains.
Le visage encapuchonné, Keryan quitta les immenses tours du regard. Combien de fois en avait-il gravit les marches, quatre à quatre, poursuivi par ses frères ? Les souvenirs de cette époque révolue s’étiolaient mais la douleur restait la même, inchangée. À cette pensée, alors qu’il se revoyait en équilibre sur les remparts, au sommet de l’une de ces tours, son cœur se serra. Rien n’avait été effacé, tout était encore au fin fond de son être, là où il avait enterré ces réminiscences difficilement supportable. Le deuil n’avait jamais été accompli. Quelque part en son âme, résidait encore l’enfant apeuré, dépassé par les événements qui avaient été imposés à ses yeux innocents. La présence angoissante des gardes impériaux, leurs mots. Les hurlements de son père et sa mère, qui rugissait et commandait à ses enfants de fuir. Ses deux frères, plus âgés, prenant position de part et d’autre du père. Sa sœur, le tirant par le bras avant de lui être arrachée par l’un des gardes. C’était il y a une éternité, c’était hier. Chaque seconde s’étant écoulée lors de cette matinée était gravée à jamais dans sa mémoire. Aldmerys n’avait plus la même aura, la même magie à ses yeux fatigués. Aucun sourire n’était venu barrer son visage lorsqu’il avait gravi cette route escarpée, menant à l’entrée de la forteresse. Aucune admiration, aucun enthousiasme n’avait trahi sa détermination face à toutes ces imposantes statues de pierres, chargées d’histoire et d’héroïsme. C’était ici qu’il était né, soixante-dix ans plus tôt. C’était ici, entre ces murs froids et dans ce donjon impérieux dans lequel il pénétrait, qu’il était mort, onze ans plus tard.
La salle du trône de la citadelle d'Aldmerys était un chef-d'œuvre d'architecture et d'art. En entrant dans cette majestueuse salle, on était immédiatement frappé par son ampleur, sa grandeur. Les murs étaient faits de pierres blanches étincelantes, polies à la perfection, et ornés de fresques détaillées représentant des scènes épiques d’une Histoire qu’aucun vivant n’avait connu. Les voûtes du plafond, d'une hauteur vertigineuse, étaient soutenues par d'imposantes colonnes de marbre veinées d'or et d'argent, accentuant l'impression de puissance et de splendeur. Le sol était recouvert d'un dallage en mosaïque complexe, chaque pièce étant un véritable ouvrage artistique en soi, formant des motifs géométriques et des figures légendaires. Au centre de la salle, une longue allée de tapis richement brodés menait au trône. De chaque côté de ces tapis, avaient été installées d’épaisses colonnes de marbres, cylindriques aux veinures d’un blanc frôlant la pureté.
Le trône lui-même était un spectacle à couper le souffle. Sculpté dans un seul bloc de cristal noir de la montagne, il scintillait sous la lumière de gigantesques chandeliers suspendus, incrustés de gemmes précieuses. Le dossier du trône était orné de gravures détaillées représentant les anciens régents d'Aldmerys, leurs visages sereins semblant veiller sur ceux qui s'y asseyaient. Autour de la salle, des vitraux colorés filtraient la lumière du jour en d'innombrables nuances, créant une atmosphère presque mystique. Les fenêtres étaient si hautes qu'elles semblaient toucher le ciel, donnant une vue imprenable sur les monts et les falaises environnantes. Des torches en or, paraissaient brûler d’une flamme éternelle, jetant une lueur chaude et rassurante. Des bannières de soie colorées flottaient doucement dans les courants d'air, arborant les armoiries de l’Empereur. Keryan réprima avec difficulté son envie de brûler les bannières et continua sa marche, d’un pas déterminé, en direction de l’homme qui siégeait sur le trône.
« - Ker…, commença le crieur qu’il venait de dépasser.
- Ferme la !, cracha Evander entre ses dents serrées. Deux gardes s’éloignèrent alors du régent, descendirent les quelques marches qui lui faisaient face et vinrent barrer la route du fiel, portant la main à leurs épées.
- Je sais qui tu es. Tu es le dernier fils du Tyran et tu n’es pas sans savoir que cette époque est révolue. Feu, l’Empereur
- Oh. Rhadamantus…À l’heure où nous parlons, la citadelle est à moi. Mes…amis, doivent déjà avoir éliminé ta garde. Il ne reste donc plus que toi et moi. », répliqua Keryan, un sourire flegmatique se dessinant sur ses lèvres, juste avant qu’une expression de surprise ne vienne habiller son visage.« - Et vous deux, évidemment. », dit-il à l’adresse des deux gardes qui venaient de sortir les épées de leurs fourreaux.
« - Tu es aussi fou que ton père l’était ! Tout cela pour quoi ?! Un vulgaire trône au sommet de la montagne ? L’Empereur ne te laissera jam…
- JE SUIS L’HÉRITIER LÉGITIME ! », hurla Keryan, ses yeux rougissant brutalement et des flammes naissant dans les paumes de ses mains.
« - Idiot ! Ton seul héritage n’est que violence, folie et tyrannie laissée par ton père ! Fais ce pourquoi tu es venu, Evander. Réclame ce que tu crois être ton bien et puisse Ases m’accorder le temps d’admirer ta chute ! »