middle of the night (ash)

Cri tourment se perdent dans les draps.

Pâles figures font les étoiles à leurs ébats.

Les soupirs résonnent comme en écho, les mains se serrent, se crispent, l'une contre l'autre, alors que les ongles incendiaires de la gorgone transpercent son dos. Son corps brûle, non plus des tortures d'antan laissant vestiges calcinations sur son buste, mais d'une chaleur toute autre. Elio se fraye chemin dans les vices, en balancements rythmiques, les prunelles perdues dans l'obscurité de la nuit. Il ne la regarde pas. Ses yeux s'échappent, mus par un irrépressible besoin de se vouer au néant.
Mieux vaut le vide que le souvenir impérissable et collé à sa rétine d'une Nithya transfuge, renégate à son être et à sa race. Il ne peut regarder Ashara, étreint par la peur d'y voir une autre.
Elle est le miroir brisé d'un passé avorté.
Pourtant, ses hanches qui oscillent au rythme de son bassin sont bien réelles. Son souffle hérétique perdu dans les draps est matériel. Elle est de chair et d'os, enserrée dans ses bras, ode au désir et à la bestialité ; mais c'est Nithya qu'il voit. Quelque délire sans doute, pénitence quelconque d'un Fimjir farceur qui l'empêche de rendre à Ashara tous les hommages qu'il lui doit.
S'il lui partage son corps, ses soupirs et des flammes sacrifices ; il ne parvient pas à l'ancrer durablement dans son âme. Elle reste scellée par quelques sortilèges ineffables, secrètement cachetée entre les mains d'une sorcière avare. Et pourtant. Ashara...

Elle mérite de trôner sur un monde en cendres, du haut de son piédestal en couronne de braises.

Il ne lui offre pas assez, Elio. Alors qu'elle se fait pour lui servile visage de vestiges envolés, elle n'obtient en retour qu'une pâle présence au coin de brasiers sacrificiels. Et pourtant. Ashara...

Elle mérite la puissance mythologique au fond des entrailles, des nuées de créatures obséquieuses et rampantes baisant le sol qu'elle a dénié fouler.

Elle a l'âme chaos et le regard sombre, le bout des doigts calciné comme un hommage au passé de D i v i n e, elle a de la reine le port altier et la puissance démoniaque, et Elio ne la mérite pas.
Dans un soupir, râle nocturne et sauvage, le volcan s'éteint. Du creux de ses bras, il ne s'éloigne pas. Il sait comme la nuit sera longue, il savoure un peu de cette quiétude qui toujours précède l'orage, avant d'emporter avec eux ces cendres de plaisir. Dans quelques minutes, le fantôme abyssal qui erre entre eux remuera, prendra forme entre leur corps assouvi et Nithya reviendra à la vie, d'entre les laquais de Fimjir.

Pour l'heure, c'est elle qu'il veut regarder. C'est dans ses yeux qu'il aspire à se noyer. Darde ses prunelles dans les iris voilées du chaos d'Ashara, se repaît de ce qui résonne en lui. Elle est son double - créature démoniaque aux rires sardoniques quand les braises lèchent les derniers souffles de vie d'une victime collatérale. Ils sont faits du même acier, tous deux trempés dans les flammes de l'enfer junfarkien. Voués au chaos, celui-là même qui transpire jusque dans la moiteur de leur corps enserrés l'un à l'autre. Il dépose sur ses lèvres un délicat baiser, qui a le goût du regret. L'instant s'est échappé par les fenêtres entrouvertes, et le moment de l'aveu sonne l'heure.
S'il s'écarte de son corps nu, c'est par décence. Il ne peut parler d'elle sans se défaire de son intimité. « Ash. Il faut que je te dise quelque chose. » A peine un murmure, tant la stupeur fait encore vibrer le palpitant du sorcier. Le dire, le verbaliser, laisser les mots s'échapper en syllabes de ses lèvres mi-closes, c'est le faire exister. Il clôt ses yeux sombres.
Il sait qu'en avouant, il condamne Nithya à la mort.
Un soupir. « Elle est en vie. » Comme on arrache un pansement. Nul besoin d'expirer les lettres qui forment son nom, Ashara saura.
Sans doute sait-elle déjà.

Cri tourment se perdent dans les draps.

Pâles figures font les étoiles à leurs ébats.

Les mains viennent s'enfoncer dans sa chair, ses ongles essayer de marquer vainement la peau à la manière dont on essaierait d'ancrer un bateau au port sous une tempête hostile. Le mouvement est presque désespéré, l'ancre ne touche jamais le fond et bientôt l'être sous ses doigts, comme le sable qu'on essaie de retenir entre ses doigts, filera. Ses yeux viennent effleurer le visage de celui qui se sert d'elle comme d'une marionnette bien heureuse d'effectuer sa tâche et de prendre le rôle qu'on lui impose avec plaisir. Ses lèvres viennent chuchoter son nom comme pour lui rappeler une chanson dont il aurait oublié le refrain, mais cela est vain, car au milieu des fantômes, que vaut une chanson aux sons mortifères ?
Elle n'est qu'une mélodie imitée d'une chanson qu'il essaie d'oublier.
Ses hanches viennent s'échouer contre les siennes dans un mouvement presque désespéré. À chaque mouvement, il semble vouloir animer un cadavre, à chaque respiration vouloir lui redonner vie à travers elle. Thanatopractrice de talent, elle se fond pour devenir ce cadavre qu'il aimait tant, ne trésaille pas quand c'est son nom à elle que son âme murmure dans les ténèbres de la nuit. Elle lui donne Ashara, accueille la douleur qui finit toujours par arriver en même temps que l'extase alors qu'il évite toujours son regard.
Ses mains viennent effleurer sa poitrine, sentir la chaleur de son dieu à travers la peau de son amant. La jeune femme expirant une dernière fois, essayant de rallumer la braise du cœur froid de l'homme au-dessus d'elle qui déjà était ailleurs. Ses pupilles viennent se poser sur un coin de la pièce, certaine de voir Nithya les observer avec dégoût, la jugeant du haut de son trône pour cette mascarade à laquelle elle se prête. La reine dont elle n'est qu'une ombre derrière l'immense trône, une ombre parmi tant d'autres.  

Elio siège auprès de la reine, les deux moitié d'une même âme et d'un même pouvoir enfin réunis siégeant aux côtés de Fimjir

Ashara cherche son regard au milieu des vagues tempétueuses mêlant désir et chaos, ses mouvements se font plus frénétiques, pâle imitation du désespoir de prince. Ashara sourit à travers les flammes, animal repêt du lien ténue qui existe entre eux à ce moment.

Déjà les Moires semblent vouloir de nouveau faire un noeud sur leur fil, remplaçant le fantôme par la femme derrière le masque.

Les flammes du désir s'éteignent enfin et ne laissent que des cendres dans sa bouche. Cela a un goût familier, cela lui rappelle la maison bien que le mot semble abstrait dans son esprit. Pendant un bref instant, elle est incapable de regarder Elio, incapable de supporter ce qu'elle a déjà vu dans son regard à chaque fois : une teinte de regret en regardant sa poupée avoir été usée. La poupée aux morceaux brisés ose enfin la regarder et lui offre un de ses morceaux, contente d'avoir été utilisée, heureuse de recevoir qu'une fraction de la chaleur du brasier.

Leurs yeux se croisent enfin et ses lèvres viennent s'étirer en un sourire complice alors que les prunelles, déjà, se gardent derrière une muraille de protection afin de l'empêcher de voir derrière le chaos qui se dessine déjà sur son visage. L'étreinte sonne comme un au revoir comme à chaque fois et pourtant, elle peut lire à travers son désespoir un aveu qu'elle n'ose croire. Les lèvres du prince tremblent, premier signe du doute insinueux qui s'immisce dans ses entrailles. Ses doigts brûlés viennent jouer avec le drap blanc ne laissant aucune trace des cendres qui s'amassent dans son être à mesure que les pièces s'assemblent pour créer un puzzle funeste.
Déjà, il prend de la distance alors qu'elle amasse le tissu blanc autour d'elle, le froid remplaçant lentement la chaleur habituelle de leur étreinte. La révélation écrasant les dernières braises de son coeur « Comment ? » La question est presque chuchotée, ses yeux viennent se poser sur la fenêtre qui semble refléter le visage de Nithya qui observe la scène avec un sourire sardonique. Ses doigts effleurent ses vêtements qu'elle enfile rapidement, ne voulant plus jouer à ce jeu d'imitation. Les lames froides viennent se glisser entre ses paumes moites, rassurantes.  « Notre Père lui aurait accordé de revenir parmi nous ? » Les paroles lui arrachaient la bouche, la trahison avait un goût amer. Sans faire attention, elle serra l'un des poignards assez fort pour que le liquide vermeil glisse sur la lame pour s'échouer sur le bois du plancher.

Elle se relève rapidement, le volcan, sans attendre pour enfiler ses vêtements, comme une poupée brisée mue par un besoin de cacher son intimité. Le jeu est terminé. Plus de miroir à contempler, rien d'autre que le vide et le froid qui s'insinue, pervers, en l'âme d'Elio, en son corps et en ses lèvres qui frémissent de l'annonce. Les courbes d'Ashara se métamorphosent, se voilent désormais, parées de tissus aux teintes secrètes. Elio ne bouge pas, lui, demeure immobile statue, seulement ornée de la terrible vérité.
Il la contemple. La regarde, vraiment. Darde ses prunelles sur cette sorcière aux doigts calcinés, comme pour tâcher d'y discerner un peu des émotions qu'elle tente pourtant habilement d'éclipser.
Mais un peu de son âme parvient à s'échapper.
Quelques gouttes carmines qui finissent leur lente course sur le plancher.

Comment chuchotement. La question est légitime, elle fait écho aux interrogations qui longtemps bouleversèrent l'âme d'Elio. Il a eu le temps, lui, de digérer la nouvelle, du moins de tâcher de la rendre moins mirobolante. C'est pourtant tout son monde qui s'est réincarné, Phoenix renaît de ses cendres, sous l'égide d'un Fimjir farceur et terrible.
Il la regarde, alors que ses lèvres féminines se meuvent d'une question aux teintes supplications. Il faut savoir, il faut comprendre, alors que la réalité est toute autre, comme cachetée dans les mains secrètes de l'ironie tragique. Notre Père lui aurait accordé de revenir parmi nous. Non. Fimjir n'y est pour rien, puisqu'elle n'a jamais rejoint son lit. Ombre parmi les ombres, Nithya n'est que mascarade.
Il ne répond pas immédiatement, Elio, les lueurs de ses yeux perdues dans la fenêtre qui reflète le visage d'Ashara. Elle est d'une beauté sépulcrale, ainsi auréolée des rayons de la lune. Le sang qui coule de ses mains abimées par ses dagues mortifères ne vient que confiner encore un peu de magie à sa splendeur.
D'un geste du buste, Elio s'empare du torse de sa comparse caché désormais à sa vue par quelques bouts de tissu. Parade inutile. Il la connaît par cœur, pourrait la dessiner dans la noirceur du néant, rien que de la perfection de ses souvenirs. Les réminiscences sont complexes et fourmillantes, tant il lui semble avoir vécu mille vies à ses côtés.

Il l'attire à lui, attise en elle ce feu démoniaque, amène à ses lèvres ses doigts sanguinolents. Aspire en sa bouche les quelques gouttelettes carmines qui attestent de sa matérialité - elle est en vie, elle l'a toujours été. Sans mentir, sans gruger, sans cacher sa vérité, Ashara est de cendre vêtue, mais pourtant plus palpable que ne le fut jamais Nithya.
Ses doigts toujours enserrées dans ses griffes, Elio plante son regard dans les prunelles de sa comparse. « Il ne lui a jamais fait l'honneur de l'attirer à lui. » Du saint des saints elle est exclue, la traitresse à sa patrie. Nul enfer ne s'ouvrira à Nithya, rien que l'irrépressible naufrage du vide - voilà ce qui l'attend lorsque le trépas s'annoncera. C'est la cruelle destinée des incroyants. De celleux qui ont osé blasphémer, tournant le dos au seul divin.
« Elle n'est que mensonge et mascarade. Tout cela n'a été qu'une feinte savamment orchestrée.
Je me suis renseignée, elle a rejoint les Nymphéas. » L'on ne saurait mesurer la quantité de dégoût qui suinte des mots d'Elio. Il ne peut cacher la haine que désormais il lui voue, à celle qui autrefois se fut parée du surnom d'étoile de ses jours. De l'astre ne reste qu'étoile moribonde, déjà exclue du royaume des vivants souvenirs.

Il enserre Ashara dans une étreinte furtive. Elle est palpable et réelle, oh combien matérielle, et il semble à Elio qu'elle lui permet de rester en vie. De toucher encore du bout des doigts un peu de vérité, après avoir flirté trop longtemps avec délire et mensonge.
De son feu, elle a réveillé une partie d'Elio qu'il ne se connaissait pas, un sadisme fidèle, apanage des braises qui ne lui était pas complètement naturel. Sans qu'elle n'imagine une seconde l'importance capitale que volcan a pris dans son existence, elle a voué Elio plus encore à Fimjir, alors qu'il aurait pu s'en détourner, mué par des forces irrépressibles telles que la douleur et la peur. Elle a empêché cela, la furieuse sorcière, l'entraînant à sa suite dans la rédemption, le deuil par les flammes et les plaisirs sacrificiels.
Il lui doit tant.
Il caresse, joueur, les doigts saccagés de la belle, alors que ses lèvres font frémir le silence. « Elle nous a tous dupés. Deux fois. Par la trahison, puis par le factice trépas. » Une part d'Elio ne peut cacher qu'il s'en veut - il connaissait Nithya comme s'il l'avait faite, il aurait dû voir venir la félonie, la contrôler, la changer. Saisir quelques-uns de ses fils, à la poupée déloyale, et les empêcher de bouger.
Leur amour n'aura pas suffit.

Rien n'aurait pu faire vaciller le cours de la tragique destinée.

Les gouttes carmin roulent sur ses doigts, pâle remplacement aux larmes qui refusent de tomber de ses yeux. Le liquide est rassurant, chaud contre sa peau et son esprit effleure l'idée d'enfoncer la lame encore plus profondément pour remplacer ses émotions parce qu'elle connaît le mieux ; la douleur. La poupée se demande quand les fils qui la maintiennent en vie continueront de la faire danser, qui osera couper les maigres fils qui la retiennent dans le monde des vivants ? Son regard se perd sur les craquelures du plancher, le bois usé comme un reflet distordu de son âme. La tempête se déchaîne dans la prison de son corps, les vagues traîtresses manquant de faire trembler ses fondations, les doigts laissant des traces sur le manche du poignard, des cendres du brasier qui menace de tout dévaster.
Feu et eau se mêlant dans une disharmonie qui sonne une chanson vengeresse à ses oreilles.

La question est pend dans l'air comme un condamné que l'on aurait oublié sur la place publique, l'air devenant lourd à mesure que les gens posent les yeux sur la sauvagerie humaine qui ont amené à son exécution. La vérité menace de les étouffer tous les deux. Ses pupilles viennent se plonger dans les siennes à travers la fenêtre, verre cruel qui reflète l'image de leur dévastation. Il n'a pas besoin de lui parler, les mots de son cœur viennent se poser sur le sien comme des papillons funestes.
Elle regarde le prince au marbre craquelé, l'expression tranquille remplacée par la même dévastation qui parcourt son corps. Le reflet se brouille sous ses yeux, soudain, elle est là arborant un sourire sardonique, dévastant les cendres de leur union. Elio l'observe se rend-elle compte. Cavalier de l'Apocalypse qui sait que l'inévitable arrive, le cheval impossible à arrêter alors que les champs brûlent sous ses sabots. Après elle vient le Déluge.
Il refuse de lui répondre, les mots sont soudain des poisons qu'il faut traiter avec attention. Dans la douleur aveuglante de la révélation, il lui semble encore plus précieux. Trésor de ses trésors qu'elle garde jalousement afin que la Dragonne ne vienne pas le lui prendre. Si elle se perd un instant dans la contemplation de leurs reflets ainsi réunis, elle pourrait rêver d'autre chose, de ce qu'ils auraient pu être dans d'autres circonstances. Elle sait cependant que dans toutes ses vies, il choisirait la Princesse Damnée plutôt que l'Ombre qui hante ses pas.
Soudain, ses bras sont autour d'elle, la chaleur de sa peau faisant reculer la mer et les vagues du port. Elle est chez elle à nouveau et non plus dans la tempête. La calle de ses doigts vient effleurer sa peau, saisir sa main d'un mouvement si délicat qu'il manque de la faire soupirer de contentement. Les hurlements de son âme se taisent enfin, ses yeux croisent les siens, il est l'étoile de son ciel, le phare qui la ramène chez elle.

Le fantôme disparaît, chassé par le Prince qui la bannit en un instant pour mieux le refaire surgir. Ses doigts picotent contre l'humidité de sa bouche et son autre main vient se poser sur la joue du demi-dieu en face d'elle. Elle pouvait dessiner les contours de son visage même dans les ténèbres les plus profondes, serait incapable de donner juste valeur aux nuances de ses yeux. En cet instant, ils sont les avatars de Fmjir et de son amante, perdus dans la nuit, redoutant la venue du jour. Il est là aujourd'hui, il la choisit aujourd'hui contrairement à elle.
L'enfant prodigue devient donc traîtresse, ingrate de l'attention de son Père qui lui a pourtant tout donné. Ashara saurait lui redonner le chemin vers le véritable Dieu, elle l'y amènerait de force et présenterait son âme en offrande au tribunal divin. Les paroles d'Elio viennent attiser la braise dans sa poitrine, elle accueille la douleur avec plaisir bien que son coeur semble se fissurer encore un peu plus dans sa poitrine. Les incroyants doivent mourir et la Grande Blasphématrice ne sera qu'un pas de plus pour Ashara d'obtenir la grâce divine de son Père.
Le lien familial l'unissant à la traîtresse vibre sous sa peau, se tend de façon douloureuse dans son être. L'émotion lui nouant la gorge se reflète dans la haine vibrant dans la voix d'Elio. Pourtant dans la profondeur de sa haine, elle peut encore y voir les braises de l'amour qu'il lui a un jour voué. Le sourire qui se dessine sur ses lèvres est triste pour lui qui souffre des braises d'un amour impossible, des braises plus chaude que les cendres qui les unit tous les deux et pour elle, qui doit faire son devoir, fille parfaite du seigneur de la mort, lame de sa justice.

L'étreinte est désespérée, une bouée dans la mer qui se déchaîne entre eux menaçant de brûler les fondations de la maison chaotique qu'ils incarnent. Ashara ferme les yeux un instant, se laissant bercer dans les bras de la seule personne qui la relie encore au monde des vivants, le fil qui l'empêche de se perdre trop profondément dans le royaume de leur Père. Il est réel. Il est vivant. Il l'a choisi. Les mots sont comme un mantra, un remède contre la brûlure de la trahison fraternelle.
« Tu as conscience de ce que l'honneur me dicte de faire ? » Elle se doit de lui murmurer ces mots, de voir s'il l'empêchera. Elle ne lui dit pas qu'un mot de sa part empêchera l'exécution de la traîtresse, les mots sonnent comme les plus doux des blasphèmes. Comment réagirait-il si elle lui disait qu'elle était prête à refuser l'appel de la justice divine s'il lui demandait, que sa main lâcherait ce poignard sans une once d'hésitation.  
« Notre Père lui as-t-il retiré sa bénédiction ? Sait-tu si elle peut manier les flammes ? » Elle préfère rester pragmatique, ne pas s'étendre sur la trahison de sa sœur désacralisée, bénédiction devenue nid de vipères. Ses mains viennent serrer celles d'Elio, les poser sur son cœur battant comme pour le rassurer, comme pour chasser le fantôme de Nithya qui hante la pièce.

Elle est dans la nuit le tourment des astres. Tourbillons vague-à-l 'âme s'immiscent dans la chambre, et dieu seul sait lequel des deux êtres se délitera le plus dans l'orage qui s'annonce. Peut-être brûleront-ils ensemble dans l'ardeur des flammes courroucées, enlacés l'un à l'autre comme voués à partager leur tragique destinée.
Ils sont la mort et le néant, lutte irascible proclamée contre l'odieuse harmonie. Hurlements sonores viennent troubler la quiétude de l'ennui et des mornes soirs d'agonie - dans les cris, ils président, du haut de leur piédestal carmin façonné des os des indigents, couple morbide couronné dans les flammes du chaos. Dans le sein des saints, ils ne sont rien, à peine ombres évaporées, éviscérées, mais ils ont su tisser leur toile en tandem au cœur obscur de leur propre enfer.

Dans l'improbable disharmonie que forme leur paire, ils semblent se complaire. Se retrouver l'un en l'autre, dans quelque chose de désespéré, bras enserrés et griffes acérées. Ashara et Alleyn, Elio et Dravyen, couple maudit au destin mortifère, condamné à la mort avant même de naître - le fantôme de Nithya rôdant entre leurs draps.
Ils ont l'amour des charognes, et il semble que ce soit réciproque. Elio a tout tenté pour se défaire de ce cadavre disparu, sans jamais se voir couronner de gloire. Elle demeure, la ruine faucheuse, comme une araignée piégée dans sa propre toile. Trouve sa place confortable entre les bras des amants, s'inscrit sur la rétine, ne se laisse oublier dans le vestige des souvenirs. Odieuse prédatrice, contre laquelle Ashara ne peut rien.
Peut-être que sa vie retrouvée pourrait au moins servir à condamner son épouvantail fantomatique. Elio se prend à croire en l'espoir. Et si. Et si de l'ombre ne restait que cendres. Et si du trépas revivait la vie, comme les fleurs germent de la mort. Et si leur union pouvait être. Simplement. Respirer, voir le jour, vraiment.
Se plonger dans les prunelles d'Ashara sans y voir l'écho de Nithya, pouvoir ouïr ses paroles sans y chercher l'intonation d'une autre voix, jouir du partage sans sentir entre eux comme la chaleur infernale de la sorcière maléfique.
Et si cette réalité alternative pouvait se matérialiser.

Que l'espoir est terrible, quand désillusion est son glas.

Leur étreinte semble éternelle. Pourtant, les mots d'Ashara viennent rompre l'illusion de l'instant. Tu as conscience de ce que l'honneur me dicte de faire ? Ses yeux se parent d'un rouge carmin, son âme s'évapore dans les tourments de la révolte. Il n'entend pas, n'écoute pas les mots qui suivent, sent à peine la main de la belle qui vient serrer la sienne, l'apposer à son cœur. La colère le soulève de terre, l'envoie vers d'autres asphaltes, des contrées inhospitalières à Ashara interdites.

Boom boom.
Battements réguliers.
Boom boom.
Le cœur qui s'embrase.
Et celui d'Elio qui s'est tu.

Sa voix vient briser le silence. Il s'empêche par je ne sais quel miracle de poser sa main sur la gorge de la gorgone pour la faire taire - sans doute un élan de piété pour celle qui est sa matérialité irréelle. Mais sa voix ferait trembler les volcans des enfers. Il ne crie pas. N'en a pas besoin. La ténacité et l'absolue rage contenue qui la fait trembler suffisent à lui donner toute sa force. Elle a un corps - s'illusionne comme une sorcière aux traits infâmes. Derrière lui repose son ombre, immorale, terrible, perdue dans une grimace mortifère. « Tu ne. La. Touches pas. » Il y a tant d'autres choses qui se disent dans les silences.

Elle m'appartient. Toute entière. Vive ou morte, son sort est mien. A moi de récupérer ce qu'elle m'a pris en la condamnant au trépas, à moi de plonger mes iris dans les siennes lorsque son dernier souffle elle rendra, à moi de me noyer dans les délictueuses perversités de la mort qui se donne à une âme tant aimée. Elle m'appartient.
Elle n'est pas tienne, ne le sera jamais. Au creux de sa mort, tu retrouveras peut-être ton propre visage - sans doute as-tu beaucoup perdu par sa sorcellerie indigne, mais elle est mienne. Pour toujours, à jamais.

Il n'a pas besoin de dire. L'ardeur de sa voix, l'ombre matérialisée comme par magie dans son dos, écho sépulcral de sa tonalité bestiale, suffiront sans doute à calmer le feu du volcan. Sinon... « Je n'hésiterai pas à te tuer si elle ne le fait pas d'abord. » Il a  le regard assuré qui se darde dans les yeux d'Ashara. Il ne souhaitait pas en arriver là, ne l'a jamais voulu, mais il connaît trop bien sa belle pour ne pas craindre de sa part quelque tortueuse résolution. Il lui faut se montrer convaincant, car si elle venait à attenter quoi que ce soit au sort de Nithya, elle condamnerait leur union au néant et au vide aussi sûrement qu'en mourant.
Il ne peut la perdre, elle aussi. Pas maintenant. Un deuil, puis deux - l'enfant condamné, le troisième se propage. Vois la nuée d'oiseaux noirs qui surviennent à l'horizon, ils apportent avec eux le drapeau noir de la mort. Ashara en cendres, son lien au réel rompu, et l'âme d'Elio sera définitivement perdue, vouée au néant du toujours.
Ramené à un calme modéré, le sorcier fait disparaître l'ombre apparue sans qu'il ne le veuille vraiment. « Ashara... Promets-le moi. Je ne peux te perdre, toi aussi. Je n'y survivrai pas. » Il y a de la douceur qui vibre désormais dans le creux de sa voix.

Être antithèse, démon indécis, il nage dans l'océan des peut-être et des jamais.

Ashara a toujours détesté l'espoir. Ce mot si grandiloquent mais capable de raser des villes entières. Cette émotion qui fait trembler les lèvres, rêver d'illusions éphémères pour mieux tomber du haut du ciel une fois que la terrible vérité vient s'annoncer comme les nuages gris venant prendre en otage le ciel bleu. L'espoir tuait, le plus grand assassin était cette émotion.
Elle aurait pu se prendre au jeu des reflets de la vitre, se laisser entraîner dans la danse sans fin des rêves les concernant, la mer se calmant enfin contre le port, les fondations au bois solide et non plus en train de pourrir. Ashara pouvait sentir ce rêve de façon si tangible qu'elle était certaine que si elle tendait la main, elle pourrait en saisir le voile et s'en draper. La poupée pouvait danser avec les fils de son marionnettiste en s'imaginant être une étoile, mais elle revient toujours sur terre, les éclats de rêve se brisant sur la scène, les astres pleurant déjà ce rêve arraché prié à leur déité.

L'impact de sa perte vient la poignarder en plein cœur, elle peut voir ses mots poignarder le sien et venir découper dans sa chair, la bête qu'il cache sous son air innocent. La naissance est rapide, née de la fureur et des cendres de leur union, ses doigts viennent serrer les siens douloureusement. Sa peau chauffe sous la sienne et bientôt, elle sait que des brûlures apparaîtront. sur la chair entourant son cœur gravant ce moment à jamais dans son être. Tatouage de leur union maudite, sacrifiée au nom d'une sorcière.
La réalisation la faisait suffoquer silencieusement dans cette chambre hantée. Elle avait oublié à quel point l'espoir était une chose fragile, elle avait oublié la dangerosité du poison qui parcourait en cet instant ses veines et venait la poignarder. La douleur était quelque chose de familier, une ode qu'elle acceuillait avec plaisir. L'enserrement de sa gorge n'était qu'une preuve de la faiblesse qu'elle devait éradiquer dans son être. La douleur était le remède, la glace sur les bleus de son coeur et elle aurait presque sourit si son coeur n'en était pas brisé pour autant.
Ses yeux sont désormais un orage dans lequel elle ne peut plus naviguer, le phare s'évanouit sous le poids de l'obscurité, mais Ashara tient bon. Elle a toujours su survivre quitte à ramper pour réussir, monstre demi-divin à la volonté de fer. Elle aurait aimé avoir la carte de cette mer que Nithya seulement semblait posséder, pouvoir en dessiner les contours pour mieux en éviter les surprises ou les pièges. Ashara n'était pas navigatrice, mais destructrice, sa destinée était tracée et le Destin lui demandait de répondre à son appel plutôt que d'essayer de s'y dérober.
Elle plonge dans les prunelles de l'astre et aimerait le taillader, condamner les étoiles à mourir sous ses lames afin de ne plus jamais les prier à nouveau. La résolution flanche en le voyant et pourtant, le chemin de son Père se rappelle toujours à elle, enfant du chaos et du meurtre. Elio ne devait pas oublier qui il avait devant elle, oubliait-il à quel point elle pouvait faire brûler le monde sans un battement de cils ? Oubliait-il qu'elle était le droit armé de leur Père et que sa justice n'échappait à personne ?
« Je ne reçois d'ordres que de Fimjir, l'aurais-tu oublié ? » Sa voix est froide, débarassée de ce foutu espoir, des rêves qui l'accompagnait.
Maudites soient les étoiles.

Pourtant, la poupée ne peut s'empêcher de ressentir une pointe de peur en observant son âme jumelle, peur de finalement trouver la liberté en coupant définitivement les fils qui la retiennent à lui. Elio, le nom qui chante en elle la plus délicieuse des mélodies sonnera-t-il sa marche funèbre ? Elle regrette presque les mots prononcés de peur de voir Elio se détourner de l'ombre définitivement, de peur qu'il ne visite plus jamais son royaume maudit.

Boom boom.
Battements réguliers.
Boom boom.
L'équilibriste avance
Avant de tomber dans le vide.

Le désespoir, la bouée, ses mains viennent la toucher frénétiquement, supplique adressée à la déesse du carnage, une supplique pour que la sentence ne tombe pas. Il est le pélerin qui vient prier à la statue d'épargner celle qu'il aime, l'homme désespéré qui est prêt à tout donner pour une seconde de plus avec elle. Sa faiblesse la dégoûte autant qu'elle lui brise le coeur, ainsi il faut donc tuer la racine malade pour que l'arbre pousse encore plus grand. Il faudra la tuer pour qu'enfin, il soit débarassé de ce poison mortel qui l'empêche de voir l'issue inévitable de cette union tragique. Peut-être que leur Père lui offrira ces noces funèbres dans son royaume si il tient l'épée et elle, le glaive. Peut-être que même dans le monde des Morts, elle est condamnée à être l'ombre des vitraux de leur cathédrale mortifère.

Si je la tuais, j'enlèverais cette faiblesse qui t'empêche d'être fort, je te guérirais de ce sort qu'elle t'a lancé. Si je la tuais, je pourrais voir l'espoir mourir dans ses yeux comme dans les tiens et je me repaîtrai de ta douleur comme un animal sauvage, juste rétribution pour ce que tu m'as fait. Si je la tuais, je tuerais une partie de moi, je deviendrais ma propre ombre et c'est mon nom que tu murmurais dans le noir. Enfin, si je la tuais, je nous tuerais aussi et perdrais mon chemin, ton fil ne me guidant plus à travers le labyrinthe.

La mort par sa main ne serait pas si terrible. Elle avait presque envie de rire. La mort ne l'avait jamais effrayée, peut-être était-ce pour cela qu'elle était aussi zélée. Il y avait pire façon de mourir que d'être tué par un être aimé. Cela ressemblait presque à un cadeau à ses yeux, le dernier des présents entre deux amants. Ses doigts viennent effleurer sa joue encore une fois, dans un geste doux comme un au revoir qui n'en est pas vraiment un. Elle scruta ses yeux, cherchant désespérément les cendres de leur brasier « Il n'y aurait pas plus grand honneur que de mourir de ta main, cela ne m'effraie pas. »
Elle peut voir le moment où il s'accroche à elle, peut sentir l'air devenir lourd de son empressement à la rassurer, à la supplier. La danse continue, la musique s'accélère et elle peut sentir que le rythme leur devient inconnu. Elle avait eu sa réponse des secondes précieuses plus tôt. Il était prêt à tuer pour celle qu'il aimait, Ashara était destinée à mourir. La pensée la fit rire, le son est creux et résonne dans la petite pièce. Malgré sa condamnation, elle hoche la tête. La main est toujours posée sur sa joue. Elle peut lui accorder une grâce, pour l'amour qu'ils se portent l'un pour l'autre et qu'il ne lui rendra jamais, pour les miettes qu'elle est toujours prête à donner au chien affamé.  « Phare de ma vie, je lui accorderais une chance de se repentir. J'irais la voir et l'épargnerais pour qu'elle y réfléchisse. » Elle raffermit sa prise sur sa joue, encrant son regard dans le sien « Si elle refuse, je lui offrirai une mort rapide, par amour pour toi. »

La mort n'est pas pour tous synonyme de fin.

Elle n'est que l'aube d'un nouveau chemin.

Il y a des âmes broyées par la vie qui la recherchent ardemment, comme mus par un viscéral besoin de se donner à elle, ne faire qu'un, enfin, avec Fimjir et s'allonger dans le lit de ses vices. Ashara est de ces engeances, de celle qui ne craint rien moins que le trépas, le recherche, quelque part, de sa longue-vue zieute l'avenir en quête de sa fin. Trouver en elle comme un semblant de quiétude, débarrassée enfin des tourments de la vie, se perdre dans le labyrinthe indécis de l'au-delà, y trouver comme une renaissance.
S'il s'agit de rendre son dernier soupir dans les bras du sien, d'Elio, de se vautrer dans ses flammes et d'hurler son tourment dans le creux de ses entrailles, il semble que ce soit pour Ashara comme un ultime cadeau, don de soi à l'autre, miroir qui retrouve un semblant d'unicité dans l'ultime étrenne. Mortifère et sépulcrale étreinte, la dernière, la seule réelle.

Pourtant, sa voix est d'une froideur terrifiante lorsqu'elle rompt le silence. « Je ne reçois d'ordres que de Fimjir, l'aurais-tu oublié ? » Le dieu des dieux, aspire à la mort, et dissémine quelques directives dans les esprits des sanctifiés.
Elio n'est pas Fimjir, il n'est ni son ombre, ni son avatar. Pourtant, il promet à sa belle la mort en auréole si elle ose prendre au sorcier ce qui lui appartient de droit, s'emparer par elle-même du dernier souffle de Nithya. Et il n'a pas compris, le volcan cendré, se méprend d'un amour avorté, annihilé, qui résiderait encore dans le cœur d'Elio.
Oh combien elle se trompe !
Oh combien elle ne prend pas le bon angle de son diamant, regarde de travers, les prunelles perdues dans des vestiges du passé. L'amour, c'est autrefois. Elio ne lui demande pas d'épargner la belle, mais bien de lui céder l'honneur de la mener au trépas. Une mort lente, douloureuse, en hommage à toutes les infamies qu'elle lui a fait subir, de la perte de l'enfant à l'enterrement violent de leur idylle.
Ashara ne sait pas, tout cela. Elle n'a pas l'honneur d'entrer dans les secrets de leur union, ignore jusqu'aux méandres du fœtus ancré dans les viscères de la mère-morte. Méconnait la force inéluctable de leur fusion. Néglige également l'ardeur de la haine, rage vorace qui semble dévorer jusqu'aux souffles de vie du sorcier.

Elle pose sa main sur sa joue, dans un geste désespéré et empli d'un amour à sens unique qui se déploie dans sa toute puissante omniprésence. « Phare de ma vie, je lui accorderais une chance de se repentir. J'irais la voir et l'épargnerais pour qu'elle y réfléchisse. » La poigne sur la joue se raffermit un peu, mais ne peut gruger, ne peut cacher la tendresse mansuétude qu'elle lui voue - elle étincelle dans chaque parole et dans chaque silence, ciel étoilé illusionne ses prunelles. Elio se saisit de cette main doucereuse dans le creux de sa joue, la pose contre son coeur.

Sens. Sens comme il brûle et vibre de la rage non contenue qui hurle pour se déverser. Il n'est plus cendres, tu n'es plus volcan, Elio devient dragon qui crache sa haine en torrent de flammes, brûle et détruit la terre entière pour la voir mourir, de sa main périr. Il n'est plus l'amour d'autrefois aujourd'hui remplacé par répugnance vorace - il n'est plus celui qui offre mort rapide pour ne pas la voir souffrir. Il est le monstre éveillé - pire cauchemar des sanctifiés.
L'âme toute entière, tu la vois, Ashara, cette âme qui s'illusionne dans une odieuse grimace, silhouette inhumaine et colossale qui n'attend qu'un geste, qu'un mot, pour broyer le crâne de la coupable. Tu la vois ? Sens-là. Elle se trouve dans ce cœur qui vibre à outrance, dans le sang qui se propage jusqu'au palpitant, vicié, vénéneux, mortellement venimeux. Ne le touche pas trop, de peur d'être empoisonnée toi aussi, Ashara. Protège-toi, pour ne pas subir le même sort par ricochet, double broyé d'une Nithya condamnée.

Il a le regard qui se darde en elle, semble lire dans son âme comme dans un livre ouvert. « Il semble que tu n'aies pas compris, Ashara. » La tonalité de sa voix est redevenue régulière, ne se fait plus l'écho des battements disharmonieux d'un cœur trop malmené. Il sait. Il est auréolé de l'éclatante certitude de ce qu'il a à faire, et du besoin viscéral et prégnant que c'est à lui que revient cette tâche. A personne d'autre.
« Il n'y a pas de rédemption possible. » C'est terminé. La fin est actée. La pièce ne peut s'achever autrement que par la mort de la damnée. C'est la tragédie en cours, inéluctable, intolérable. Il ne peut y avoir d'autre dénouement. Si Fimjir ne s'empare pas avant de Nithya, c'est bien Elio qui se fera son duplicata. Jamais Ash. Qu'elle réduise le monde en cendres, laisse éclater la lave de ses viscères, qu'elle broie l'univers tout entier sous la chaleur de ses doigts, se ceinture de son chaos, tout, tout pour elle - mais pas Nithya.

Le regard d'Elio toujours dardé sur Ashara se fait l'écho de la sadique perversion qui brûle dans son âme. « Il n'y aura pas non plus de mort rapide. » Il y aura tourments, souffrances et martyre, exutoire de violence, il y aura tous les non-dits qui étaleront le temps du trépas, tous les silences qui retarderont la fin.  « Il y aura mes mains enserrant son cou, mes prunelles se dardant en les siennes pour la regarder expirer dernier souffle d'air. Si tu me prives de cet instant, Ashara, il n'y aura pas d'honneur dans ta fin. »  La tonalité de sa voix est d'une douceur étrange qui tranche avec les horreurs ainsi débitées dans le creux de la nuit. Pourtant, c'est le voile de l'évidence qui s'inscrit en ses prunelles.

Je te le promets Ashara. C'est ce qui arrivera.

La mort cet être puissant, corbeau aux ailes infinies

mourir c'est facile c'est vivre qui est difficile.

Elle avait rencontré la Mort, avait essayé de la repousser afin de protéger le seul être pareil au sien. Après souffrance et douleur, la Mort était un manteau réconfortant, un être qui abrégeait toutes les épreuves de la vie et venait récompenser les braves. Ce passage de la vie au trépas était magnifique, une danse dont le mystère était entié, mais dont elle pouvait déceler toute la vérité. Ce soupir de soulagement que tous émettent, cette chanson inaudible aux oreilles des chaires encore fraîche, voilà ce qu'elle rêvait d'entendre. Comme les fleurs qui viennent faner à leurs pieds, la mort était une étape inévitable, une Mère qui venait récupérer son enfant pour l'accueillir dans un royaume dépassant l'entendement. Ashara n'était qu'une passante, les grilles du domaine inévitablement fermées. Cela ne l'empêchait pas d'en griffer le fer pour en toucher l'air mortifère.
L'Église dont elle était la lame ne l'autorisait pas à venir y prier, mendiante de marches funèbres et de concerts funestes. Elio était risible de la menacer de l'emmener dans ce monde où nulle souffrance ne la retiendrait, où elle pourrait se blottir dans l'ombre de son Père, recevoir la gloire qu'il lui avait promis.

Elle est certaine qu'il va couper ce lien, poser ses mains et les brûler tous les deux. La fin d'une idylle faussée, deux fantômes l'un de l'autre, deux miroirs tordus qui se font face et éteignent le brasier qui les animent. Pourtant, la vérité pend entre eux comme une épée de Damoclès ; aucun n'est prêt à partir du monde des vivants aujourd'hui.
Il pourrait se saisir des ciseaux qu'elle lui tend, la rendre loup solitaire dans ce monde étranger où elle n'est qu'une passagère mortelle. Les mots échangés sonnent comme des serments maudits, des phrases trop dangereuses pour être répétées à nouveau, un suspens si horrible que pour la première fois en cinquante ans, elle sent son ventre se nouer d'anxiété.
Entre eux, il n'y a jamais eu de serments solennels, aucune promesse prononcée. Les mots leur avaient toujours échappé et pourtant, elle était certaine que son cœur hurlait constamment l'amour qu'elle ressentait pour lui. Amour... Le mot semblait risible tant, il était une part d'elle-même, l'autre moitié de son âme brisée, le seul morceau qui permettait à la statue de tenir encore debout. Était-il seulement conscient qu'il était le gardien de son esprit ? Que lui seul gardait fermement les grilles du domaine de la mort qu'elle observait avec envie, l'empêchant de se jeter dans le vide.
Si elle partait aujourd'hui de ses mains, elle sourirait entre les flammes, rirait de la douleur, le serrerait contre son corps jusqu'à ce que leurs cendres se mêlent puis s'envolent ensemble dans la brise. S'il devait survivre après le meurtre, elle le hanterait. Fantôme depuis sa naissance, elle ferait en sorte de hanter son cœur comme elle n'avait jamais pu le faire de son vivant. Elle en connaîtrait les moindres recoins, construirait un autel à leur union pour que jamais, il ne l'oublie.

La main vient se poser contre son cœur qui bat la chamade, le monstre est dans sa cage. Elle aurait aimé apprendre à faire de la musique pour essayer de faire la symphonie de cet organe qui dirigeait tout, Dieu des Dieux, malédiction des malédictions. Pourrait-il seulement battre pour elle ? Un cœur était trop étroit, trop unique pour être partagé. C'est la mélodie d'une autre qui résonne sous ses doigts calcinés et elle sourit tristement, l'instrument du sien essayant vainement d'imiter l'inimitable.
Ses doigts effleurèrent sa peau dévoilée, comme on effleure un trésor qu'on n'a peur de casser. Elle avait peur que l'objet se brise en accomplissant son devoir, qu'en détruisant celle qu'il aime, il ne ravage son être au passage. Ashara pouvait supporter sa propre mort, mais la perte d'Elio lui serait insupportable. Son Père ne pourrait jamais lui infliger une telle torture à moins qu'il ne veuille la punir. Sans lui, elle serait condamnée à n'être que moitié et plus jamais une, une âme en peine cherchant vainement sa jumelle.
Nithya. Le nom résonne dans son esprit comme un rire cruel qui jamais ne disparaît. L'architecte de son être, celle qui l'avait poussée dans les bras du dieu de la Mort qu'elle devait à présent aider à passer au trépas. Tout son être tremblait à cette opportunité. Elle était traîtresse, mécréante, pathétique, et contre tout, elle était sa sœur. Un fait qui lui donnait envie de hurler face aux ténèbres. De peur et par la réalisation qu'elle avait à présent ; elle n'était pas sûre de pouvoir aller jusqu'au bout, n'était pas certaine que sa main ne tremble pas. La réalisation sonnait odieuse à ses oreilles. Une fois morte, elle serait l'instrument parfait, aucune fêlure dans son armure, aucune fissure dans son âme.
« Comment as-t-elle reniée notre Père ? » La question lui semblait vitale. La brebis pouvait encore revenir au troupeau. Tout pourrait redevenir comme avant, la Fille reviendrait et leur Père, miséricordieux lui accorderait son Pardon. Elle avait besoin de ce maigre... Espoir. Le mot lui donnait la nausée à présent, créature faits de tristesse et désillusion.
« Je te laisserais donc lui accorder la dernière grâce. » C'était là le cadeau qu'elle leur accordait à tous les deux. Un dernier au revoir, un nouveau moyen de se détruire mutuellement. Le Fantôme retournerait dans son royaume et Ashara regardera l'amant raccompagné sa dulcinée. Elle ne demanda pas s'il était capable d'effectuer cette tâche impie, cela serait trop insultant pour lui. Elle serait son ombre comme à chaque fois et si sa main devait faiblir, elle l'aiderait à y enfoncer la dague.

Ashara se penche légèrement, ses lèvres viennent effleurer celles d'Elio, les papillons s'envolent pour mieux mourir à leurs pieds « Je me dois de vérifier si il reste un peu de notre Père en elle, de la voir une dernière fois. » Si elle pouvait encore manipuler les flammes, déceler les faiblesses de son armure pour mieux la détruire ensuite. Voilà ce qui était tûe derrière ces quelques mots  « Quand tu viendras l'amener à notre Père, je viendrais avec toi. »  Elle voulait être là pour ramasser les morceaux de l'âme qui se briserait peut-être, essayer de recoller les morceaux, le verre lui coupant les mains si il le fallait.

Ils sont tous deux enfermés dans une prison aux barreaux de fer qu'aucun ne peut brûler. L'un l'autre geôliers de leurs propres âmes, ils dardent leurs yeux l'un dans l'autre, se toisent, s'épient. C'est à celui qui baissera les iris en dernier. Tu perds, je meurs. Ils ont les cœurs qui battent à l'unisson, unis par la trahison et la disgrâce de Sitarys.
Quelque part dans l'enfer, ils se sont trouvés.
Pour mieux se désenchanter.
Ils ont déniché en l'autre comme un phare dans le brouillard, une lumière vive pour étreindre leur chaos. Ils sont une tempête d'émotions contraires, oxymores en passion rageuse, deux miroirs brisés aux braises ternes. Il arrive à Elio de se rappeler, dans les nuits d'insomnie où il déverse sa rage pour la sorcière d'autrefois. Parfois, il songe aussi à Ashara. Avec la puissance insoupçonnée des souvenirs qui étincellent dans le labyrinthe mémoriel. Remembrances.

Ashara est debout, silhouette de reine qui se découpe dans la lumière des flammes, elle a les mains étendues devant elle, déverse magie qui se faufile des doigts, et le rire démoniaque tout autant que cristallin vient rompre le silence de la nuit. Elle a la fantastique beauté des démons nocturnes, ce quelque chose méphistophélique dans le regard qui perce et voile. Elle n'est plus Ashara, elle n'est plus la coquille vide qui flotte, passe, et erre dans la vie comme dans un creux intérieur. Elle devient le volcan déversant sa lave pour anéantir et assujettir le monde à sa toute puissance.
Elle est d'une vénusté renversante. C'est ainsi qu'Elio aime à s'en rappeler, ainsi qu'elle fait vibrer les moiteurs de son corps, provoque au creux des reins un émoi sempiternel. C'est aussi ainsi qu'elle marque de son empreinte les corps et les âmes, provoque la sensation, attise en les esprits troubles et émotions. Elle est à Elio.

Dans ces moments-là, elle lui appartient.

Il ne saurait dire comme il l 'admire. Au creux de la nuit, il savoure de l'admirer intouchable, puissante et insoupçonnable. Elle s'auréole d'une couronne divinité, et il brûle d'être soumis à sa magie, de hurler dans ses braises et de se courber, ployant la tête à genoux devant la souveraine. Se damnerait pour un seul souffle de son air.

Et puis... Dans le creux de leurs avanies, dès lors qu'il la possède, il ne retrouve plus cette ineffable vénération - à l'instant précis où elle lui appartient, qu'elle darde ses prunelles acquises en les siennes, elle redevient une simple humaine, reprend forme banale. Femme parmi les autres, prise et possédée, elle se dépossède justement de sa couronne d'or, chute de haut, de très haut, d'un piédestal inégalable.
Comme il aurait aimé l'aimer d'un même amour que celui qui vibre dans ses iris. Comme il aurait été plus simple qu'il brûle d'elle, pour elle, dans un tourbillon d'émois couleur infinité. Quelques soupirs, et le réel redevient tortionnaire - elle n'est qu'une brise, dont l'image s'échappe pour toujours à chaque fois qu'il pénètre chair et âme.
Elle le vénère trop pour qu'il ne le puisse, saisit l'amour pour deux, l'empêchant à son tour de se l'approprier. Il ferme les mains, tente d'en saisir un fragment - elle a déjà tout pris. D'attachement et de foudre, elle le gorge à en crever, alors qu'il ne lui cède que miettes. Il aurait tant aimé lui offrir le ciel sur un plateau d'or et d'argent.
Là encore, la vie se fout de lui. Bonheur à portée de main, et d'un souffle de vent s'échappe dans le néant. Intouchable, insaisissable. Il en a le goût et l'odeur, mais lorsqu'il se retourne, tout a disparu.

Elle est emplie de curiosité, quand Elio revient au présent, cède adieu à ses souvenirs réminiscents. Ashara s'interroge, mais il ne peut lui dévoiler l'infâme vérité, ce qu'il a obtenu de sa bouche de traîtresse, ne peut non plus dire comme il n'a pas confiance en ses  paroles, comme désormais, chaque mot s'échappant de ses lèvres sournoises se pare de l'accent du mensonge.
Il ne peut rien dire, Elio, tant il craint que ses murmures ne viennent se faire l'écho de mystifications éhontées, dévoyées dans ses esgourdes pour semer le trouble au sein des Braises. Il craint tout, désormais, tout entier dévoré qu'il est par la peur, et par l'ultime prophétie de Nithya - la dragonne reviendra. La crainte se mêle à la rage, il ne sait plus où se donner, ni à qui se vouer. Ne reste que l'éclatante certitude de la foi en Fimjir, et les prunelles matérielles d'Ashara dardées sur lui, aujourd'hui comme demain.
Deux vérités qui ne se meuvent pas dans les vagues du destin.
La main se retire de son cœur battant la chamade, et le sorcier reprend la quiétude d'autrefois. Il a la tonalité de la voix assurée, de celle qui ne dit que ce dont elle est sûre - autrement dit, peu de choses. « Je ne sais pas comment elle a renié les braises et notre Père. Il semble que sa magie soit altérée, mais elle demeure puissante. J'ai senti en elle comme... » Un frisson de dégoût qui vient saisir le corps entier d'Elio, alors qu'il ramène la couverture sur son corps nu. Vaine tentative - le froid est dedans. Il est souffle d'air d'une âme lassée et écœurée. « ... Une recherche d'harmonie. De quiétude. » Il la soupçonne d'être aux Nymphéas, cache ce doute rageur à la belle Ashara, de crainte qu'elle ne la retrouve avant lui. « Elle n'est plus que l'ombre de ce qu'elle fut. » C'est à lui-même qu'il parle,, mirant en Ashara les reflets de ce qu'il ressent en son for intérieur.

Il sent comme l'hésitation dans la voix d'Ashara lorsqu'elle proclame son jugement - « Je te laisserais donc lui accorder la dernière grâce. », comme un doute qui se cache entre deux syllabes. Y parviendra-t-il, l'enamouré de toujours, saura-t-il en son cœur nouvellement pur et autrefois tant chéri enfoncer profondément la lame ?
Elio n'est pas en proie à ce doute. Tout comme il est certain de trancher d'un geste sûr les veines d'Ashara si elle en venait à trahir. « Si tu désires voir les vestiges de ce que fut ta sœur, soit, je ne saurais t'en empêcher. » Il darde à nouveau son regard en le sien, assuré, certain. L'un de ses doigts surélève son menton, la rend captive de ses désirs, alors qu'il saisit son visage dans un geste prédateur. « Mais n'oublie pas nos échanges et mes promesses. » Il ne dit pas que cela, Elio, il réaffirme, plus fort que jamais, la force de sa rage et de cette colère qui se délivreront si elle ose toucher un seul de ses cheveux.
S'il peut comprendre ce désir qui la tiraille de voir une dernière fois cette ombre du passé, aujourd'hui clone faussement dupliqué d'Ashara (comme les rôles s'inversent dans une tragédie et disharmonique ironie du sort), il ne peut qu'estimer avoir la primeur sur Nithya. Pleine possession d'elle, de son âme, de son corps, de ce ventre troué qu'il habita un jour.

Pour toujours et à jamais, s'étaient-ils promis.
Dans les flammes de l'enfer et les eaux du Styx.

Quand tu viendras l'amener à notre Père, je viendrais avec toi. Son baiser ne parvient pas à cacher le doute serpentin et vénéneux qui s'infiltre en elle - elle ne le croit pas en mesure de le faire, de la tuer, d'achever ce fantôme du passé. Le doute est, aux yeux d'un Elio blessé, un blasphème impardonnable qui se doit punir.
« Crois-tu vraiment que j'ai besoin de toi pour aller au bout de ma tâche ? » Il la regarde, et un sourire sadique et pervers vient masquer son visage d'un voile démoniaque. « Crois-tu que cette main tremble le moment venu ? » Comme pour faire écho à sa parole, il reprend l'étreinte qu'il avait sur son cou, mais ne se contente pas de surélever son menton pour la forcer au regard - il sert une étreinte vorace, comme pour marquer en sa peau blanchâtre la certitude de la mort.
Celle à venir, et celles d'autrefois.
Il ne compte en aucun cas faire véritablement du mal à Ashara, mais il se doit de réaffirmer sa virilité blessée par une dragonne en fuite. Elle est son ombre et a le malheur d'être là. Aux prises avec le démon sournois. « N'as-tu pas confiance en ce chaos qui se déverse en moi ? »

Tu viendras si je le veux,
peut-elle lire en ses prunelles.