c'était la colère et les maux (círyon)

La colère et la tempête tonnent comme autant d'éclairs échappés. Ton corps entier exulte, exalte, colère et haine et dégoût. Hurle ta douleur au fond de ta bouteille de piquette, hurle ta peine à défaut de pouvoir la dire, à défaut d'avoir été présent. Il est pas mort. Tu t'interdis de le penser. T'interdis d'imaginer, de laisser tes pensées devenir réelles. Ce n'est pas vrai. Il est vivant, quelque part. Il est vivant et le fils a pris sa place. Le fils sait, où il est. La nouvelle a fait le tour de l'Empire, plus vite encore que la peste ne fait son chemin en temps de guerre. Elle explose, la bouteille, presque au visage d'un badaud qui ne s'est écarté à temps que sur un coup de miracle. Il n'était pas visé, mais l'esclandre qui en résulte t'obliges à t'échapper par derrière. Ne resteras pas après avoir démarré une bagarre générale dans la taverne où tu as élu domicile ces derniers jours. Mis dehors évidemment, mais peu importe. C'est pas grave. C'est moins grave que de savoir qu'il a été remplacé. Que personne ne sait où il est officiellement. Qu'il pourrait être entrain de pourrir sur le bord d'un fossé te rends exécrable. Tu ne peux l'envisager. Et si aucun de ceux qui te donnent de l'information n'arrive à trouver la vérité ou même une bride de piste, c'est parce que tu le sais, c'est bien gardé là-haut. Il va te falloir vaincre ton dégoût pour y aller, pour aller à la source, et tu sors ta bouteille de courage-liquide. Tu veux pas faire face à la vérité et pourtant te voilà en route pour le palais. Que l'on ne te laisse pas passer est normal, habituel, mais tu as tes entrées ailleurs. Trouvera toujours le moyen de parvenir à tes fins, comme quand tu ouvres les portes en grand du bureau du fils de l'empereur en t'y laissant tomber. Pardon. De l'Empereur. « OU EST-IL ! » Ne tempères pas, les bras maintenus par les gardes qui ont tout tenté pour t'empêcher d'ouvrir cette porte. N'dis pas bonjour, n'présentes pas tes respects. Tout de colère vêtu tu es incapable de tenir en place. « TON PÈRE ! » Tu cries encore, attirant évidemment à toi d'autres gardes qui cherchent à t'empêcher de faire du mal au nouvel empereur, mais c'est pas ton but. Ils tentent de t'amener au sol mais c'est l'adrénaline de la colère qui te maintient encore à moitié debout. Si les yeux tiraient des flèches il en serait criblé.

Rabat ton manteau de colère sur toi sitôt lâché en partie par les gardes qui ne restent toutefois pas inactifs. Essayes de te débarrasser de la poigne que l'un d'eux garde sur ton épaule et l'assassine du regard - peut-être, plus tard, l'un manquera à l'appel du matin. Accroupi sur le sol dans la même position qu'un animal traqué, tu pousses sur le bras de cet imbécile pour te redresser, avoir l'air moins prêt à l'attaque et pourtant. Sait être venu chercher des réponses mais la réaction du fils de n'est pas celle attendue. De frisson de dégoût tu passes à une mine si renfrognée qu'elle semble avaler la lumière de la pièce dans la colère. Il ne craint pas la mort, Ciryon. Ne semble pas la craindre mais le devrait. C'est qu'il est dans cette position où la mort est à présent devenue compagne de tous les jours et le regard que tu continues de lui lancer malgré ses réponses - ou plutôt, à cause de ses réponses - n'est qu'un avant goût, qu'une teinte de noir sur un tableau inachevé. Il ne te satisfait pas. Il n'a pas le port altier de son père. Il n'en a pas la prestance, n'a pas l'allure, n'a pas le charme, n'a pas le courage. Pas un tiers de son être n'est à la hauteur du père que tu idolâtres bien trop, dans la peine qui t'accables. Dans la peine qui l'accables aussi, apparemment. Tique sur ses expressions, sur l'émotion qui se réverbère de l'un à l'autre. Il semble réellement soucieux, réellement peiné, et si tu finis par cracher ta colère littéralement sur le sol - récoltant au passage la gifle gantée du garde devant toi pour ton manque de respect, tu relèves la tête vers ce nouvel empereur de pacotille. « Tu ne sais pas ou tu ne veux pas savoir ? » Ne croit pas à sa promesse dans le vent. Il a enfin obtenu la place rêvée, fantasmée, qui lui était destinée par droit de naissance. Quel intérêt a-t'il a rechercher celui qui a soudainement disparu pour lui laisser la vedette ? Ne portes aucune déférence, ne semble même pas le respecter tant que la colère habite toujours ton être - mais te quitteras-t'elle un jour, cette colère ? Rit à sa fausse promesse. « Tu n'as aucun intérêt à le chercher. » Constat. Douloureux mais constat quand même. Ta joue rougit à vue d’œil mais c'est même pas aussi remarquable que les tourbillons d'émotions de tes yeux. « Tu as enfin atteint le but de ta naissance, tu devrais être ravi. » Plutôt que d'être enfermé dans un bureau teinté de deuil. « Je ne te crois pas. » Ne demandes qu'à croire. N'attends que de voir si le fils est au moins au tiers valable. Donnes-moi tort, sembles-tu dire. Donnes moi satisfaction, penses-tu. Donnes moi de quoi te croire, cries-tu.

Semble oublier que tu parles au nouvel Empereur. A délibérément oublié que tu parles à un Empereur. Ne veux pas penser que tu parles à l'Empereur. C'était à prévoir pourtant, qu'un jour, Malcolm soit remplacé. Que Malcolm, en qui tu as tant confiance, finisse par disparaître. Naturellement, mystérieusement, en éclat ou en fanant, peu importe, tu aurais dû t'en douter, qu'un jour, il ne serait plus là. Tu ne pensais pas pourtant que ce jour viendrait si tôt, et c'est ce qui teinte ta colère d'une couleur carmine prononcée. Cela n'aurait pas dû arriver. Tu aurais dû partir avec lui, tu aurais dû insister pour le suivre, même discrètement, dans sa mission. Mais il ne t'en a pas parlé. N'a pas daigné te donner d'informations sur où il partait, ni quand, ni comment. Il t'a invité à partir à l'autre bout de l'empire, dans une mission qui n'était qu'un mirage, qu'une parade, et d'un ennui mortel. Assènes ta colère et elle ne fait pas mouche. Semble d'un trémolo ajuster la voix du Nouvel, semble l'alourdir d'une peine partagée mais, si t'es honnête, rien ne te conviendrais comme mots, comme haine, comme peine. Ne saurait supporter quoi que ce soit venant d'un être pareil. Círyon, que tu as vu trainer dans les jupes de son père aux réunions, que tu as jugé du haut de ton siège d'assassin, sans jamais vraiment t'intéresser au futur. Le futur que tu n'imaginais pas sans l'autre. Non, tu ne penses pas que ce que tu dis importe à ce nouvel empereur, mais tu voudrais que ça en ait. De l'importance. Son conseil t'arraches un ricanement mauvais, rapidement tu - il faut garder les accusations calomnieuses pour toi il paraît, tu finis par être libéré de la poigne du garde, qui s'écarte mais tiens toujours ta silhouette dans son viseur. Il ne faudrait pas que tu profites du fait que le Nouvel tourne le dos pour sortir ta dague et la lui planter dans le dos, pas vrai ? Mais tu n'as aucun intérêt à le faire. Si ce n'est pas lui à la barre de l'empire, ce sera son frère, et il n'est pas de bon ton qu'un guerrier comme lui finisses avec la couronne sur la tête. Sent, pour l'avoir vu plusieurs fois lui aussi, que ce serait une très mauvaise idée actuellement. Des deux, celui qui te fais face est le plus à même de réussir à tenir la barre et tu as bien conscience que de toute manière, tu n'es pas en position de force. Si tu veux garder ta liberté, si tu veux garder ton libre-arbitre et continuer à servir Malcolm, il faut bien que tu mordes sur ta chique... Jusqu'à temps de le retrouver. Jusqu'à cet instant, jusqu'à retrouver celui qui t'a accueilli comme une vraie personne. Le regard au sol alors qu'il s'éloigne vers la table assiégée d'une carte aussi immense qu'est l'Empire, tu relèves la tête au moment où il t'invite à le rejoindre. Un brusque changement d'attitude qui relèves un coin de tes lèvres en un rictus, le choix qu'il te laisse est facile. Évident. Si tu sors de là, tu seras seul, et le manques d'informations que tu n'as pas pu combler t'a bien prouvé que cette fois, il te faudrait prendre avantage de toute l'aide qu'on te donnera. Et puis, il sera encore temps plus tard de changer de perspective et d'abandonner le Nouvel de pacotille pour remettre le Précédent sur le trône. Te relèves, doucement, époussette d'un geste ton manteau, reste à l'écart encore, sous les yeux méfiants des gardes. « S'il est allé chez les fiels, il n'est pas passé par Feltimirek. » C'est l'un des premiers endroits où il aurait dû passer, et l'un des endroits que tu as évidemment vérifié, de tes sources et de tes yeux. T'approches à pas silencieux, mais pas invisibles, appuyant sur la carte la ville en question. La colère tonnant toujours dans ton regard, couvant toujours dans tes prunelles et tes entrailles, tu contient autant que faire se peu ce qui t'animes à l'intérieur. « Il adore passer par là, et je n'ai rien entendu. » Et ce n'est pas normal. Mais rien n'est normal. Il a fait un pas vers toi, Círyon, ne t'a pas fais abattre par ses gardes, alors tu fais un geste vers lui aussi, même si ça te coûte.

Retrace, du doigt, de la pensée et de l'esprit, tout le chemin auquel le Précédent aurait pu prendre. Sur quel sentier il aurait pu se perdre, sur quelle route il aurait pu tenter de se faire oublier. Il y en a tant et si peu à la fois. Le Nouvel est là, à alimenter ton esprit et tes pensées embrumées par le sang gorgé d'autre chose que d'hémoglobine sobre, mais ce qu'il dit ne fait pas grand sens. Pourquoi l'être le plus puissant de l'Empire aurait pris la peine de se déguiser ? Pour quelles absolues raisons il se ferait passer pour quelqu'un d'autre ? Ton regard plongé dans le sien qui te fais face, tu le soutiens quelques instants sans mots dire. Les questions se chevauchent et se choquent l'une à l'autre, les réponses, elles, ne sont nulles part. Il est évident qu'il s'est intéressé à entrer dans les terres fielliques, il n'y a que là où il aurait pu disparaître. Un homme tel que lui ne disparait pas par enchantement, c'est juste impossible. D'un poing rageur claqué sur un coin de la carte, tu te retournes vers un garde et commandes, comme si tu arborais une quelconque autorité en ces lieux à présent, comme si celui à qui tu t'adresses ne t'avait pas foutu une gifles quelques minutes plus tôt. « Donnez-nous les cartes les plus récentes. » Elles doivent exister, même pour Junfark, même pour ce territoire sauvage et qui vit presque en dehors de l'Empire. Te retournes vers le Nouvel, quand il mentionne Dreadmire. « C'pas la peine. » Parce qu'il n'y aura rien là-bas. Pas une once d'information ne circules dans les grandes villes à ce propos. Elles sont aussi muettes que cette carte bien trop grande à tes yeux et pas assez précises. Relèves un sourcil quand tu parcours les noms des villes côtières, espérant un instant d'illumination qui ne sembles pas venir, et tu te mords la lèvres de nervosité face à ton impuissance. Partagée d'ailleurs, quand tu sens un subtil changement d'attitude chez le fils de. Dépose un instant tes mains contre la table, relevant le regard vers celui qui a pris la place de Malcolm, et qui prends sa pose. L'imitation est presque parfaite, et ça t'arraches presque un sourire, un léger coin de tes lèvres qui se soulèves, dans ce rictus pas tout à fait assumé cette fois-ci, parce que malgré la parodie, il t’investis d'une mission. Il croit en tes capacités à retrouver Malcolm, ou du moins cherches-t'il à te laisser ta chance - et en réalité si tu étais un peu plus terre à terre tu comprendrais qu'il s'agit là presque d'une faveur, parce que tes tripes auraient pu joncher le sol et pourtant tu es toujours vivant - et en colère, cela va de soi. Dans tes yeux l'hésitation, parce que tu ne sais toujours pas si c'est pas lui qui tire les ficelles de ce jeu dangereux, et que tu n'apprécies marcher sur la corde que lorsque c'est toi qui l'a tendue. Te racles la gorge, laisse planer un suspense théâtral qui ne dure pas, qui s'arrête quand le fameux garde apporte enfin une carte exclusivement du territoire fiel - tu as failli attendre, et tu n'as pas quitté des yeux le regard du Nouvel avant d'asséner. « Je retournerais Atalan pour le retrouver. » Sait que tu ne réponds pas exactement à la question, mais il s'en contentera. N'aura rien de mieux pour le moment qu'une promesse de tout faire pour retrouver son père. Le reste sera des non-dits, qu'il vaut mieux garder sous silence de toute manière. « Votre patrouille, faut pas l'envoyer pour rien. » Lâches en posant tes doigts sur trois points de la carte, l'un de ces points étant l'un des plus dangereux du territoire : les marais. « Dreadmire c'est une voie sans issue, envoyez votre patrouille en trois là, là, et là. » Les fiels sont méfiants, et voir un grand détachement dans ce moment de passation de pouvoir te semble être un risque trop grand. Vous ne savez rien de ce qu'il s'est passé, et si les fiels détiennent des informations, ce n'est pas en les brusquant avec des patrouilles impériales que ça va leur délier la langue. Tu le sais, il le sait, et tu es persuadé que cet imbécile de garde qui te toise comme si tu étais un simple mendiant, le sait aussi.