L'Échiquier des Charmeurs

Declan était une personne, particulière. L’inviter en plein milieu de la ville, en début de journée, sans forcément l’informer de ce dont il voulait lui parler était plutôt inhabituel, mais non surprenant. Il était connu pour son penchant pour les femmes et pour ses habitudes à les fréquenter, de manière assidue. Pour autant, Syl n’avait jamais eu ce genre de difficultés avec lui. Etait-ce sa position de barde ? Son sang magriel, ou encore le fait qu’elle ne soit qu’une petite personne dans son monde ? Elle n’en avait aucune idée et, était ravie de voir que l’héritier de Rivemer ne s’intéressait pas à elle de la sorte. Comme beaucoup de nobles, il avait cette prestance et cette façon de vivre comme si, tout, finalement lui était dû. Il profitait, effectivement, d’un mode de vie que beaucoup pouvaient jalouser. Et, il savait très bien en profiter. Il prenait la place qu’il s’estimait mériter et, la plupart du temps, éclipsait toutes les autres personnes autour de lui. Un comportement plutôt habituel au sein de la cour impériale et auquel Sylrosis s’était parfaitement accoutumé. Elle n’était pas tant dépaysée par sa façon de faire, mais par les raisons qui avaient pu le conduire à agir de la sorte. Etait-ce un caprice ? Une demande spécifique ? Devait-elle jouer de la lyre sur la place publique pour son grand plaisir ? Curieuse, elle essayait de trouver toutes les possibilités qui pouvaient exister, sans pour autant être ravie des idées qui lui venaient à l’esprit. Elle ne voyait pas Declan profiter de sa situation pour la mettre mal à l’aise ou la ridiculiser (là où d’autres nobles y prenaient parfois un malin plaisir). Elle soupçonnait qu’il y avait une raison plus précise, peut-être plus personnelle ? Sans pour autant réussir à mettre le doigt dessus.
Elle passa outre la remarque sur sa ponctualité – culotté d’autant plus qu’il n’avait donné aucun horaire et qu’elle était là au réveil, se concentrant sur le reste des informations qu’il allait lui délivrer. Il s’approcha d’elle, d’un pas assuré et doué de la grâce typique à la noblesse. Son bras se tendit vers elle, dans un geste charmant et léger, en une invitation à marcher à ses côtés. Elle se dirigeait vers lui, quand il prit sa main et la posa sur son avant-bras. Un sourire timide, réservé, poli, se dessina sur les lèvres de la jeune femme. Elle ne recula pas, ne fit aucun geste à l’encontre du noble. Syl ne se sentait pas menacé par la présence de ce dernier. Il savait être charmeur et, elle n’en doutait pas, devait susciter bon nombre de réaction à la cour, mais elle savait également qu’elle n’était pas là pour ces raisons. Iels avancèrent d’un même pas, tout en profitant du spectacle de la place et des étals qui se trouvaient tout autour d’eux. Sylrosis n’insista pas, sachant pertinemment qu’il lui ferait part de ses attentions et de ses demandes le moment venu. Derrière les apparences charmeuses, les blagues et les nombreuses rumeurs, Declan semblait être une personne au grand cœur, qui tâchait simplement de se protéger. Là où Sylrosis n’avait qu’à penser à elle, à son avenir, à son quotidien, lui était représentant d’une famille. Il était héritier. Elle se doutait bien que, comme pour beaucoup de nobles, leurs statuts spécifiques entrainaient des enjeux particuliers et donc, des conséquences sur leurs quotidiens. Une réalité qu’elle ne connaissait pas et, qui lui arrivait parfois de jalouser. Fréquenter la noblesse et les avantages de leur vie avaient, bien évidemment, de nombreux avantages, mais mettaient également en avant tout ce à quoi elle, sa famille et bien d’autres, n’avaient pas accès.  Sylrosis conservait pour elle l’émerveillement qu’elle ressentait pour ce monde et, souvent, l’envie qu’elle ressentait à leurs égards.

Alors qu’elle se perdait dans les étals, elle entendit la voix de Declan. Voilà qu’il souhaitait désormais lui partager la raison de sa présence en ville, à cette heure matinale. Elle posa ses prunelles sur lui, hocha poliment la tête à ses mots, sans pour autant bien comprendre ce qu’il attendait d’elle. Elle était ravie de savoir qu’elle pouvait lui apporter un soutien, de l’aide, même si elle ne souvenait pas avoir compris de la sorte cette missive. « Toutes mes félicitations Messire pour cette belle nouvelle. » Sylrosis avait donc désormais, une partie de ses réponses. Il était bien question d’une femme finalement. Pas de la même manière que ce qu’elle supposait. « Vous faites preuve d’une très belle motivation. » Elle soulignait et comprenait son besoin que tout se passe bien. C’était une belle chose, une grande chose, de se lier à une personne. Et, c’était tout à son honneur de s’assurer que tout se passerait au mieux pour l’un, comme pour l’autre.
Sylrosis ne savait pas trop où allait sa réflexion et, comme souvent, elle préférait le silence à des propos impromptus, ou inutiles. Elle le laissa jouer avec une bague rose, qu’il reposa après l’avoir étudié. Elle le suivit sur les pavés du marché, près de la fontaine, alors qu’il se penchait au-dessus de cette dernière. Elle le suivit une nouvelle fois, quand il s’installa à un banc et accepta sa proposition de la rejoindre. Syl, sans l’expliquer précisément, ressentait qu’il s’agissait d’un moment difficile. Peut-être même d’un moment de vulnérabilité pour l’héritier et, elle ne voulait pas le braquer ou pire, prendre une mauvaise décision. S’ouvrir n’était pas une chose aisée et, surtout quand personne ne vous l’apprenait. Son métier était de conter des histoires, mais qui disaient histoire, disait émotions. Elle avait donc l’habitude d’ouvrir une partie d’elle-même, de laisser ses émotions guider son intuition, sa musique, son chant, tout en sachant que ce n’était pas un privilège que tous avaient. Alors qu’iels étaient assis côte à côte sur le banc, il scruta son visage, et finit par lui exposer ses intentions. Il lui fit part de cette volonté de faire un cadeau unique, précis, romantique également. Et en ça, il requérait l’aide de Syl. D’un hochement de tête humble à son égard, elle marqua de la sorte un remerciement sincère. Ca la touchait de savoir qu’il avait pensé à elle à cette occasion.
« Votre sollicitude me touche Messire, et avant de répondre à votre première question, sachez que je me nourris très bien je vous en remercie. » Elle appuya ses propos d’un petit rire mélodieux, qui n’était en rien irrespectueux. « Je dois même vous avouer, que j’essaye de ne pas me faire goinfrer par les domestiques du palais. » Ses yeux pétillèrent d’amusement. « Vous savez, beaucoup trouvent dans la musique du réconfort, de l’amour et des émotions que l’on ne sait parfois pas verbaliser. Alors, ceux qui sont loin de chez eux, ou qui ont perdus leur famille, ou pour des raisons qu’ils ne me donnent pas, demandent parfois quelques notes. Pour revivre une histoire, un moment et, en guise de remerciements j’ai toujours de quoi manger. » Elle murmura à son encore. « Ne le dites surtout pas, mais parfois j’en ai même trop ! »
Elle espérait, par cette anecdote, le rassurer sur sa santé. Sylrosis se savait choyée et privilégiée. A bien des égards, de nombreuses personnes prenaient soin d’elle. Bien qu’elle sache, que dans la majeure partie des cas, ce n’était qu’un paiement suite à son travail, elle s’estimait malgré tout plus que chanceuse. « Pour ce qui est de votre demande, Messire, je suis très honorée que vous ayez pensé à moi. » Elle marqua un temps de pause, comme un silence dans une partition, avant de reprendre. « Parfois, la plus belle chose à offrir est une partie de soi. » Et contrairement au mariage, qui n’était qu’un contrat, une raison politique, ou parfois une alliance, la musique pouvait avoir cette fonction. « Avez-vous envisagé l’art ? Sous une forme qui vous serait familière ou personnelle ? » Ça pouvait être la musique, mais aussi la peinture ou la sculpture. Elle était certaine que de nombreux artistes au palais, pouvaient lui offrir une façon d’ouvrir son cœur à sa future épouse.