Les petits plats dans les grands ft [famille impériale]

Il suintait la colère par tous les pores de sa peau, il exsudait la haine, la hargne et l'envie de tout détruire. Tout brûler pour leur faire payer, pour leur faire comprendre, pour arrêter les rires, la défiance, pour leur faire voir qui il était; qui il était réellement. Il pouvait sentir ses mains picotant littéralement alors qu'il avait envie de les couvrir de sang, il pourrait les tuer de ses propres mains s'il les attrapait. Ca puait la mort dans son âme, ça empestait la charogne en train de crever au fond de lui et rien ni personne ne pourrait arrêter la débâcle de violence qu'il avait promis aux premiers qu'il attraperait. Peut-être que non, finalement, il leur arracherait les boyaux, il leur tordrait la nuque par plaisir et se contenterait d'interroger les prochains. Il avait trop besoin de leur faire payer l'outrecuidance avec laquelle ils l'avait défié, lui et la tranquille paix qu'il était parvenu à maintenir dans l'empire en acquiesçant à des lois permettant l'accès aux hautes fonctions à n'importe qui, si tant était qu'il le méritait. Voilà que d'autres que lui décidaient de comment mener la politique de son empire, voilà que d'autres décidaient de qui pouvait vivre ou mourir.

Il fulminait depuis des jours, et à la tristesse des premiers jours passés à ressasser son incapacité à protéger les siens avait succédé la haine contre les bourreaux, et la colère de ne pas encore en avoir attrapé un seul. La voix était revenue, elle aussi, plus forte que jamais, elle siégeait sous son crâne, ne lui laissant quasiment pas un instant de repos, diffusant des nuages dans sa tête, lui imposant de terribles pensées emplies de sang, de flammes, de chaos et de revanche expiatoire. Il brûlait de ne rien pouvoir faire, il crevait d'être si passif et il passait à côté de l'implosion à chaque instant, pour chaque phrase jetée dans sa direction, pour un regard qu'il jugeait mauvais ou pour une favorite se refusant à lui. Tout était prétexte à l'horreur et il fuyait les siens, ces derniers jours, pour éviter de leur imposer les ténèbres qu'il traînait derrière lui, pour ne pas risquer d'entacher encore plus leurs relations déjà détériorées. Il avait rangé les cartes qu'ils avaient déployées lors de la réunion de crise où Corvo et lui s'étaient retrouvés quelques heures auparavant et était passé dans ses appartements pour se changer. Il portait le noir que sa la tradition liée à sa fonction imposait, alors qu'un des siens avait été emporté dans la violence et, engoncé dans ce costume qu'il n'avait mis la dernière fois que pour porter le deuil de leur père, il se dirigea vers la salle qui abriterait leur repas - leurs disputes aussi, à n'en point douter.

Une musique douce chassa les ténèbres aussi sûrement que si elle avait été une bougie dans la nuit et il se laissa guider vers le salon privé de leurs appartements. Glissant dans les ombres, il se retrouva derrière son frère qui chuchotait avec Erika et il répondit à cette dernière, en espérant la surprendre; elle avait un sale caractère qu'il appréciait plus qu'il ne le montrait et parfois, son esprit bien fait le ravissait - pas actuellement, avec son ton goguenard.

« Tu devrais parler plus respectueusement de sa Majesté, surtout quand elle peut t'entendre. »

La dépassant en ébouriffant ses cheveux, comme elle avait toujours détesté ça, il pénétra dans le salon pour contempler l'un des plus beaux tableaux qui lui eut été donné de voir: Miriel et Bo jouant du piano ensemble, comme autrefois, quand tout était si simple. Les mâchoires serrées, il les laissa terminer en s'installant au fond d'un fauteuil confortable, se laissant envahir par les souvenirs qui délièrent quelque part certains des muscles noués dans sa nuque. Il était jeune et rencontrait Miriel pour la première fois, et au repas, un musicien n'arrêtait plus de virevolter sur ses touches blanches et noires et lui, il tombait amoureux déjà, il n'arrivait pas à quitter ses yeux, elle était si belle. Il avait retrouvé et embauché le même pianiste pour leurs épousailles, parce qu'il faisait parti de ce souvenir qu'il chérissait plus que tout, parce qu'il serait parfait de le compter avec eux, et ils s'étaient mariés, et la bague à leur doigt trahissait de tout l'engagement qu'il prenait auprès d'elle, pour elle, pour toujours. Et ses mèches rousses flottant sur sa peau claire, lorsqu'il déposait ses lèvres sur elle, pour l'embrasser, pour la faire soupire, et son sourire surtout, le sourire qu'il parvenait à lui décrocher quand elle oubliait qu'elle avait été obligée de l'épouser, mais qu'elle sentait qu'elle l'aimait quand même. Il se rappelait de la première fois qu'il avait posé les doigts sur elle, la première fois qu'ils avaient mêlé leurs corps et plus rien alors, ne lui avait paru plus brillant qu'elle, rien n'avait plus goûté la même saveur. Des années après, quand les ombres s'étaient estompées, les filles étaient arrivées. Leurs petits pas sur le parquet dans le palais quand elles le cherchaient partout, le rejoignant même durant ses réunions. Quand il s'arrêtait pour les prendre dans ses bras, peu importait ce qui était en train d'être dit ou fait, quand il ne pouvait reprendre avant d'avoir enfoui son visage dans leurs cheveux et l'odeur rassurante de fleurs qui s'en échappait. C'était réconfortant d'avoir une famille, mais leurs souvenirs l'étaient tout autant et parfois, il se rappelait. L'odeur du petit déjeuner ensemble, où les filles avaient le droit de parler autant qu'elles le voulaient, à la différence de Corvo et lui quand ils étaient petits. Les cours de piano où Bo et Miriel se regardaient en souriant, et qu'il ne les dérangeait pas, se contentant de les regarder de la porte. Et leurs rires quand elles faisaient des bêtises. Et lui qui se contentait de prendre une mine sévère mais qui ne les grondait pas vraiment. C'était des années plus tôt, toute cette insouciance, c'était durant une autre vie, lointaine, réconfortante et merveilleuse. C'était d'autres temps et plus jamais ils ne se sentiraient si bien. Réouvrant des yeux qu'il sentit embués, il se contenta de garder le silence, faisant signe à un domestique pour qu'il lui apporte à boire et lorsqu'elles eurent terminé de jouer, il déclara

« J'ai l'impression de ne pas vous avoir entendu jouer du piano depuis des siècles. »

Il espérait quelque part qu'ils viendraient se joindre à lui, assis dans un canapé, et qu'ils deviseraient comme ils ne l'avaient plus fait depuis trop longtemps. Il espérait qu'ils pourraient être une famille, un temps.