fb — breath again

« Tout va bien, beti. » Sa main scarifiée s’était posée sur son menton, la forçant à redresser son regard. Il avait plongé ses ambres dans ses yeux, exacte copie des siennes. « Je suis tellement, tellement désolée. » Elle laisse couler une larme, tandis que sa main vient se poser sur son ventre. Elle avait fui pour sauver sa famille, les siens. Parce qu’elle avait comprit qu’ils étaient damnés s’ils restaient là. Elle avait compris que si elle ne retirait pas les fers de ses parents, ils seraient encore et encore torturés. Et elle avait compris que si elle ne fuyait pas, le même destin que le sien attendrait son enfant à naître. Elle n’avait rien dit à @Elio Alleyn. Oh, elle avait tenté, lorsqu’ils s’étaient croisés dans les couloirs ténébreux du Coven. Mais la Flamme l’avait appelé, arrachant l’être aimé à ses bras. Elle aurait dû le retenir, lui demander de fuir avec elle. Mais elle n’avait su s’y résoudre, elle n’avait pas eu le temps. Voilà ce qu’elle se répétait. Alors elle avait couru jusqu’aux geôles pour libérer ses parents. « Ce n’est pas ta faute, beti. Rien de tout ça n’est ta faute. » Et pourtant, alors qu’elle observait la tombe de sa mère et la bâtisse dans laquelle elle aurait dû grandir, elle se voyait seule maîtresse de ce destin funeste. Tout était sa faute, quoiqu’il en dise. « Les étoiles en ont décidés ainsi bien avant ta naissance, bien avant la mienne. » La prophétie. Chanson entêtante qui venait pulser à ses oreilles, qui avait bercé toute sa vie. L’élue des astres. Désastre. Elle n’était elle-même pas certaine de comprendre cette prophétie, et elle n’était pas certaine que son père ne la comprenne réellement non plus. Pour ce qu’elle en savait, la destructrice des mondes pouvait tout aussi bien détruire les continents, que briser un château de carte qui représentait le monde à celui qui l’avait créé. Ou comme maintenant, briser sa famille. Son monde à elle. L’orage s’était ensuite mit à retentir, noircissant l’horizon de ses nuages ténébreux et de ses éclairs belliqueux. Elle avait porté son regard vers le lointain avant de se figer, observant les silhouettes encapuchonnées arrivant dans leur direction.


Elle se redresse brusquement dans sa couchette et place une main sur son ventre en sueur. Elle n’est accueillie que par l’obscurité. Souffle court, elle inspire et expire, cherche à s’extirper du songe dans lequel elle a été entraînée. Ses yeux se posent sur la bougie posée sur la table de chevet à ses côtés. Elle y avance sa main, hésitante. Ses yeux se ferment. Elles plongent dans le puit de sa magie, tente d’en atteindre les tréfonds. Elle sent les braises et la chaleur et le pouvoir diluvien qui sommeille en elle. Pourtant, lorsqu’elle rouvre les yeux et tente de faire jaillir des flammes de ses doigts, elle n’est accueillie que par le silence et le froid. La destructrice des Mondes n’était plus, son brasier ardent jeté aux oubliettes. Elle soupire légèrement avant de poser ses yeux sur son ventre. Comment une chose qui n’avait pas encore eu le temps d’exister, pouvait-elle lui manquer à ce point ? La douleur se fait fulgurante lorsqu’elle s’approche du palpitant. Elle sent son myocarde se serrer de plus en plus fort, comme s’il cherchait à arrêter son cœur dans une paralysie. Elle relève la tête, et insulte les étoiles. Elle crie sa douleur aux astres, aux ténèbres et à Fimjir. A celui là même qu’elle reproche de lui avoir ôté sa lumière, simplement parce qu’elle a tendu les doigts vers quelque chose de plus grand que lui. Vers la vie elle-même. Plus encore que cette vie, le Dieu Funéraire avait tenté de la dérober. « Tubī daor. » qu’elle avait murmuré selon les guérisseurs qui s’étaient occupés d’elle, comme si elle se battait avec ce dernier de toute son âme et de tout son être.


Un raclement de gorge venant du lit d’à côté la sort de ses pensées. Elle détourne le regard des cieux pour se concentrer sur le visage éclairé à peine par le clair de lune, de l’homme. A lui aussi, elle lui avait parlé dans sa langue maternelle lorsqu’elle avait posé ses yeux sur lui la première fois. « Skoroso jemēle brōzā ? » Elle avait fait claquer sa langue sur son palais en découvrant qu’il n’était pas plus fiel qu’elle était immaculée. « Encore en vie, toi ? » dit-elle sur un ton détaché pourtant teinté d’une pointe d’humour. « J’étais pourtant persuadée d’avoir entendu les guérisseuses dire que ton corps devait être déplacé à la morgue. » Elle passe une main dans ses cheveux avant de se déplacer difficilement dans son lit. Si elle pouvait appeler ça un lit. Son corps avait subi d’importants dégâts des suite de la bataille, son âme avec. Elle ne sentait pour l’instant plus ses jambes, mais @Morwen Kenway utilisait la magie des prières pour lui en rendre l’usage. C’était un miracle qu’elle ait survécu à ce qu’il lui était arrivé, selon les membres du Coven. Elle n’y voyait aucun miracle, Nithya. Si ce n’est son destin. Et elle ne voyait que de mauvais augure tout ce qu’elle avait perdu. Sa magie, ses jambes. Son enfant à naître. Elle avait bien vu le regard des guérisseurs lorsqu’elle avait demandé ce qu’il était advenu d’ellui. Et la mine d’autant plus déconfite lorsqu’on lui avait expliqué qu’elle ne pourrait sûrement plus jamais donner la vie. Si sa magie avait été présente, elle aurait sûrement réduit le coven à feu et à sang.

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« Et jeté un corps pareil à la morgue ? Si je meurs, crois-moi qu’ils vont m’empailler pour attirer du monde ici. » Elle affiche un léger sourire avant de faire rouler ses yeux dans ses orbites. « Je vais demander qu’il te fasse apporter un miroir, ça fait bien trop longtemps que tu ne t’ais pas vu si tu crois que ta carcasse attirera autre chose que les vautours. » Elle passe une main dans ses cheveux, avant de baisser les yeux sur ses jambes. Elle aussi, ne devrait sûrement plaire qu’aux vautours et aux harpies, à ces mécréants qui se repaissaient des os et des corps en demi-vie. Elle n’avait plus rien de la glorieuse réincarnée, plus rien de la terrible Dragonne. Elle n’était désormais plus qu’un pantin désarticulé, sans magie, sans vie. Sans éclat.

« Fais attention à toi, j’ai encore quelques munitions pour venir d’attaquer. » Elle l’observe en train d’agiter sa cuillère face à elle, comme s’il s’agissait d’une épée. Le sourire s’élargit légèrement, tandis qu’elle voit le preux chevalier – aspirant écuyer – qui vit en lui. Elle ne le connaissait pas véritablement, ce partenaire de réhabilitation. Il n’était rien d’autre qu’un inconnu, une figure étrangère qu’elle apprenait peu à peu à apprécier. En tout cas, croyait-elle qu’elle l’appréciait. Elle n’avait pas encore tenté de l’étouffer avec son oreiller, bien qu’elle en fût actuellement incapable. « Pourquoi tu es réveillé cette fois ? Un autre rêve humide sur cet Elio ? » Ses sourcils se froncent lorsqu’elle entend le prénom de son étoile. De cette étoile qu’elle avait laissé aux affres des ténèbres. Elle avait fui, sans se retourner. Elle ne lui avait rien dit de ces idées, de son désir de fuite. De son désir de lumière. Il n’était même pas au courant qu’elle avait porté, l’espace d’un instant, leur vie en son sein. Les rêves qu’elle avait d’Elio, n’étaient pas humides comme le pirate à ses côtés l’entendait. Non. Ils étaient humides de ses larmes et de son chagrin, d’une tristesse incommensurable. Il était le trou béant dans son palpitant, le vide qu’elle n’arrivait pas à combler. Savait-il qu’elle était morte ? Etait-on venu lui apporter la nouvelle, aussi sordide soit-elle ? Comment l’avait-il prit ? Avait-il détruit le coven par ses maléfices et sa rage, ou c’était-il enfouie dans cette dernière, acceptant ce faux sacrifice envers Fimjir ? Les questions résonnaient dans son esprit, triste destin qu’elle avait décidé pour eux deux. Eux trois, se dit-elle, en posant sa main sur son ventre.

Elle s’était enfuie pour sauver sa lumière, leur lumière. Pour la protéger des affres des ténèbres et des tentacules mortuaires de Fimjir. Mais il était parvenu à mettre la main dessus. Il avait détruit la lumière qu’elle avait cherché à protéger, lui avait seulement donné l’illusion qu’elle pouvait lui échapper. Ô Dieu cruel. L’ancien amant terrible avait une nouvelle fois brisé sa vie, l’avait ruée de coups si disgracieux, qu’elle était en cet instant brisé. Existence vouée au rien, au néant. « Il m’est plus facile de mouiller sur lui, que sur le cadavre que tu m’offres. » lui répond-elle finalement, chassant ses idées noires. Ses yeux s’éloignent de Jasper pour se poser à nouveau vers les cieux. Etoiles du soir, étoiles funestes. « Tu ne m’as jamais raconté ce qui t’avais conduit jusqu’ici » dit-elle subitement « Un mari épleuré a tenté de te couper la gorge après t’avoir retrouvé dans les draps de son épouse ? » Ce n’est pas tant que sa vie l’intéresse, mais elle a besoin d’éloigner ses pensées de l’obscur, du chaos. De cette tristesse terrible qui saigne son âme, ravage les minces filaments de lumière qui tentent de subsister en elle.

« Non, pour le coup, je ne suis même pas certain de comment et pourquoi c’est arrivé. On avait une mission avec ma… Troupe. » Son sourcil s’arque lorsqu’elle l’entend hésiter sur ce dernier mot. Comme s’il n’arrivait pas à décrire ce qu’était son groupe, les siens. Celleux qui n’étaient visiblement plus à ses côtés. Leur mission avait-elle été un échec ? Avaient-ils fini dans le ventre d’une créature hideuse, ou à en juger par la balafre de son cou, sur des mercenaires bien plus entraînés qu’elleux ? Était-il, comme elle, le seul survivant ? « Une personne à ramener à sa famille. Rien d’incroyable mais on s’est malgré tout fait attaquer sur le chemin du retour. Une véritable ombre. » Le soupire qu’il laisse échapper de ses lippes semble le rendre las. Elle n’en tient pas rigueur et vient déposer ses mains sur ses jambes invalides. Elle ne ressent que le contact froid sous ses paumes, et rien d’autre. Avide de se changer les idées, elle se laisse malgré tout à l’écoute de l’histoire de l’étranger qui n’en était plus vraiment un. « Si j’étais pas en train de mourir, j’aurais été impressionné. Je mens, en vrai, j’étais totalement impressionné. Elle était si incroyable que je ne lui en veux pas. » Elle observe à nouveau sa balafre avant de poser les yeux sur le rictus qui s’est peint sur ses lèvres. Cette description la fit également sourire, comme si elle était ramenée à une figure connue. Une personne qu’elle considérait comme sa famille, et que comme Elio, elle avait abandonnée derrière elle. Oh, comme les affres du destin étaient sinueux.

« Et toi ? Je suppose que tu n’es pas là pour rien, c’est vrai que t’as l’air assez mal en point quand même. » Elle darde ses prunelles dans les siennes, tandis qu’il redépose le verre d’eau avec lequel il s’est éclairci la gorge. Elle n’a pas envie de lui répondre, pire encore, elle n’a pas envie d’y penser. C’était sa faute, elle aurait dû se douter qu’il viendrait à lui retourner la question. « J’arriverai pas à me rendormir alors autant que tu me racontes une petite histoire. » Elle aurait pu lui lancer le sortilège d’endormissement, si sa magie ne l’avait pas quitté. Si elle n’avait pas perdu cette étincelle qui la faisait vibrer, ce pour quoi elle s’était battue toute sa vie. La chose qu’elle avait le plus mérité, son pouvoir. Mais elle se retrouvait désormais bloquée ici, sur une vulgaire paillasse à subir nuit et jours les chants et prières de ces nymphes qui s’évertuaient à la soigner. Qu’elle les détestait presque autant qu’elle les respectait. Elle attrapa une mèche de ses cheveux pour la replacer derrière son oreille, le regard toujours dardé sur le Laëris. Pouvait-elle lui faire confiance, ou devait-elle se méfier ? S’il avait voulu la tuer et en finir avec elle, il en aurait eu maintes occasions. Mais il était peut-être un envoyé des braises, déterminé à la faire mariner et à violer sa confiance à la fin du voyage vers la guérison. Non, ils n’auraient jamais utilisé un étranger pour faire leur sale besogne. Elle était morte pour eux, et le fait qu’elle soit encore en vie le prouvait. Personne n’était au courant qu’elle avait survécu, et cela devait rester ainsi. « Nous étions en voyage avec ma famille, lorsque nous avons été attaqués par des mercenaires. » Vérité dissimulée, elle se tourne un instant vers les étoiles. « J’ai… Ils sont tous morts. J’ai survécu. » Elle se tourne à nouveau vers lui. « Voilà mon histoire. » Elle laisse le silence s’installer, attrape à son tour un verre d’eau posé sur sa petite table de chevet et en avale quelques gorgées. Cinq, six minutes passent peut-être. Elle n’aurait su réellement le dire. « Rentrer dans les détails de ma vie ne t’aidera sûrement pas à dormir, bien au contraire. »

Elle se redresse légèrement, le palpitant qui s’accélère lorsqu’elle pose la main sur le bas de son ventre. « Les fiels ne sont dictés que par la puissance, le feu et le sacrifice. Nous croyons fermement que ces trois choses sont les clés pour l’avènement de notre espèce, et pour nous garantir la suprématie que nous pensons mériter. Mais nous avons tort. » Elle ne sait ce qu’il sait réellement des siens, de leurs convenances et de leurs croyances. Pourtant, elle débite. « On nous moule, on nous enferme dans un carcan afin de devenir les réceptacles d’une foi erronée qui nous pousse à répandre la mort et la terreur sur notre passage. Je fais parti des rares ayant décidé de briser mon carcan pour me tourner vers la lumière. » Elle baisse les yeux vers son ventre, puis ses jambes. Et en se tournant vers la lumière, elle avait tout perdu. « Mais assez parlé de moi. Tes compagnons, sont-ils encore en vie ? »