ascenseur pour l'échafaud.
Invité
âme
feu
lune
Invité
ascenseur pour l'échafaud. avec @Nithya Sitarys
here in the forest, dark and deep, I offer you eternal sleep.
tw :
Date indéterminée, quelque part à Junfark.
Bercé par l’oubli qui succède aux alcools et précède l’inconscience, il a entendu son nom dans la rumeur populaire. C’était un cri d’effroi, distinct et primitif, semé dans une conversation banale aux abords de la cohue. Et c’est venu le frapper avec la violence inouïe d’une révélation. L’homme qui parlait – un humble paysan, qu’un autre aidait à décharger de lourdes caisses de marchandise d’une charrette en piteux état – n’a pas fait attention à lui. Szar était retranché sur l’étal, un godet vide depuis longtemps devant lui, et toutes les lettres se sont glissées dans son oreille avec le doucereux d’une rengaine : Nithya. Il eut pu croire à la coïncidence (sinon : qu’il avait mal entendu) s’il n’y avait eu, aussi prévisible et implacable que la mort elle-même, le récit terrifiant qui accompagne tous les rejetons réprouvés de Fimjir : « Des cendres, disait le paysan. Rien qu’un tas de cendres. Et le matin même, c’était un bon-sang-de-village. Cent âmes, au moins. » « J’ai un cousin là-bas, répondait l’autre. » Et le premier, d’un air profondément navré, de corriger : « T’avais. »
Le lendemain.
La grand-route est déserte, balayée par un vent humide qui écrase la poussière au sol. S’il a croisé de rares voyageurs, c’était à contre-sens. Ceux-là lui ont d’ailleurs jeté des regards moitié inquiets et moitié scrutateurs. Se peut-il que quelqu’un ignore ce qu’il s’est passé ? Et, si ce n’est pas le cas, pourquoi quiconque irait vers cet endroit dont on dit qu’il n’existe même plus ? C’est à se jeter dans la gueule béante d’une créature monstrueuse, car ce village – ou ce qu’il en reste – appartient désormais aux Braises d’ébène. Aucun d’eux ne l’a cependant averti, ou n’a tenté de le retenir. En somme, chacun s’occupe de ses affaires, le menton rentré, ses sacs ou ses enfants dans les bras, et l’allure soutenue de celui qui veut imprimer la plus grande distance possible entre le massacre et soi.
A ce sujet, le récit est plutôt fragmentaire. La narration, quelle que vérité qu'elle ait pu contenir à un moment donné, est passée par tant et tant de bouches qu'elle abrite désormais autant de faits que d'approximations en tout genre. Par exemple, on n’est pas entièrement sûr du devenir des villageois. Et, malgré les conjonctures qu'on n'a pas manqué de faire avec une trombine alarmée, on n’a pas spécialement voulu approcher des palissades pour vérifier. Peut-être les disciples de Fimjir ont-ils exagéré leurs crimes afin de maintenir la curiosité du quidam en respect. Ce dont Szar se fiche car, avancé sur cette route dépeuplée, il a la ferme intention d’aller à leur rencontre.
Un poteau marqué est planté en amont de ce qu’il prend d’abord pour une tour de guet. Vue la modestie du hameau, et notamment de ses remparts, il réalise vite qu’il s’agit plus probablement d’un silo ou d’un grenier quelconque. Szar s’arrête là, la paume sur la partie fendue net du rondin. Il rattrape son souffle tant il ne s’était même pas aperçu de la peur – la terreur ! – qui s’est mise à lui tapisser les entrailles. C’était une chose de décider, des lieues en arrière, mais c’en est une autre de se trouver là et de sentir que c’est bientôt la fin.
Ce n’est pas la première fois qu’il croit mourir, qu’il croit mettre sa propre tête, volontairement, sur le billot. Cette fois pourtant, il y a un sentiment flottant, et persistant, qui domine tout le reste : il va la revoir. Juste une seule fois. Puis elle fera ce qu’elle a à faire et il n’essaiera pas d’échapper à son sort. Tout ce qu’il exige en retour, le petit prix pour son sang qui inonde la terre de ce déjà-charnier, est celui de la revoir. Nithya. C’est son nom qu’il a entendu, même si, parvenu là, il a l’impression de l’avoir rêvé. Il est incapable de fixer le pourquoi et le comment de sa trajectoire. Il ne comprend pas ce qui a rompu une mécanique de survie si poussée, et si désespérée, que la sienne. Il sent seulement que quelqu’un, ou quelque chose, murmure aux strates inférieures de son âme et qu’il ne peut ignorer cette voix. Il a peut-être essayé. Ou peut-être pas. Il ne sait plus. Dès le moment où il a entendu ce nom auquel il n’avait plus pensé depuis longtemps (et aux autres, tous les autres), Szar a été incapable de détourner le regard de cette idée terrible et fixe : il veut revoir cette sœur meurtrière une dernière fois.
|
|