[FB] Laissez les petits enfants venir à moi {Elio}

Il y a des hurlements qui fondent dans la lourdeur du jour. Gamin·es perdu·es, auréolé·es d'une couronne sanguinolente, il y a un sorcier au regard rouge feu qui les oblige au sacrifice, et les brasiers qui empuantissent encore davantage la moiteur du jour. Elio a le corps tout entier souffrance, et les sortilèges lancés hyperbolisent les tortures. Il connaît le principe fondamental de l'échange équivalent, et ce sont ses avant-bras qui se marquent de contusions multiples lorsqu'il tente de contrôler le feu. Echec après échec, les ecchymoses deviennent mutilations.
Ils sont douze. Douze mimines tremblantes sous le poids des douleurs et des lésions, érythèmes purulents qui ne seront jamais soignées. Lorsqu'il jette un œil à ses côtés, Elio distingue quelques regards terrorisés, sous les hurlements du sorcier magister. Eylin va chuter, sans doute mourir, il a l'habitude désormais de voir des enfants ne pas revenir. L'échec ne se dit pas, et si elle tombe genoux à terre, il ne faut surtout pas cesser de se concentrer, poursuivre la routine infernale. Tombent comme des mouches, les orphelin·es de d i v i n e, mais la mort n'est qu'un cadeau, disent-ils.

L'entraînement macabre a cédé place au réconfort d'un bon plat de siffleur. Elio retrouve des forces dans l'ardeur du met, mais cache ses sanguinolentes blessures d'une couverture ambrée. « Il va venir. » disent-il. Le pénitent est présenté comme une offrande, comme un étrenne visant à faire passer les terribles épreuves de l'endurcissement. Maîtriser le pouvoir des flammes demande des années de sacrifices et de courage. Elio n'est pas au bout de ses peines, c'est sûr. Il jette un regard sur l'ombre de  @Nithya Sitarys, qui dévore son ragoût de siffleur, au loin. Elle aussi a les prunelles teintées du voile du martyr.

Ce sont des hurlements bien différents qui accueillent la survenue du pénitent, l'homme divin à la parole mortuaire. Cris de joie remplacent mutisme souffrance. Il est là, le prophète fimjirien, et Elio se perd dans le bleu océan de son regard. Statique pierre de béton, aux larmes de sang qui dégoulinent du bras.
Il sait, Elio. Il voit. A peine quelques fractions de seconde, et il ressent comme brûlure l'intime conviction qu'il se vouera à la mort à ce pénitent qui parle au Dieu. F i m j i r s'insinue en lui aussi sûrement que le venin d'un serpent pourprier, et c'est par la parole sacrée du pénitent qu'il s'impose sur terre. Les gâteaux arc-en-ciel font bien pâle figure face à l'âme providentielle qu'Ewart représente.
Le gamin orphelin ne jette pas même un regard aux friandises qui sont comme tant d'aumônes inutiles. Il ne peut lâcher des yeux les prunelles profondes de ce bleu guérisseur. Mal à l'âme cicatrisé. Les brûlures ne comptent plus, le sang qui dégouline du bras non plus. Seule demeure l'absolue certitude que cet Homme n'en est pas un, émanation vivante du mortel divin. Osera-t-il seulement s'approcher de la stature faussement imposante du pénitent ?

Il tente, Elio. Petit pas par petit pas, il vagabonde entre les silhouettes d'enfants dévorant les friandises. Il lui semble qu'il est seul, maintenant, seul au monde, face à la grandeur omnipotente d'un dieu fait Homme. Vague murmure qui s'échappe de ses lèvres, tonalité naïve de l'orphelin vénérateur. « Fimjir ? » Est-ce vous, Dieu ?
M'entendez-vous, seulement ?
Saurez-vous apaiser les flammes de mon âme ?

Il a le regard du démon et de l'ange, doux oxymorique qui se tisse dans ses prunelles. Elio darde en lui les siennes, comme un étrange blasphème - oser regarder le divin directement dans les yeux mérite sans doute pénitence. Il l'a déjà vécue, la punition, l'odieux garnement ; la chair carbonisée empeste jusqu'au dehors. Pourtant, il maintient ce regard lorsque l'éclat de rire semble faire trembler la pièce, en plus de son cœur d'enfant. Ce son répare ses brûlures aussi sûrement que le temps, et un léger sourire vient parer ses lèvres en réponse à celles du pénitent.
C'est lui, F i m j i r. La conviction étincelle dans son âme comme le soleil brûle à travers les lourdes fenêtres de l'orphelinat. Il a ce je-ne-sais quoi magique qui auréole en ses pourtours, myocarde sacré en lequel l'enfant voit tel en plein jour. Dieu fait homme, et c'est curieux tant il est de chair et d'os. Peut-il seulement saigner ?

Cette vision liminaire modifiera l'entièreté de sa vie, à l'orphelin torturé - de ce jour, il gardera souvenir comme un trésor. A cet instant précis, il semble décider que sa vie se vouera à cet être, pour toujours, à jamais. L'immuable matérialité de l'avenir. Il n'a pourtant rien de spécial, Ewart, simple mortel parmi d'autres, mais dans les yeux embués par la souffrance d'un enfant sans passé, il se métamorphose.
Chimère splendide, auréole mort.
Ewart est le sacré, le divin et le toujours. Il est à compter de ce jour son avenir - mieux valait ça, que ne pas en avoir. Tissées entre les labyrinthiques songes du mystérieux destin, ce sont leur vie qui se lient à jamais. Par ce regard croisé, cet éclat de rire qui résonne encore aujourd'hui dans l'âme d'Elio.

Il professe, le mortel pénitent. Semble laisser éclater d'une douce voix paternaliste un sermon aux accents sectaires et inquiétants à qui veut bien l'entendre. Il nous retrouvera toujours pour nous emporter dans les pans de son manteau. Longue fourrure sombre du dieu des morts, F i m j i r, rappel de la silhouette obscure qui a récupéré Elio quelques années auparavant, alors qu'il cherchait dans des poubelles de quoi survivre à l'absence de parents.
Il est de notoriété publique que les braises sont de noir vêtu·es, comme symbole ébène de leur amour néant. Ombres Fondues dans la nuit, au soleil se révèle.
As-tu un nom, mon enfant ? Elio darde à nouveau ses yeux gris sur ceux du pénitent, après avoir longuement observé ses pieds nus et abimés par des semaines de privation. « Elio. » La tonalité de la voix est brisée, cassée, comme tannée par tant de hurlements. Ce voile répond à celui du regard. Il ose, pourtant, le petit, après quelques instants de silence : « Et vous, si vous ne portez pas le nom du Dieu ? » Son intérêt est sincère, marqué par ses iris brillantes des astres curiosité. Il ne s'arrête néanmoins pas là, l'enfant dénué encore de second degré. « Pourquoi vous avez ri ? Vous vous moquez ? »
Quiconque a un cœur ne peut que s'émouvoir devant cette bouille d'ange.

Damnée, à jamais, désormais vouée au démon.

S'il n'avait pas l'âme broyée par les heures d'entraînement couleur torture, Elio aurait pu lire dans les prunelles de son interlocuteur la désapprobation mordante lorsqu'il jette un œil à la misère de divine. Ses yeux à lui, d'enfant éperdu, dévasté par les horreurs de la vie, ne voient rien de cela. Il ne distingue que des ami·es, certain·es plus mal en point que d'autres, des âmes à ses côtés subissant les mêmes errements, des miroirs, en somme. Pour lui, rien de plus normal que d'avoir le bras brûlé au troisième degré, rien que la force de l'habitude qui balaye toute surprise face à des situations jugées aux yeux inavertis comme excavations.
Il est des êtres broyés par un système sacrificiel, asservi à sa race comme l'esclave de son identité. Il n'a jamais rien demandé, Elio, et pourtant le voilà soumis à ces vices, aux bourreaux qui ne peuvent retenir leur sourire face aux cris des enfants. Quelque chose dans le regard du Pénitent semble comme parler au gamin, lui dire qu'il n'est pas de ces barbares, bouchers aux mains tachées du sang de leurs victimes. Peut-être est-il pire, sûrement même, plus vicieux, et secret. Mais ça, Elio ne le voit pas. Pas encore.

Il se présente, l'homme en face. On m'appelle Pénitent. Elio se remémore les multiples sermons dont on les avait abreuvé·es des heures durant. Guide spirituel, réceptacle aux confessions les plus sordides, il semblait faire office au sein des braises. Être couronné d'un rôle immolé. Ewart semble au gamin un prénom plus propice à tisser la confiance, et c'est celui qu'il retient. « Vous êtes celui à qui on doit confesser nos péchés, c'est ce qu'on nous a dit. » est-ce une question, une affirmation, lui-même ne le sait pas. Sans doute un peu des deux. Il récite, fier comme un paon, enfant prodige porté par l'approbation des grands.
Je suis même flatté que tu ais pu voir le divin en moi. C'est le sourire qui suit cette remarque qui provoque en Elio un besoin viscéral d'accorder toute sa confiance à cet homme. Il ne le suit pas par obligation, par respect des codes et des lois d'ébène, il marche dans ses pas comme mué par le besoin de s'ériger à son tour, un jour, à un tel niveau.

Ils s'installent dans un coin d'herbe, le gamin adossé à un grand arbre. Cet instant hors du temps résonne dans sa tête comme un répit récompense, bien plus précieux que tous les bonbons du monde. C'est sans doute ainsi qu'on alpague les âmes vacillantes, Ewart fait montre d'un pouvoir indécelable - capacité prodigieuse à connaître sans mot dire les besoins des cœurs et des corps. Montre-moi tes bras, Elio. Le gamin n'hésite pas un instant. Et lorsque les mains d'Ewart s'en approche, il ne fait montre d'aucun mouvement instinctif de recul - il lui est déjà tout entier voué. Pourtant, la brûlure est à l'aube de la moisissure. « Vous savez guérir ? » La naïveté de l'enfant témoigne encore par ces mots. « On dit que la douleur nous rapproche de Fimjir, alors je ne veux pas vraiment qu'on me soigne. » Si douceâtre, et en même temps si terrible.
La phrase semble se perdre dans le silence, et une fois encore, ses prunelles accrochent celles du Pénitent.
Il est l'espoir dans un vide de néant.

Il n'est pas possible de quantifier le nombre de nuits passées dans l'obscurité du gamin orphelin, pas imaginable de se représenter l'horreur que fut sa vie, à fouiller dans les ordures pour quelques bouchées de viande infecte et couverte d'une immonde moisissure. L'arrivée à divine avait sonné comme le glas de cette lugubre existante, lui promettant le meilleur comme lueur d'espoir.

Drôles d'espérance, quand elles le conduisent à un enfer pire encore.

Pourtant, Elio persiste à voir en cet orphelinat une chance d'arriver. A quoi, il ne le sait pas encore. Mais germe au fond de lui les cruelles semences d'un potentiel avenir, dans le sillage obscur des prophètes de Fimjir. Il se voit, parfois, dans les nuits pleine de rêves, disséminer alentours les flammes du dieu, semer dans quelques esprits les graines de la foi. Il s'est oublié à mesure qu'il est entré à d i v i n e.
Ce qui n'a pas sombré au fond volcanique de l'oubli, c'est la douleur. Vive et terrible.
Celle du bras en flammes, certes, mais celle du silence est pire. Il n'entend pas la voix. Côtoie jour après jour d'autres apprenti·es victimes qui semblent ouïr la prophétie, quand lui n'est que le néant et le rien. Il se donne, pourtant, ne lésine pas devant les chagrins, la souffrance et la peur, s'arroge le bénéfice d'être l'un des plus zélés de divine. Mais rien ne vient. Pas une voix, symptôme de fimjir, ne trouve écho en son âme.

Jusqu'à cet instant. Jusqu'à ce que, comme en miroir aux pensées du gamin, la parole d'Ewart ne vienne tisser ses fils démoniaques au creux de lui. Mon domaine se trouve dans les âmes. C'est justement là que j'ai un vrai problème, songe Elio, sans mot dire, pourtant, sans oser encore se dévoiler pleinement à l'étranger.
Son bras n'est qu'une épine face au véritable écueil qui le ronge. " Ta dévotion est admirable, Elio. " Le gamin accueille le compliment avec l'air hagard du chien à qui l'on donne une sucrerie. Un sourire se dessine sur ses traits, effacé très vite lorsque l'onguent pénètre sa chair.
Il ne peut retenir quelques misérables hurlements, tant la brûlure est violente et profonde. La sensation de fraîcheur ne perdure pas, pis encore, elle ne vient rendre que plus réelle encore la flamme qui lèche les chairs jusqu'aux os.  
Si ce n'était que le bras... Si seulement.
Les hurlements ont cessé, remplacés par une vague résignation. S'il tremble, cela, il ne peut le cacher, ses yeux se dardent dans les prunelles d'Ewart, y cherchant à défaut du réconfort un peu d'empathie. Il lui répond, le prophète, comme si, là encore, il avait lu en son âme les besoins viscéraux qui le tiraillent - tente de faire diversion, demandant au gamin de lui dévoiler ses écritures préférées. Parle-moi de tes Ecritures préférées, Elio. Il se plonge au tréfond de ses pensées, se revoit dévorer les abymes des ouvrages, dans le calme de son lit. « J'ai beaucoup aimé l'Abysse de l'Ombre. Je relis en ce moment les Ecritures du prophète Cinder, je crois que je m'y reconnais parce que... » Il ne peut achever sa répondre que leur douce intimité est assiégée par la présence de ce qui ressemble à une espèce de servante. Comme par réflexe, il laisse s'installer le silence, seulement perturber par les vacillements du plateau qui semble osciller, mal à l'aise sur ses bords, tourmentée par le poids d'une énorme théière.
Elio ne sait cacher les étoiles qui vibrent dans ses iris, tant la reconnaissance pour le pénitent est grande. Pourtant, ses prunelles se dardent dans celles de l'inconnue fraichement débarquée. Elle lui fait penser à lui, par son jeune âge et son statut social certainement inférieur aux autres pontes de Divine. Elio l'alpague -
Il a la douceur de l'enfance et la naïveté des gosses brisés avant l'heure.
« Avez-vous entendu l'appel de Fimjir ? Sa voix, dans votre tête, est-ce qu'elle résonne ? »

Existentielle interrogation,
Broie l'âme du garçon.

Le sourire du pénitent a la douceur de ces âmes qui savent comment manipuler le monde. Qui s'auréolent de la conscience importante que ce n'est guère par la douleur et le frayeur qu'on attise en autrui - à fortiori des enfants - la plus grande des ferveurs.
Il faut avouer que cela a pourtant bien marché jusqu'alors sur Elio. L'esprit altéré et envahi de pensées morbides, de celles qui dupent et font croire que par les tourments et les déchirements, on accueille Fimjir en son sein. L'acte d'Ewart vient parachever ce préliminaire travail - il est la bouée à laquelle on s'accroche dans le désespoir et la mort. Le gamin sait déjà à cet instant précis que sa vie sera liée, pour toujours, pour l'éternité, à ces iris qui se dardent sur lui, à ce sourire jovial qui un instant atténue les peines et donne un sens aux errements.

La jeune femme n'ose répondre, d'abord, le regard perdu en attente d'approbation. Elle a la naïveté et la timide de la gamine peu mûre encore, mais elle symbolise pour Elio comme le miroir de ce qu'il rêve d'être, d'ici quelques années. Servir et obéir à une âme comme celle d'Ewart serait pour lui le plus grand rêve, cadeau honorable d'un dieu reconnaissant de tant de sacrifices. Je commence à L'entendre. Vraiment l'entendre. Il y a les étoiles de l'envie qui brillent dans les prunelles du gamin. Miroir insolent, celle qui a ouï les paroles du divin, alors que lui attend toujours. Dévoré par le désir et la convoitise, Elio sent plus nettement encore la douleur lui percer l'âme que son corps brûlé par les flammes.
En même temps, ces paroles sont rassurantes - elles font naître en lui le cruel et terrible espoir, celui d'un jour, à son tour, pouvoir livrer à une pauvre erre de Divine sa réalité et faire survenir à son tour un tel émoi dans un cœur pur. Il se projette, le gamin, façon comme une autre de fuir son atroce réalité. « Merci. » chuchoté. Sincère, drapé dans la plus pure des candeurs.
Elle n'a pas du miroir que le désir d'entendre l'Appel, et l'espoir d'y parvenir vraiment un jour - elle aussi a les avant-bras marqués de brûlures. Ses mains les touchent, les serrent, à mesure qu'elle pense au dieu des Dieux, comme si leur contact la rapprochait un peu de lui. Comme il se reconnaît en sa douce dévotion, le gamin, comme il se voit dans ces prunelles voilées de la Foi.

Ewart a la douceur dans la voix qui pousse le gamin à se livrer, se dévoiler. Il ne saurait bien dire pourquoi, mais c'est une confiance absolue et immédiate qu'il lui voue, comme s'il était un avatar, duplicata sur terre d'un dieu attentif, esgourdes prêtes à recueillir moult doléances sans jamais s'en moquer. Elio l'écoute parler des Ecrits sacrés, et ses iris se teintent encore des étoiles de la foi - il se remémore chaque parole des prophètes, chaque dévoration en lectures éperdues les soirs de pleine lune.
Les émotions ressenties aux mots qui s'étalent, grosses lettres sur parchemins rompus ; elles n'ont d'égal que la parole du pénitent, à cet instant. C'est dans un murmure que le gamin se livre, comme honteux de dévoiler ses craintes et ses bassesses, turpitudes de l'âme volètent dans l'atmosphère. « J'ai peur de ne jamais l'entendre, que tout ce que je subis aujourd'hui soit vain. » La vacuité de l'être, n'est-ce pourtant pas l'un des préceptes ?
Il a ses yeux d'enfant qui par dessous se dardent dans ceux d'Ewart. « Vous voulez bien me raconter votre histoire ? » Et vous, quand l'avez-vous entendu ? L'entendez-vous encore ? Maintenant, tout de suite, est-il là, avec nous ? A cet instant précis, en ce moment, plonge-t-il ses yeux sur notre histoire ?

La curiosité du gamin qui s'étale en banderole.

Dis-moi qui tu es, fais-moi entrevoir qui je serai.
Qui je servirai.

Ta dévotion n'est pas vaine, Elio.
Le geste délicat qui se perd dans ses cheveux a chez le gamin l'effet plus protecteur encore que le baume qui répare peu à peu la blessure, referme les cloques provoquées par les saignements, et apaise l'âme endolorie du jeune sorcier. Mais ce geste n'est rien, face aux paroles qui résonnent dans son cœur et son corps, fait écho entre ses membres. Dévotion utile, qu'il semble crier, et Elio qui attend patiemment de voir survenir du néant les flammes de sa réussite.
Mais il ne s'arrête pas là, dans son entreprise de réconfort, le pénitent. Il est comme un paternel en proie à l'empathie, les yeux qui se dardent sur le gamin voilés d'un drap de compassion. Si Elio avait la maturité adulte de celui qu'il est aujourd'hui, il saurait lire en ses iris l'aspect critique qu'il voue à l'attitude des Braises vis à vis des orphelin.es de d i v i n e. Mais là, il n'en est rien.
Dans l'égoïsme des enfants, Elio ne s'abreuve que des compliments - il ne saurait même se remémorer quand il en a reçu auparavant. Peut-être était ce en la bouche de père et mère, avant que Fimjir cruellement ne s'en empare. Peut-être était ce en les lèvres de Morwen, la grande sœur, ou de Nithya, l'âme cœur. Allez savoir. Dans l'enfer du chaos, les souvenirs parsèment un vaste néant et le gamin a beau lever haut la main, il ne parvient à s'en emparer.
Dans le sifflement d'Ewart, ils se vêtissent d'une toile plus importante encore, plus essentielle - il est comme la bouche du Dieu même. Les compliments se parent alors d'un accent de vérité, qui manque cruellement à ceux des autres, des aimés.

Elio boit une lampée du thé, laisse sa gorge brûler sous les flammes ardentes du soulagement. Ewart peu après fait de même, et avant qu'il ne se lance dans le conte de son histoire, le gamin sorcier laisse échapper ses mots -  « J'ai confiance en Lui. Je suis certes impatient, mais je sais que ça viendra. » La main droite se perd sur les brûlures du bras inverse. Il ne peut croire qu'il subisse de tels sévices pour rien. La Foi seule peut se dire, quand le doute s'insinue, vénéneux, dans le labyrinthe sanguinolent du gamin.
Il conte son espoir, le pénitent, et sa voix semble comme abreuver l'âme assoiffée de l'enfant. Il est tout entier l'espoir, il  matérialise à lui seul cette émotion perverse et terrible de celui qui un jour entendit. J'ai entendu d'aussi loin que je me souvienne. Jalousie cède place à une admiration sans borne, quand ses iris s'étincellent. Ces Voix sont bel et bien bénédictions, et ne s'offrent qu'aux plus méritants. Elio repartira sans doute de cette entrevue avec le besoin de se donner plus encore, de voir son corps tout entier brûler dans les flammes de Fimjir. Silhouette qui se dévore, pour entendre dans les cendres le chant de la Mort.
« Vous avez tellement de chance. Vous étiez comme... élu. Je ne suis qu'un soldat amer et vague pour notre Dieu, mais j'espère un jour vous arriver à la cheville. »

Il est des âmes qui se damneraient pour ne parvenir qu'à un maigre niveau - Elio, de son enfance et de sa jeunesse, n'a gardé qu'amertume et rancœur, ne croit mériter rien plus que quelques vagues sacrements qui le feront flotter au dessus du néant. Il n'est pas gosse d'ambition, et se contenterait de quelques miettes, si Ewart accepte d'en céder une ou l'autre. Être son homme, ainsi obtenir quelques reflets de sa lumière.
« Je n'ai pas encore sacrifié, non. Les maîtres estiment que nous ne sommes pas encore prêts. » Le gamin regarde le sol, comme honteux d'ainsi dévoyer tels remords et bassesses. Il aurait aimé pouvoir répondre un franc oui, de ceux qui se crient, auréolés de fierté. « Mais je crois que je le suis. » Les yeux qui se dardent à nouveau dans ceux du pénitent - il sait, il sait au fond de lui-même qu'il est prêt. Vouer âme sacrifiée au Dieu, donner un peu de lui, de son âme et de son corps, non, tout entier se damner, il sait qu'il le peut, qu'il le doit, et ainsi ressentir l'appel infernal.

S'il vous plaît, permettez-le moi.
Donnez-moi la chance de montrer ce que je vaux,
pour mériter d'étinceler à vos côtés.

Il est d'un rassurant céleste, le pénitent, lorsqu'il regarde Elio et semble lire en son âme pour lui délivrer précisément tout ce qu'il attend, tout ce dont il a besoin. Il est comme un guide spirituel, qui dévore les esprits et les espoirs, pour y répondre ou le faire échoir. Il a le pouvoir ultime de sentir, de savoir, d'entendre, que sais-je la manière dont il procède, dans les miroirs de l'âme. Il évoque le mérite d'attendre, celui de se montrer digne au fur et à mesure des ans, des âges et des saisons - plus forte ainsi est la piété des croyant.es.
« Je crois que si, vous avez raison, mais c'est parfois dur de continuer à y croire. »  Elio en est aussi convaincu, mais il ignore si c'est pour se rassurer qu'il songe à cela, comme  une manière de se dire tu as bien fait, de croire que tous ces sacrifices n'aboutiront pas à rien. Qu'ils vaudront le coup - mieux vaut plus tard, que l'effrayant jamais.
Il caresse sa brûlure toujours douloureuse.
Ca vaut le coup. Il faut que ça en vaille la peine.

La proposition que semble promettre Ewart comme une main tendue au gamin désespéré ravive en lui un quelque chose qu'il croyait éteint.  Il est temps. L'heure est donc venue, il suffisait d'attendre la prophétie du pénitent pour que sonne le glas des sacrifices vains. C'est tout l'espoir d'Elio qu'il ne contient pas en ces mots - « C'est vrai ? », tonalité de la voix qui se brise du bonheur d'un gamin à qui l'on offre des cadeaux à Noël. Il a le regard luisant du chien obéissant - on pourrait croire même que la queue bat dans son dos frénétiquement. Un animal, il lui faut trouver un animal, quelque chose à sacrifier, dans l'espoir d'entendre la Voix. « Vous me le promettez ? » Il se lève en même temps que la question se pose, n'attend pas vraiment la réponse, et se met à courir jusqu'aux portes de d i v i n e.

Il est temps.

Il ne sait pas que choisir, mais a la certitude ancrée au cœur déjà, alors qu'il n'est qu'un enfant, que le sacrifice sonnera le début d'une nouvelle vie, qu'il est la preuve que Fimjir attendait. Bientôt, il entendra la voix. Bientôt, vraiment.
Il réfléchit un moment, le gamin sorcier, dans l'obscurité de sa chambre, seul, porte close sur tout ce qui n'est pas son projet. Son avenir. Il se dit qu'un animal de grande taille aurait plus de classe, mais qu'il lui serait difficile de s'en procurer un pour le soir même, alors que le soleil commence déjà à se coucher. Un animal de petite taille, c'est risible, il craint de se taper la honte devant le pénitent, lui qui est l'incarnation même du dieu de la Mort.
Que faut-il, vraiment ? Cela sonne comme un éclair dans son âme lorsqu'il repense aux gommeurs que les pater de l'orphelinat gardent en cage comme une arme. Il n'a plus qu'à aller en voler un.
Il se fait la discrétion même lorsqu'il cavale dans les couloirs de d i v i n e, cesse son élan dès lors qu'une ombre annonciatrice de silhouette se projette sur les murs. La lourde porte du réfectoire grince lorsqu'il l'ouvre, il a le cœur qui bat la chamade, les veines qui semblent sortir de ses bras, et la brûlure qui le lance à en mourir. Qu'importe. C'est avec un sourire rayonnant et le gommeur enfermé dans ses mains qu'il quitte la pièce.

Le voilà de retour dans sa chambre, le gommeur qu'il n'ose lâcher.
Elio regarde par sa fenêtre le soleil se coucher. Plus qu'une heure avant qu'il ne disparaisse tout à fait. Quelques longues minutes d'attente, couleur torture, et Ewart toquera à sa porte pour l'amener vers son avenir. Il est temps.