sulfure augure - kickass #1

cw: feu, brulure, gore, suicide, mort

Les lèvres sont sèches.
La peau est sèche.
Le coeur est sec.
Ses paupières la grattent, en dessous, comme s’il y avait quelque chose de coincé entre son oeil, et l’arrière de la paupière.
Non.
Ce n’est pas ça.
C’est comme s’il y avait quelque chose dans ses yeux.
Elle le sent.
Le souvenir.
La chaleur.
Le feu.
Ses yeux qui explosent.
POP, ça a fait dans son crâne, et le sang s’est asséché, cramé et saisi contre son squelette, sa peau liquéfiée et gélatineuse, la graisse fixée et logées dans les restants de son être qui ne peut pas brûler.
Et elle sent le feu, tout entier, autour d’elle, la caresse sulfureuse des flammes contre sa peau et son échec.
Sa magie tourne en elle, l’odeur des cendres et du porc grillé. Derme et épiderme soudés en un.
Pourtant.
Pourtant, elle parvient à bouger un doigt. Tendons et muscles qui fonctionnent, qui grincent contre elle, sous elle, sous sa peau, là, présente, tendue et sèche. Mais pas de bouillasses, pas d’informe délicieusement gore et inexplicables, tout juste peinte par sa psyché habituée et rodée autour de ce qui n’est pas normal.
Le souffle qu’elle prend, consciemment, le premier depuis des semaines (des mois?) lui irrite la gorge et il y a un mouvement entier de son corps qui crie à l’éveil.
Qui crie à la vie.
Parce qu’elle n’est pas morte, n’est-ce pas?
Les Syràn parlent d’une nouvelle aventure, d’un autre voyage.
Pourtant, ça n’a pas le goût d’une nouvelle œuvre.
Tout juste une page cachée, collée à la reliure, construction saboteuse de la part d’un scribe chevronné, l’histoire qui continue d’être écrite avec le charbon de son être.
Il y a une présence.
Elle le sent, là, contre son épaule.
Et quand elle ouvre les paupières, la douleur est là, différente. Celle d’une lumière dans des rétines qui n’auraient jamais dû la voir à nouveau. Sa poigne, ses ongles, ses griffes se plantent dans l’épaule qu’elle trouve à l’aveugle, plaque la figure encore inidentifiable, les spots de lumières qui lui vrille les orbites, le poids du corps contre ses jambes.
La magie s’éveille dans sa paume, retrouve la sensation chaude et poisseuse de sa lame, les trois orbites jaunes qui tournent dans un bruit organique familier, cherchent un sens à la vie d’Asmodem.
Et puisqu’elle n’a pas de réponse, la Syràn fait tout ce qu’elle sait faire.
La dague maudite se plaque contre la gorge de l’inconnue, et elle sent le pouls de l’autre à travers son Imagination. “■■■” Le son qui sort de sa gorge n’est qu’un croassement, un claquement des cordes vocales entre trop sèches, après l’une contre l’autre.
Ce n’est que la douleur qui se prend d’une ensemble de syllables intelligibles.
Et doucement, en un lent supplice, la vision lui revient.
A sa grande surprise, elle ne voit pas que les ténèbres.
Mais il semblerait qu’elle en ait attrapé un éclat.

@Rhaelikss

cw: meurtres, cadavres d'humains et d’animaux, incendie(s), fanatisme.

Les choses partent rapidement en fumée. Les choses. Les gens. Ikss ne voulait pas en arriver là (c’est faux, elle le voulait). Un village entier brûlé par sa faute ; un village de mercenaires, regroupement malodorant et bruyant tintant entre elles chopes et lames. Elle ne voulait pas s’y arrêter, à peine passer en bordure pour voler quelques vivres et pourquoi pas un lapin ou une poule. Et puis à l’entrée, des pendu.e.s, avec quelque chose d’écrit sur une planche de bois, en lettres de sang : RETOURNEZ EN ENFER. Une chance qu’Ikss ne sache pas lire. Elle les a pris.e.s elleux-mêmes pour des voleurs.euses. Ça ne l’a pas arrêtée (rien n’arrête un monstre de femme, rien n’arrête un ventre qui a faim). C’est quand elle s’est approchée d’un étal qu’elle a mieux vu les cadavres pendus ; des Fiels croisé.e.s il y a trois lunes, dans une taverne du port d’Orveil. Rhaelikss s’est arrêtée de respirer. Elle s’est arrêtée de penser. À la faim, à la soif. La chaleur des flammes s’est lentement levée dans ses entrailles, dominante, divine, punitive.
Pas besoin de retourner en enfer : l’enfer est venu à eux.

Silhouette noire et courbée au milieu des cendres, Ikss trie scrupuleusement les carcasses d’hommes de celles du bétail cramé. Elle tranche la viande encore bonne, comestible, veille à ne pas se tromper (même cuits, elle ne mangera jamais des hommes). Une forte odeur de brûlé et de chairs calcinées embaume le paysage ravagé - le bois de quelques cahuttes et installations, comme l’échafaud, continuent d’émettre des craquements tandis que le feu les dévore non plus de l'extérieur mais de l’intérieur. L'avertissement sanglant de la planche n'est plus que cendres.

Son regard de suie finit par se lever, puis sa tête pleine de longs cheveux bruns suit le mouvement, car au-delà de la ligne d’horizon s’élève une autre fumée répondant à la sienne. Un frisson traverse Ikss, prophétesse clandestine qui voit en toute chose des signes de Fimjir. Il l'appelle. Elle sait instinctivement qu’elle doit lâcher là sa viande tendineuse pour marcher vers cet autre bûcher.

C’est une femme, ou ce qu’il en reste. Pas plus jolie à voir que les macchabées brûlés qu’Ikss vient d’abandonner. Pourtant le regard de la prêtresse détaille en long le corps alangui, trouve la beauté au milieu du cramé. Elle ressemble à un présent abandonné là par son dieu au centre du monde ; à tout le moins au centre des ruines d’un incendie.
Ikss plonge brusquement vers la carcasse, ses haillons et cheveux chatouillant un corps qui ne doit de toute façon plus rien ressentir. Les mains viennent chercher un pouls, puis déplacer une épaule, puis plus rien - figées par la menace d'une lame imaginée. Une épée pleine d’yeux. Ikss lui rend un regard curieux, nullement inquiété, avant de balancer ses charbons sur la bouille qui parle. Incompréhensible. Délicieusement râpeux, mais incompréhensible.
La sorcière jette son bras pour taper brutalement contre le pommeau et le poing, déviant l’arme de sa vue dans un claquement de langue agacé. “Don’t be stupid.” La soldate, ou qu’importe soit-elle, pourrait aisément lui fendre la tête en deux : si elle n’était pas devenue du gibier cuit. Ikss ne pense pas à la rassurer, lui dire qu’elle ne lui fera pas mal. Ikss ne sait ni rassurer, ni promettre qu’elle ne fera pas mal. La tête de la prêtresse bascule en arrière, interroge un firmament qu’elle seule semble pouvoir voir ; un feu immense brûlant le ciel, un feu dans lequel deux yeux plus titanesques que ceux de la lame l’observent et l’éprouvent. Elle sourit. Comprend. La Mort a d’autres projets pour la soldate.

Ikss crache dans son petit mortier en roche volcanique, humidifie le baume qu’elle pilonne depuis plusieurs heures en changeant régulièrement les cataplasmes. Quelques potions ouvertes et utilisées traînent à côté de la paillasse de fortune (des branches de sapin) sur laquelle elle a allongé la soldate. Un feu brûle doucement à côté d’elles - aucun risque qu'on les repère, un sortilège d’occultation isole le campement de tout regard, de toute oreille indiscrète. La Fiel aurait pu utiliser sa magie pour soigner plus rapidement les plaies superficielles de la soldate, mais elle ne l’a pas fait. L'enfer restera marqué sur une grande partie de son corps, comme le sien est marqué aussi. Fimjir tatoué en lettres non pas de sang, mais de feu. Derrière le pilon qui écrase la mixture, le regard d’Ikss fixe intensément le visage qui s’éveille. “You're a drawer.” Ce n’est pas une question. Aucune mention de race ; Ikss n’en a que foutre. Elle se souvient de la lame, de ses yeux jaunes cauchemardesques. “An odd one.” Dans sa bouche, les mots sonnent comme un compliment. “Thirsty?” Le pilon écrase davantage sa mixture, apporte à la voix grave et usée par les incantations chthoniennes un grain de pierre. Ikss repose le mortier puis se saisit d'une gourde en peau. Elle ne partage pas ses ressources avec n'importe qui ; mais un présent de Fimjir n'est pas n'importe qui.

@Asmodem

cw: feu, brulure, gore, suicide, mort

Asmodem est habituée, depuis sa malédiction, à la perte.
De ses moyens,
de ses repères,
de conscience.
Quand instinctivement elle comprend que la figure qui se cache derrière les spots lumineux derrière ses yeux n’est pas une menace (n’est ni Amarön non plus), elle sombre.
Plus bas, plus loin, plus profondément.
Elle voyage dans son imaginaire, des rêves enflammés, des promesses étranges sous l’égide de forme qui se prétendent bienveillantes, et qui pourtant puent le sang, la colère, les entrailles.
Ca fait longtemps, maintenant, que ses rêves n’ont rien de commun, d’anodin.
Il y a la fureur d’une figure qui la poursuit et elle cloue au pilori un laëris.
Ca a un rythme.
shlonk shlonk shlonk.
Les clous forgés qui s’enfoncent dans les tibias, le sang qui perle et le monde autour d’elle qui pleure.
shlonk shlonk shlonk.
Pourtant le monde est silencieux et il y a une odeur de pin.
Asmodem ouvre les yeux, pour de bon, l’odeur de la magie et de la potion, en plus de celle de la forêt.
Elle tremble.
Bien qu’elle ne soit pas capable de sentir.
Son être tremble.
La voix - connue - attire son attention et elle fronce les sourcils. Ou plutôt, l’arcade sourcilière se fronce, la peau brûlée et déjà en voie de cicatrisation, suit le mouvement, grimace d’un derme étiré et malmené.
Elle est fatiguée.
Comme si le désert de Junfark lui avait traversé la peau, laisse dans le creux de ses articulations des massifs rocailleux, roses de gypse à la place des os.
L’insulte vole, désinvolte et elle grogne.  “■■■-you” Sa voix fonctionne mieux, et elle accepte l’eau offerte, qui lui gratte la gorge. Dans l'effort, elle voit sa main, qu’elle plie et déplie plusieurs fois.
C’est sa main, sans l’être.
C’est sa main, parce que le geste lui répond.
Mais ce n’est pas sa peau, pas ses ongles - l’absence de, parfois - dans la chair rougeâtre cicatrisée, vif, saisie. “Dead.” Elle se palpe le torse, à travers la douleur de ses mouvements, il y a la douleur de la réalisation. Elle chasse les cataplasmes et les onguents qui sont sur ses jambes, sur son ventre, sa poitrine, creuse de ses ongles - l’absence, surtout - la magie réparatrice, efface enlève, pour retrouver ce qu’il lui reste de corps.
Ce qu’il lui reste de vie.
Ca gonfle et ça gronde en elle, orage dans sa thyroïde.
Elle ne sait pas si elle doit pleurer, hurler, rager.
Les larmes, pourtant, coulent, peu, remplacée par sa magie, qui verse des larmes noires qui lui mouillent le visage, sillonnent ses blessures fraîches.
Encore chaudes.
Et elle rit, comme la folie rit aux heures les plus sombres de la nuit.
Elle rit, parce qu’elle ne comprend pas le jeu du destin.
Mais elle n’a pas besoin de le comprendre.
Elle n’a qu’à le forcer.
Sa lame réapparaît entre ses mains, même si c’est à présent un effort, qui la draine.
Une part d’elle se dit que c’est dangereux.
Que ça pourrait la tuer.
good.
Pourtant, la dague aux trois yeux ne se tourne pas vers la Fiel.
Les yeux jaunes, toujours, sont fixés vers Asmodem.
Et le mouvement se fait vers son propre estomac.
Aucune hésitation dans le geste.

@Rhaelikss

cw: tentative de suicide, mention de viol, narration explicite.

C’est une insulte, elle suppose. Cloquée dans la gorge brûlée. Ikss répond un sourire impur, amusé aussi. Son eau est prise avec désinvolture et le sourire s’efface. C’est un geste de privilégiée ; on connaît la valeur des ressources quand on est comme elle, rôdeur.se des bois et des rues pavées. Elle ne cherchait pas de remerciements. Seulement un coude levé moins haut et un coup de poignet moins gourmand. Garce. Que lui a-t-on envoyé là ? Pas une sbire de l’empire, elle espère. “Dead.” La prêtresse n’est pas impressionnée. Elle voit des morts depuis qu’elle est née ; elle les côtoie, les aime, leur marche aussi dessus. “Reborn,” corrige-t-elle avec patience. Ça ne lui ressemble guère. Ikss n’est patiente avec personne d’autre que ses propres démons. L’état physique et psychologique de la soldate n’est pas ce qui l’adoucit - les rôdeurs.euses des bois et des rues pavées ne s’émeuvent plus devant ces choses-là - c’est, toujours, l’importance sacrale qu’elle place en son vis-à-vis. Patience déférente, donc, comme une prêtresse nettoie délicatement l’autel de son démiurge.

Un autel qui se sabote, se ravage. Sous le regard déconcerté d’Ikss, la soldate s’arrache ses pansements qui ont mis des heures à être confectionnés et posés. Après l’eau, ses soins. La Fiel se sent insultée, grimace un rictus, se tait pourtant ; elle se recule même un peu, sauvage dans ses peurs, ses craintes, sa méfiance des autres. Son bras se tend vers son sceptre avec une mécanicité à la fois souple, à la fois raide. Elle se redresse de sa propre paillasse, le regard bas et les pupilles rétrécies, chienne effarouchée par les mouvements brusques de l’autre. La nudité calcinée ne trouve même pas grâce à ses yeux, elle a soudain trop peur quand réapparaît la lame - tout se rouvre en elle, s’épanche et se tord, la ramène à cette nuit où d’autres soldats l’ont ravagée. La paire de seins et la vulve brouillonne de la furie ne lui sont d’aucune consolation. Ikss voit surtout l’arme, et prémédite ce que l’arme pourrait en effet lui faire. Lui fendre la tête en deux.

Mais l’arme est retournée, droit sur ce petit bide plat et musclé. Alors seulement la Fiel se fige, arrête de reculer près des flammes et du feu, le regard compressé par ses épais sourcils froncés. Ah. Mourir, donc. Pas tuer. Ikss laisse faire, spectatrice—non, adoratrice, du sacrifice qu’on lui propose. Elle épingle de ses yeux le point d’impact, espère voir les entrailles se déverser et, avec un peu de chance, de panache et de bon goût, se répandre jusqu’aux braises.
Fimjir sera ravi.
Fimjir—Fimjir ne lui a pas fait ce présent pour qu’il se tue.
La réalisation craque dans le crâne d’Ikss, autant de fissures qui brisent ses espoirs morbides : l’arrêter ! Elle doit l’arrêter. Alors la silhouette de la chienne, jusqu’ici contorsionnée par le repli, se déploie dans la nuit, allonge ses haillons qui cascadent de noir. Elle est immense, imposante, quand elle remue son sceptre à la lueur du feu. Un seul mouvement lui suffit pour désarmer l’imprudente de sa lame maudite. Les deux magies se heurtent, s’entrechoquent, s’enfoncent et se baisent dans une cacophonie sourde. Au moins, la lame finit déviée. Quelle se tranche un doigt ou un téton si cela lui plaît, mais elle ne commettra pas le blasphème de s’ôter la vie. “Shall I tie you up?” Qu’elle le lui dise, ça ira plus vite. Ikss se déplace sur le côté, emportant avec elle les ombres ondoyantes et cassées des hautes flammes. “Why are you so desperate to die?” Pas un reproche. Mais le début d’un interrogatoire.

cw: feu, brulure, gore, suicide, mort

“Reborn.” Un-dead, argumenterait Asmodem, mais la voix est compliquée à se trouver, elle qui pensait ne plus jamais parler, ses dernières prières adressées à son dieu, prête à partir. Même Lesyn l’a abandonné, après son Imagination.
Elle n’est plus qu’un bout de charbon imbibé de sang.
Elle est prête à crever, à nouveau, et essaiera le nombre de fois qu’il faut.
Tout le monde meurt un jour.
Pourtant, la magie du sceptre la foudroie des doigts et c’est tout ce qu’il faut pour que sa lame disparaisse, retourne dans les méandres torves de son Imagination. Ses doigts essaient d’accrocher l’air, qui se fait fuyant, comme sa foi, sa croyance, ses espoirs.
Elle n’a rien à saisir, Asmodem.
Pas même ses vêtements.
Pas même sa peau.
Pas même sa sanité.
Que lui reste-t-il, elle qui ne peut même pas mourir?
“Shall I tie you up?” Elle tourne la tête vers Rhaelikss. “Vengeance?” Fut une époque oubliée, c’est Asmodem qui avait attaché Ikss, pour l’amener vers son jugement.
Là aussi, le destin n’en avait fait qu’à sa tête.
Chaos.
Elle lève les yeux vers le ciel, noir qui lui noir et pleure le noir.
Il se met à pleuvoir, une bouillasse noir et putride qui crépite sur les flammes du feu, l’apaise et l’étouffe lentement. Asmodem ne cille pas, sous la manifestation de son don qui la draine, lentement, lui fait tourner la tête, s’assomme petit à petit.
La magie est la vie.
Et quand elle n’aura plus de magie, que lui restera-t-il de sa vie?
“Why are you so desperate to die?” Pas moyen de crever en paix. Elle crache sa désapprobation, un postillon sec et misréable.
Comme elle.
Elle rit encore, d’un rire court, fou, essoufflé.
Fatiguée.
“■■■.” Nouvelle constatation rauque, incompréhensible. La rage au cœur, la rage au sein, elle s’attrape la peau, les brûlures, et tire sur ce qu’il reste d’onguent sur son torse. Le corps se recroqueville sur elle-même, tourne sur le côté, tourne le dos à Rhaelikss. “Let me die.” Supplique.
Elle ferme les yeux, et la pluie étrange s'arrête.

@Rhaelikss

“Vengeance?” Ikss ne voit pas pourquoi. Elle continue de marcher sur le côté, contournant le feu sans lâcher l’autre des yeux. La connaît-elle ? Se sont-elles déjà rencontrées ? Cette silhouette cramée ne lui dit rien, sinon qu’elle lui rappelle ses milliers de carcasses incendiées. Grâce aux potions de soin, les cheveux de la soldate ont recommencé à pousser un peu là où ils avaient grillé ; elle reprend vaguement forme humaine mais reste aux yeux de la prêtresse un élément du feu. Un crachat et de la pluie noire font leur apparition, picorent le sol de la bordure de forêt. La Fiel lève la tête, puis une main, accueille les pleurs obscurs d’un air intrigué. Drôle de dessinatrice que celle-là, pourrie et bouleversée par elle ne sait trop quoi. La sorcière porte les gouttes à sa bouche, lèche l’oeuvre pour en goûter le venin, savoure ce qu’il y a à savourer, expectore le reste. Des rires, maintenant, encore. Essoufflés. Ikss les ignore, termine son repli jusqu’à un rondin de bois sur lequel elle s’assoit, les mains accrochées à son sceptre comme si elle se tenait à une corde, le menton en appui.

“Let me die. - I cannot.” La voix est basse, râpeuse, désolée. Elle voit bien que la Syràn a envie d’en finir, elle reconnaît dans la détresse de ses gestes et l’étranglement de ses cordes vocales l’agonie par laquelle elle-même est passée. “Fimjir gave you to me. I would be betraying its trust if I let you die.“ Ikss ramène son regard sur les flammes que la pluie a réduites, pensive, absente, questionnant dans l’entrelacs de ses réflexions la raison de cet envoi. Elle n’est pas taillée pour sauver, elle n’est pas faite pour empêcher quiconque de vouloir embrasser la mort. Bien au contraire. “This is going to be a very long journey.” Ikss hausse vaguement les sourcils à cette réalisation, ses charbons d’yeux couverts par ses longs cils. Elle ignore encore quels projets a son dieu ; les réponses viendront peu à peu, une prière après l’autre, et quand il sera muet - car cela arrive aussi - la Fiel devra faire montre de patience. Ce qui n’est pas son fort, doit-on le rappeler. “Do I know you?” Ikss continue de regarder les flammes, sa tête pesant plus lourdement encore contre ses bras pliés, le sceptre coincé contre elle.

cw: feu, brulure, gore, suicide, mort

Ca fait des années qu’Asmodem n’a plus la foi.
Pourtant, elle sait aussi, que ce n’est pas pour ça que les dieux arrêtent d’être présents, mettent fin à leur existence. Iels sont présent.es en toutes choses, regarde le monde se faire à leur manière.
Peut-être ne sont-iels tous que l’invention d’un Imaginaire plus grand.
Fut un temps, elle aimait cette vision.
Maintenant, même le feu n’a pas réussi à la rendre aveugle.
“Fimjir gave you to me. I would be betraying its trust if I let you die. – ■■■.” Le son est inintelligible, la langue brûlée à certains endroits, les cordes vocales qui se rompent dans le mauvais sens, rappel le grincement des instruments joués dans le mauvais sens.
Elle se demande si elle pourrait étirer ses entrailles, jusqu’à en faire des codes assez longs, les étirer encore plus, pour jouer la musique funèbre qui repose dans son être.
I’m not a child of fire. est ce qu’elle voulait dire. Mais comme elle n’est pas une créature de l’eau non plus, elle ne possède pas le don de télépathie. Est-elle vraiment un cadeau du dieu des enfers? Reniflement au goût de cendre.
“Do I know you?”
Qu’est Asmodem?
Elle ne sait pas.
Est-elle une voyageuse en quête d’une destination? Elle pensait l’avoir atteinte. La mort. La promesse d’un après, qui ne vient pas.
Langueur
Le feu a laissé une trace dans ses entrailles, une présence. Une souffrance qu’elle n’avait jamais connu, et elle comprend qu’elle est restée trop longtemps à l’abri d’un autre monde, une autre possibilité.
Derrière ses paupières fermées, elle marche dans son monde d’encre et de sang, s’enfonce sous le crépitement des créatures qui n'habitent que son univers. Elle sombre ainsi, sans réponse, pendant trois jours. Quand elle se réveille, la nuit porte une autre odeur, elle-même a mué de ses braises et de son charbon, les flammes n’ont laissé que quelques-uns de ses souvenirs, cicatrice insensible à la fraicheur du monde.
“■■■.” Elle tousse, se roule sur le côté, crache de la suie et un restant de magie coincé là. “Fucking hell.” Elle sent le feu en elle, ainsi que le goudron noir qui ne l’abandonne pas, depuis sa malediction. Même frôler la mort ne l’aura pas arraché de ça. Derrière son crâne, elle sent le fourmillement agacé de sa magie, restée endormie trop longtemps et elle laisse s’échapper du bout de ses doigt un centipède longitudinale, qui court immédiatement vers les flammes du feu qui ne meurt pas - jamais en présence d’une enfant de Fimjir. Le feu mord son Imagination, remonte la créature inventée, pour venir lui lecher les doigts.
Elle se souvient de la sensation.
Comme si la foudre lui avait embrassé l’être.
Sa magie se mélange à l’élément, donne l’apparence de flammes noires qui brillent dans la nuit, aura byzantium qui dévore sa magie, plutot que sa chair.
Ou ce qu’il en reste.
Elle ferme la main et l’image disparait.
Asmodem se redresse parfaitement, les branches de pin qui cachaient sa modestie qui tombent. Elle n’en a que faire de la nudité, étudie curieusement cette étape de son corps, consciente du regard de Rhaelkiss sur elle, mais décide de l'ignorer.
Elle n’a rien à dire.
Ne sait que dire.
Sauf peut-être.
“What now?” Sa voix lui est revenue, sa langue qui compte son nombre de dents. Ses doigts tirent sur la peau, en dessous du son sein droit, vérifient l'élasticité, la sensation qui voyage dans son corps.
Elle ne sait toujours pas ce qu’elle est.
Pas morte.
Undead.
Reborn.
Une connerie du genre.

@Rhaelikss

Sa question est restée lettre morte. Un mystère emporté par le sommeil huileux de la Syràn, dans lequel elle a aussi noyé ses syllabes discordantes. Ikss s’est contentée du silence, avec lequel elle est somme toute plus à l’aise ; le silence et le crépitement de son feu, qu’elle a fait grossir et doubler au centre de leur camp comme un cœur chaud et infernal repoussant les ténèbres.
Les soins se sont prolongés pendant trois jours.
Trois jours d’attentions et d’observations pour ramener ce corps brûlé à une certaine vie - sans en gâcher la purification. Les traits et les courbes se sont peu à peu dessinés, rendant à la guerrière l’ombre de son identité. Ikss s’est alors souvenue de la Sentinelle rencontrée entre deux frontières, vaillante partisane de l’ordre à qui elle a donné l’impression de vouloir se défendre contre les fers promis. Foutaises. Ikss voulait surtout se laisser prendre, mettre en cage, et confortablement amener jusqu’aux prisons de Dynacairn. Elle s’en serait évadée pour aller trouver l’Empereur dans son lit où elle aurait déversé les enfers sur lui ; puisque tout part en fumée, même les pontes. Mais la suite, le faucon et la louve l’ont plus ou moins vécu pareillement : des chasseurs de prime venus disputer le trophée de la Sentinelle, sous le regard orageux dudit trophée. Ikss n’a pas attendu de savoir qui triompherait de qui. Elle s’est aussitôt échappée, abandonnant à son sort la Syràn. Egoïste, cruelle, la survivance gravée comme des glyphes occultes sur chacun de ses os. La Fiel n’a pas été particulièrement surprise de la voir finalement en vie. La surprise, s’il y en a eu une, s’est posée dans son regard quand elle a forcé les lèvres endormies à s’ouvrir pour boire des dernières gouttes de potion. Asmodem lui avait donné l’impression de vouloir vivre longtemps et servir tout aussi longtemps sa sacrosainte autorité. Comme quoi, tout peut partir en fumée : les villages, les empereurs, et les belles illusions.

* * *

“■■■. Fucking hell.” Ikss continue de faire rôtir son lièvre à la broche, nullement dérangée par le réveil progressif de la guerrière. Le centipède recraché par la magie syranique passe dans le champ de vision de la Fiel qui l’accompagne d’un regard intense, curieux, hostile. Les flammes deviennent noires, dansent sous son lièvre qui prend une couleur jaune émétique. Ikss a un pli de bouche contrarié, renvoie la magie syranique de son feu dans un geste sec de la main qui se prolonge en flammes endiablées.
“What now?” La broche est retirée. “We eat.” La Fiel approche le repas de son nez, le renifle et le soupèse pour voir s’il reste comestible. Le goût est celui d’une songerie glaireuse mais ça fera l’affaire. Ikss sort un couteau et découpe l’animal. “You may have regained some of your strength, but I've lost some of mine.” L’équivalence du feu. Chaque préparation lui a coûté son sang, son sommeil. La part qu’elle pousse vers Asmodem est bien plus petite que la sienne, à peine quelques bouchées pour dire de. Ikss désigne un tas de fripes et de cuirasses en tissu et en cuir qu’elle a déposé non loin. “I got you some things.” Ça pue la mort et le brûlé. La Syràn s’y sentira à son aise. Ikss repousse d’un mouvement voluptueux le pan de sa tunique pour se rassoir sur son rondin où elle mange sa part. “Don't mind the company.” Elle parle des soldats impériaux qui ont installé leur camp à moins de trois mètres du leur, incapables de les repérer grâce au sortilège d’occultation. Ikss mâche la viande rance, se forçant à avaler pour remplir un peu son ventre - pour taire les tremblements cadenassés dans sa poitrine. “We'll kill them when we leave.” Un rictus féroce se dessine dans le pli de ses mastications.

cw: feu, brulure, gore, suicide, mort

“We eat.” La vie a toujours été ainsi, à ne répondre que mollement aux questions de sens qu’Asmodem pouvait lui adresser. C’est plat et elle jette un regard à la pitance qui lui est tendue. Elle aimerait dire qu’elle n’a pas faim, que le feu a brulé l’intérieur de ses entrailles pour qu’elle ne fonctionne plus qu’à la lave de le l’existence.
C’est faux.
Il y a un tiraillement vicelard dans son estomac et la sensation même la désole.
C’est le rappel du carne, de l’ancrage dans ce plan d’existence.
Spleen.
Elle chipote aux quelques morceaux, ses dents qui mordent un instant l’animal mort.
Le goût du brûlé lui rappelle qu’elle aussi, a eu ce goût, cette odeur.
Elle se demande si Rhaelikss s’est laissé à la tentation de la goûter aussi.
Elle n’a pas encore inspecté son corps en entier.
Qui sait les marques que la magicienne lui a laissé.
Asmodem avale difficilement sa première bouchée, mastiquée et manchonnée si longuement, perdue dans la contemplation de sa vie. Il y a quelque chose de rassurant, presque, à se laisser à la monotonie mécanique du corps.
Mais elle n’est pas là pour être rassurée.
Elle ne devrait plus être là.
Son front se plisse et se barre de ses pensées sombres. “I’m not going to thank you.” Ingrate. “I didn’t ask for any of this.” Elle sent la mort dans le fond de sa gorge, comme une seconde langue qui s’est greffée dans sa cavité buccale et lèche sa propre langue, lui rappelle douceureusement ce qu’elle aurait pu être.
Sans l’être. “But I do reckon your efforts.” Grimace. “For keeping me alive.”
Elle en regretterait presque avoir sauver la vie de Rhaelikss ces années auparavant.
Presque.
“We'll kill them when we leave. – What?”
Non, elle regrette totalement de ne pas avoir laissé les mercenaires de son époque se charger d’Ikss.
Son regard noir se pose sur les figures qu’elle avait à peine considérée comme une menace, à peine compris qu’ils ne les voyaient pas, les deux femmes.
C’est la dichotomie dans laquelle Asmodem a grandi, évolué.
Les impérialistes ne sont pas ses ennemis.
Ou plutot.
Elle n’est pas une ennemie de l’empereur.
Elle se rappelle, maintenant, que la tête de Rhaelikss est mise à prix, qu’elle est recherchée pour une liste de crimes qu’elle n’a pas pris la peine de retenir.
“Why’d kill them?” De manière évidente, ils sont inconscients de leur présence. “You didn’t bring me to life to slaughter soldiers.” & pourquoi est-ce un problème, Asmodem? Elle n’a plus d’allégeance, plus de noms, plus de dieu.
Elle a la gueule d’un monstre, de toutes ces créatures qu’elle ne peut qu'évoquer de son imagination.
Pourtant.
Que lui ont-ils fait de mal?
Asmodem serait mieux à s’en prendre à Rhaelikss, qui lui a fait le mal le plus profond (la garder en vie).
La philosophie est aussi profonde que ses plaies et elle se serre le crâne. “I’m not killing them.”
Mais elle n’a pas, non plus, l’obligation de Rhaelikss.
Elle est aussi libérée de son obligation de loi et de morale.
Il n’y a que la malédiction qui la maintient.
Et la vie.

@Rhaelikss

Un rire de velours (et de suie et de fiel) s’est échappé de la gorge sorcière à la réaction d’Asmodem face à sa pitance - sorte d’ingratitude manifestée haut et fort comme un jappement de petite chienne blessée. Ikss n’a rien répondu parce qu’il n’y a rien à répondre. Croire qu’elle attend qu’on la remercie est décidément mal la connaître. Mais, après tout, elles ne se connaissent pas. Ou peu. Juste assez pour qu’il y ait dans les regards de la Syràn une docilité pleine de dépit et une rancune à peine voilée.

But I do reckon your efforts. For keeping me alive. Ses efforts, et sa foi. Rhaelikss se moque ouvertement de la guerrière et de ses grognements outrés, mais ses mains ont été d’une patience infinie sur son corps lésé. Comme si elle avait pris soin non pas de son corps mais de son âme. Glauque, putride, gâtée par une magie qu’elle a cru reconnaître : délicieuse, fantastique, inouïe. Les doigts de la sorcière se sont plusieurs fois égarés dans les cheveux noirs de l’endormie pour y retracer les sillons maudits sentis sous le crâne.

“Why’d kill them?” Une question à un millier de réponses. Mais la plus importante d’entre elles : because they’re men. Armés et puissants, portant fièrement les couleurs de l’empire sur leur poitrail gonflé d’orgueil. Parce qu’ils sont tous pareils. Parce que ce que d’aucuns lui ont fait subir, d’autres le feront subir à ce qu’ils considèrent être leurs proies. “You didn’t bring me to life to slaughter soldiers. - You're right: I didn't bring you to life.” Ikss arrache sa viande à l’os de son repas. Elle mâche fermement, avec une certaine hâte qui trahit sa faim et son épuisement. Le regard reste planté dans les flammes rassurantes du feu de camp, fuyant sans qu’elle ne puisse s’en empêcher la vision du groupement voisin. “Fimjir did. What I did was give you potions to drink and balm for your wounds. I would have done the same if it had given me an animal to look after.” Ikss mord à pleines dents dans son gibier.

“I’m not killing them.” Un soupir traverse le gosier de la sorcière et ses yeux charbonneux se lèvent subrepticement vers les cimes. Elle aurait préféré que Fimjir lui envoie une bête. Elle aurait su la dompter, de gré ou de force, et se serait contentée de leurs longs silences matifiant leurs pauses dans ce périple qui l’incombe. “Then I'll take care of it myself.” Le dédain trace une courbe sur sa langue. La prêtresse s’est toujours débrouillée seule, n’a jamais eu besoin de quiconque ; et pour survivre, et pour tuer. Elle ne mentionne pas à nouveau sa fatigue (une fois était déjà trop) ni le fait qu’elle ait enchanté Asmodem, et non pas le camp - ou elle-même. Prendre soin du divin présent au fil des jours passait aussi par une protection magique. Dans l’éventualité où la guerrière se réveillerait tandis qu’elle chassait, Ikss s’est assurée que le sortilège d’occultation suive Asmodem où qu’elle aille. Les troupiers vont sursauter à coup sûr, quand ils verront un camp entier apparaître à la minute où la Syràn s’éloignera ; sursauter et tirer leurs armes.
Autant les prendre par surprise.

La Fiel jette son os au feu, qui flambe aussitôt comme si elle avait nourri un monstre crépitant. “You're a shadow of your former self anyway.” De la Dessinatrice croisée entre deux frontières, habile et retorse, il ne reste visiblement plus rien. Ou plutôt si. Cette belle morale à deux cristals qui la retient et qui l’empêche, qui la plie à des devoirs d’une vie qui a cramé avec ses chairs. La Fiel se relève, commence à ramasser ses maigres affaires, prendre son arc en main, et appeler le feu qui vient se ficher sur l’une de ses flèches. Elle se prépare à bander la corde, viser une première tête. “You should get out of here. Or you're really gonna have to kill someone.” Les soldats, ou elle. Dans tous les cas, il y aura des morts.

Il y a toujours des morts.

cw: feu, brulure, gore, mort

“It was not your god I saw, when I opened my eyes the first time. It is not your god I’m seeing now.” Si Rhaelikss lui offre des réponses d’une vacuité totale, Asmodem en est tout autant capable. En soi, Asmodem commet un pire crime: elle ne croit plus. Ses prières sont de l’ordre du réflexe, comme l’on essaie de deviner le soleil derrière l’horizon, alors qu’il n’y est pas.
Sa vie est une éclipse.
Une éclipse de sang.
Il est plus facile de croire en la bonté mal placée des Hommes, que celle lacunaire des dieux.
Et puis, Asmodem arrive enfin à arracher une trace d’agacement chez Ikss et elle se retient de sourire. A la place, elle remord dans son deuxième bout de lapin, a l’impression qu’elle se mord le doigt en même temps. Mais quand elle compte ses phalanges, elles sont toutes là.
Une promesse vole, puis une insulte, créature capable des deux. “You're a shadow of your former self anyway.” Ca ne la blesse pas, parce que Asmodem est une blessure à vif incapable de mourir et de s’effacer, de se résorber de la surface de la terre. “If I was only but a shadow.” Elle sent le manteau de quelque chose de plus sombre sur ses épaules, qui s’est faufilé sous sa peau et enrobe ses os.
Les ombres seraient tellement agréables.
“Hm.” Elle a un semblant de rire, en une syllabe coincée dans le fond de sa gorge, où la suie s’est logée.
Elle ne sait pas quelle serait cette sensation.
Elle ne se souvient plus que des flammes.
Elle frotte ses doigts entre elle, relève la tête pour voir un arc bandé.
Pas vers elle.
Elle observe la cible,
“If I can’t die, no one’s going to die. Fair price, don’t you think?” Ses doigts se frottent entre eux, et des étincelles qui y naissent prennent la forme d’insectes ailés, nuées bourdonnantes et rageuses. Les créatures répondent à son envie, car elle les a imaginées de la sorte. L'essaim se dirige, furieux et affamés vers le trio de soldats, attaquent le visage et les mains, morsures animales qui éveillent soudainement la panique des représentants de l’empire.
Le son est délicieux.
Le chaos tendre à ses yeux.

@Rhaelikss

cw: stress psychologique, mutilation.

Les nuées noires et bourdonnantes s’élèvent dans les airs, fondent sur les soldats et leur dévore les chairs. L’arc se bande un peu plus entre les mains de Rhaelikss, le feu ondoyant au bout de sa flèche ; elle n’a pas l’intention de se contenter de si peu, bien que le doux fredonnement des cris masculins lui soit délicieux.
Puis cauchemardesque.
Leurs masses épaisses pourvues de plaques de métal et de cuir lancent des cliquetis qui lui sont familiers, lui remémorent ce qu’elle se saigne à vouloir oublier. Et chacun de leurs pas brutaux, battant la terre dans l’espoir d’esquiver les essaims, force son cœur à rater des battements. La prêtresse se retrouve bientôt pétrifiée dans sa posture pourtant droite, pourtant sûre, pétrifiée par une terreur qui ne l’abandonne jamais à la vue des soldats impériaux, pétrifiée par la graine de honte, de rage et de répulsion que ces tuniques ont plantée en elle.

Sa main aux ongles noirauds et sales se met à trembler sur le modeste bois de son arc, et celle qui tire la corde vibre au rythme du traumatisme revivifié. Au terme de deux longues minutes, la Fiel parvient à retrouver le contrôle de ses bras, qu’elle baisse, puis de ses jambes, qui la font pivoter et s’en aller. Elle a le palpitant qui cogne et recogne furieusement contre sa poitrine lorsqu’elle passe devant Asmodem, sans un mot ou répartie fanfaronnante, abandonnant derrière elle un parfum de phobie et de colère. Il n’y a plus que la fuite, dans sa tête, la fuite tournoyant comme un orage noir et violent dans le triste ciel de ses pensées ; la fuite, comme il y a des années de ça quand elles se sont rencontrées entre deux frontières. Ikss avale les mètres d’une foulée rapide, pressée, enjambant les hautes racines et les grosses pierres avec toute l’agilité dont elle est capable. Sa concentration va dans ses jambes, ses bottes, la terre qu’elle voit défiler, l’humus, les feuilles mortes, les petits ossements d’animaux, tout, elle remarque tout, même les orteils de la Syràn qui finit par la rejoindre. Une présence qui la dérange, parce qu’elle est de trop, parce qu’elle ne l’a pas demandée, parce qu’elle lui impose un regard quand elle aurait préféré devenir invisible ; élan naturel de son propre feu, puissance abstraite nidifiée dans le cœur bleu et brûlant des flammes.

Rhaelikss se mure dans un silence qui dure longtemps, qu’elle impose en distançant de quelques pas en avant son acolyte de fortune. Ce n’est pas qu’elle est gênée ou que son échec l’ait humiliée. Elle est digne, c’est vrai, malgré la crasse de sa tenue et le sauvage de ses attitudes, digne et fière à sa façon et parfois les défaites la mortifient. Mais c’est la pudeur qui, en l'instant, l’isole ; elle n’a pas eu de compagne.on de route depuis une éternité, elle a perdu l’habitude de désenrouer sa voix une fois repartie sur les grands chemins - elle a d’autant plus perdu l’habitude de la désenrouer quand sa voix s’est recueillie tout au fond de son être, là où la magie du feu flambe perpétuellement comme le feu d’un foyer brûle sans discontinuer. Elle est son gîte, son refuge, le seul endroit rassurant qu’elle a jamais connu.
Et Asmodem en fait maintenant partie.

“You cold?” finit-elle par dire. Question rauque et basse, à peine plus haute que la ligne du murmure. Les lèvres perdent un peu de leur rouge profond, noircissent comme celles des morts, les yeux récupèrent l’éclat rubicond du sang et les doigts bleuissent : la magie revient, s’étire entre ses phalanges après avoir été injustement contenue dans l’enveloppe fielique. Le feu de la flèche, restée en main, s’épanche en un tourbillon de flammes qui les entoure et les réchauffe. Quelques langues de ce feu viennent directement brûler la main de la prêtresse qui continue d'avancer sans broncher. La douleur l’apaise, l’odeur de chair brûlée la calme. Main de Fimjir dans la sienne, pour toujours et à jamais.

cw: feu, brulure, gore, mort

C’est un tableau.
Il y a cette immobilité inexplicable, malgré la dynamique du visuel. Parce que le temps de pause continue et que si les soldats finissent pas déguerpir chassés par les insects imaginés et affamés, Rhaelikss ne décoche pas sa flêche. Ca dure assez longtemps pour que Asmodem le remarque enfin, détournée de l’attention et la concentration qu’elle offrait à son art, à son horreur.
Ikss devient ce tableau, portrait d’un blessure invisible, au contraire des brulures qui maravent la gueule d’Asmodem. “What is happening to you, now?” Le soulagement de son méfait accompli brillamment est remplacé par une soudaine inquiétude envers Rhaelikss (elle débattera plus tard si la considération est indue ou non.) (Pour le moment elle est là, décalcomanie sur ses cicatrices récalcitrantes, surligne son humanité gardée).
Et soudain, Ikss tourne les talons.
Alors Asmodem suit, en réaction.
Elle jure, parce qu’elle n’a pas deviné le changement soudain. Elle tente de se redresser, mais ses jambes sont récalcitrantes après avoir été consumées par les flammes et puis oubliées pendant trois jours. Elle tombe dans terre de la forêt, attrape les quelques guenilles que lui avait pointé Rhaelikss, enfile tout juste quelque chose autour de ses épaules.
C’est qu’elle marche vite, la prêtresse du feu.
La magie s’éveille à nouveau sous la main d’Asmodem, invoque un baton de marche, pour l’aider à tenir droite. Il se forme depuis sa paume, un crâne rouge en guise de poignée, deux os carmins longs comme manche. Une petite main famélique nait depuis une suture de la tête imaginaire, se pose sur l’index d’Asmodem, sécurise sa prise sur la Syràn créatrice.
Elle est en marche.
Les premiers pas sont compliqués, l'entièreté de son squelette qui se plaint de son retour à la vie trop brusque. Il y a une pointe dans sa hanche, un tiraillement sur l’ensemble de ses cicatrices, comme si sa peau avait diminué de deux tailles autour de son être.
Elle serre les dents. “Can’t you bloody wait?!” Mais la figure de Rhaelikss est déjà loin, tout juste une figure qui ne se retourne pas.
Elle ne sait pas combien de temps elles marchent. C’est un exercice sans nom, pour Asmodem, ombre d’une ombre. La sueur perle le long de sa colonne et elle sent l’absence d’énergie dans son corps.
Pourtant elle n’abandonne pas.
Automatisme de survie.
Ne pas se poser de question, agir.
Suivre.
Les astres ont poursuivi de quelques degrés leurs chasses dans le ciel, quand finalement, Ikss se souvient de l’existence du monde autour d’elle. Les flammes apparaissent et Asmodem est assez proche pour lui donnee un coup de bâton dans le bas du dos. “I’ve been calling your name for ages!” Ce qui n’était qu’une série de voyelles étranges a à présent rendu sa voix rauque de l’effort, en même temps que son souffle. “I’m fucking tired. Can you give me a break?” Elle saisit la main en flamme, laisse le feu lui mordre et lui lecher les doigts. “What happened? Why did you run?” Elle cherche les yeux de Rhaelikss qu’elle voit peut-être vraiment pour la première fois, la flamme dans les iris, la chaleur autour d’elles. “What scared you?” Ce n’est pas jugeur, parce que Asmodem est au-delà de ça. C’est fatigué, courroucé, réellement intéressé.
Asmodem,
après tout,
ne suit pas n’importe qui,
au bout de la nuit.

@Rhaelikss

cw: mention de viol, mutilation subie et infligée, mention de nudité.

Le coup de bâton a le mérite de sortir la sorcière de ses pensées profondes, mais pas autant que le contact soudain quand la chaleur du divin se matérialise en une main. Rhaelikss baisse la tête vers ce geste, confuse et choquée, catatonique aussi. Elle n’entend pas ou peu les mots d’Asmodem, l’attention braquée toute entière sur le pliage de leurs doigts qui brûlent et qui rougissent. “What happened? Why did you run?” Les yeux incandescents se couvrent momentanément lorsqu'elle cille. “What scared you?” Puis se redressent d’un coup jusqu’au visage qui lui fait face. Les syllabes s’accumulent dans sa gorge, y restent là comme un charnier de non-dits ; pourtant, elle veut le dire, le gueuler et s’en convaincre. Elle n’a pas fui. Elle n’a pas eu peur. Mais elle a fui. Et elle a eu peur.

La prise se resserre autour de la dextre qui l’a attrapée, convie le feu à brûler davantage. Le silence est douloureux. Douloureux et consolateur. La prêtresse fixe la guerrière, elle la dévisage comme pour y chercher une réaction, un signe qu’elle endure et qu’elle résiste, comme elle a enduré et résisté à l’incendie qui l’a d’une certaine façon tuée. Rhaelikss a besoin de cet échange aux formes ritualisées ; elle a besoin de créer cette connexion éprouvante pour trouver chez l’autre un sanctuaire digne de confiance en lequel placer ses aveux. Elle ne partage pas ses ressources avec n’importe qui. Elle partage encore moins ses peines avec n’importe qui.

“Them. The soldiers.” La paume devient terriblement chaude. Puis c’est son être tout entier qui se consume, la température corporelle aussi élevée que les émotions fortes qui l’agitent. “They—” La Fiel s’interrompt. Le rouge infernal de son regard se couvre d’un voile humide qui ne tait pas pour autant la magie de son feu. Au contraire, même. Le cercle qui les entoure s’épaissit dans les airs, forme un mur ardent et caniculaire qui tente de chasser les frissons glacials qui la parcourent. “They hurt me.” Elle marque une pause. Les yeux divaguent, s’éloignent des billes noires d’Asmodem. “Like any man can hurt.” Le contact se rompt sèchement. Rhaelikss garde sa main pour elle, confinée dans l’autre, près de ce palpitant qui ronronne de haine et promet la vengeance. Son geste est pourtant humble. Elle a suffisamment brûlé la chair d’Asmodem - elle l’a suffisamment testée. “They disgust me. All imperial cloaks should burn.” Elle crache par terre, signe sa condamnation aux airs de malédiction. De la salive et du sang, la langue torturée au milieu de ses quenottes tant les mots lui ont coûté. Passée la férocité de ton et de rictus, la prêtresse s’en retourne à ses mains qu’elle continue de presser doucement contre elle.

“We're heading west,” informe-t-elle alors, le chaos dans les pensées et la logorrhée. Il y a pourtant une logique. C’est là-bas qu’est Dynacairn. Le feu se réduit autour d’elles à mesure que le corps de la prêtresse retrouve une température modérée. Elle jette à la tenue d’Asmodem un long regard pensif, se perd au milieu de ses tissus ensanglantés et de ses seins nus. “We should get you some armour.” Puis elle détaille le bâton créé par ses soins, en apprécie l’ouvrage, retient l’index sorti du crâne rouge. Elle n’a pas croisé beaucoup de Dessinateurs.ices doté.e.s d’une telle imagination ; glauque et si près des enfers qu’elle la soupçonne être à moitié Fiel. “Or can you imagine one?” Rhaelikss plonge et se perd dans les eaux de la curiosité, eaux tranquilles, huileuses, qui l’éloignent des plaies vives frémissant encore dans sa poitrine.

cw: feu, brulure, gore, mort

Le feu est facilement critiqué.
On se rappelle trop facilement son baiser ardent, la sensation vive qu’il laisse après son passage.
Pourtant. Pourtant le feu est dans les entrailles de la terre et les entrailles de tout être.
Il réchauffe, cuit, fait fondre, soude, prépare, rassemble.
Asmodem n’a pas peur du feu, même si elle a goûté son baiser sur son être entier et qu’elle se serait laissée pourfendre par l’avatar pur de Fimjir.
Le feu ne l’a pas tuée.
Il ne la tuera donc jamais.
Elle serre ses doigts, plus fort encore, comme si elle pouvait éteindre la flamme magique contre la paume de Rhaelikss, comme si elle pouvait extraire la triste vérité ainsi.
Étonnamment, ca fonctionne.
Et elle se penche un peu plus vers Rhaelikss, extrêmement proche, sa main libre (qui a laché le sceptre, qui ne la lache pas elle), saisit la Fiel par l’épaule. “It’s okay. I get it.” Pas besoin d’expliquer, parce qu’il n’y a pas que la magie qui est douloureuse.
Le feu ne l’a pas tuée.
Un homme, par contre, aurait pu le faire.
Elle l’a vu arriver assez de fois sur les chemins de sa vie, parfois trop tard, parfois de justesse. Elle ne peu pas empêcher les hommes de violer.
Le monde est toujours trop tard, sur la cruauté du monde.
Sa main est lâchée, et elle porte sa nouvelle brûlure sur l’autre épaule, la peau fraîchement soignée, à nouveau souillée. “I’m sorry.” Lourdeur sur les papilles. Il n’y a rien d’autre à dire, rien qui ne justifie (et ne justifiera jamais).
Elle sait aussi que la douleur reste.
Elle sait.
Toute femme le sait.
Elle n’a pas laché Rhaelikss des épaules, craint qu’elle ne disparaîtra, charbons et cendres entre ses doigts. Le regard se pose sur sa tenue et Asmodem suit l’étude. “I can’t. I’m fucking tired and someone decided to dash away.” Il n’y a plus le reproche précédemment attribué. “If it bothers you, you can always give me your cape.” Elle marque une pause; ses pouces qui effleurent délicatement les épaules de Rhaelikss. Elle se défait enfin, hésite à la moitié de son geste, puis se recule pour de bon. Elle prend appui sur son bâton maudit, observe les environs. “How about I hunt something to eat and we rest for today?” Son regard sombre retrouve la figure de Rhaelikss. “Please.”
Et pour la première fois depuis qu’elle s’est jeté dans le brasier d’Aermagh, Asmodem retrouve ce semblant de prestance et de noblesse qu’elle avait un jour.
Un éclat.
Tout juste une étoile perdue dans l’océan sombre de leurs vies.

@Rhaelikss

cw: feu, brulure, gore

Asmodem ne dit rien, alors que la cape est passée autour des ses épaules. Elle se contente de sourire de ses lèvres encore décharnées de son expérience dans les flammes, quelques jours auparavant. Ses doigts referment les pans de tissu autour de sa figure, la sensation aussi familière que si c’était Ikss qui referait ses bras autour d’elle. “You’re cute.” Le mot est mal choisi, pour une Fiel activement recherché dans la moitié de l’empire. Mais sur le moment, c’est tout ce que Rhaelikss est aux yeux d’Asmodem.
Surtout que Ikss ne se laisse pas aller à ce simple geste et la Syràn l’écoute avec attention, à moitié soulagée que Rhaelikss prenne le rôle de la chasseuse, à moitié agacée qu’elle ne puisse pas servir à autre chose qu’à. “Alright, I’ll set up the camp, then.” Elle sait le faire aussi. Asmodem ne considère pas qu’il y a une quelconque tâche ingrate, contrairement à ce qu’on pourrait lui prétendre de ses origines. La route est ce qu’elle a connu depuis bien des années. “I’ll put this cutie not far from camp, so you’ll know I’m around.” Le sceptre maudit est repris entre ses mains, qui ne la lâche jamais. Elle suppose à moitié que son bâton pleurera son absence.
Et puisqu’elle le suppose, elle l’imagine.
Sait qu’il en sera ainsi.
“Yeah, I’m cursed enough.” Branded, maudite, destinée à rester avec ses horreurs.
Au moins, la compagnie est agréable.
Sans un mot de plus, elle se détourne et choisit un spot entre les arbres et les pierres, reculé du chemin principal. A quelques foulées de là, elle plante son baton, défait un à un les minuscules doigts qui refusent de la laisser partir. Le cri aigu résonne à la seconde même où Asmodem recule d’un pas. Elle souffle, se met à genou devant sa création et lui explique calmement son but. Des grosses larmes coulent des orbites vides du crâne rouge et elle tapote doucement la tête, qui continue de chouiner (plus discrètement) quand elle s’en va jusqu’au lieu de campement.
Le suite est une routine qu’elle ne pensait plus jamais avoir. Récupérer du bois pour le feu, préparer un espace pour le-dit feu, y planter la flèche de Rhaelikss. Elle trouve quelques baies comestibles non loin qu’elle cueille modestement.
Et elle attend, devant les flammes.
C’est la première fois qu’elle est seule, depuis qu’elle a tenté de mettre fin à sa vie.
Elle observe le feu.
Entend le crépitement du bois, ressent le crépitement de sa peau.
Elle reste longtemps à contempler le brasier.
Une figure passe et elle sourit distraitement quand elle constate l’expression contrite de Rhaelikss, visiblement à sa recherche. Asmodem attend que la Fiel la passe et la dépasse, se lève tranquillement et quitte son immobilité. Elle se glisse derrière Rhaelikss, le pas léger des Syràn et de leur sang. “Ikss.” Le nom est soufflé sur l’oreille de l’intéressée et Asmodem bloque déjà le coup quand Rhaelikss se retourne vivement, une main brûlée sur le poignet de la prêtresse. “Didn’t have to curse me, don’t you?” Elles sont proches et Asmodem aime contempler la surprise dans les yeux d’Ikss. “What did you get? Any runner?”
Elle ne l’a pas encore lâchée.

@Rhaelikss