fb ;; burnt in ashes

L’odeur de chair humaine brûlée était l’une des pires que Lyarra connaisse. Elle n’était pourtant pas étrangère aux senteurs les plus dérangeantes. Il ne lui aurait pas été possible de devenir guérisseuse si elle n’avait pas le cœur bien accroché. Rares étaient les gens qui avaient conscience de n’être, en fin de compte, que des tas d’os, d’organes et de chair. Des animaux comme les autres, sujets à tous les maux, aussi fragiles que pouvait l’être n’importe quelle créature. Plus rares encore ceux qui acceptaient d’être confrontés à leur propre mortalité. Lyarra avait vu mille et un visages se couvrir d’effroi à l’annonce de mauvaises nouvelles, se contorsionner de douleur ou blêmir de peur. Rien ni personne n’était éternel et c’était un fait de l’existence impossible à oublier dans le coven des Nymphéas. La mort, la douleur et la peur, ils la côtoyaient tous les jours. C’était une compagne qu’il leur avait fallu accepter, elle venait pour tout le monde. Roi ou esclave, riche ou pauvre, jeune ou âgé, elle ne faisait aucune différence. Elle avait au moins le mérite de mettre tout le monde sur un pied d’égalité. Du moins, c’était ce que Lyarra choisissait de croire, autre chose n’aurait rendu son office que plus difficile. Elle ne posait jamais de questions qui ne l’aideraient pas à s’occuper de ses patients. La curiosité était un vilain défaut que Lyarra ne possédait pas. En intégrant le coven, elle avait fait le serment d’apporter soins et réconfort à quiconque en aurait besoin, quelles que soient les origines, ses allégeances, son histoire. Tout le monde n’était pas d’accord avec cette philosophie, mais Lyarra ne se sentait pas le droit de juger qui que ce soit. C’était l’apanage des dieux, pas le sien. Sa tâche était suffisamment compliquée sans qu’elle y mette son grain de sel. Elle ne voulait pas savoir. Elle ne devait pas savoir.

Un incendie s’était déclaré dans la cité. On avait sonné les cloches, une grange s’était embrasée et les flammes menaçaient d’autres bâtiments. Même depuis le mausolée, l’odeur âcre du feu chatouillait les narines et les relents de bois et de chair brûlés aurait donné la nausée à quiconque n’aurait pas l’habitude. Çà et là, quelques cendres tombaient, simulacre lugubre d’une neige qui ne recouvrait jamais l’Orageuse. Dès que la nouvelle de l’incendie leur était parvenue, les Nymphéas s’étaient agités. On ne tarderait pas à leur conduire les blessés, les brûlés. La nuit serait longue, Lyarra n’avait aucun doute à ce sujet. Vite, elle rassembla les potions, les baumes et autres cataplasmes qu’il leur faudrait, mis à bouillir des linges propres pour les désinfecter, changea les draps des lits. Dans un silence de mort, tous et toutes s’agitaient en attendant que l’on vienne frapper à leur porte. C’était le calme avant la tempête, l’équivalent d’une profonde inspiration avant de mettre la tête sous l’eau. Lyarra adressa une rapide prière à Akotaz ; elle ne pouvait qu’espérer qu’elle fasse preuve de miséricorde envers les malheureux dont les flammes avaient léché le corps.

Il lui sembla que tout à coup, ils passèrent du silence à un vacarme assourdissant. Les hurlements des blessés se mêlaient à ceux de leurs proches et à ceux de ceux qui les avaient conduits jusqu’au mausolée. Puis on se mit à aboyer des ordres, à inviter les uns à s’installer là, d’autres à prendre place ailleurs. Il fallut quelques secondes à Lyarra pour se reprendre, mettre de côté ses émotions et s’élancer. Dans les bras d’un homme à la carrure large, une jeune femme inconsciente, présentant d’importantes blessures aux jambes. « Allongez-là ici. » Lyarra lui indiqua une couchette et il l’y déposa avec une douceur qu’on n’aurait pas soupçonnée chez un ours mal léché. Elle lui adressa un sourire, de brefs remerciements et se hâta à l’auscultation des plaies. Les brûlures étaient graves, mais heureusement limitées aux jambes, si ce n’était quelques autres blessures superficielles. Ce n’était pas ce qui requérait le plus son attention dans l’immédiat. Elle commença par découper du mieux qu’elle le put les vêtements, puis nettoya les brûlures avec de l’eau qui n’était pas trop froide, pour éviter que la température de la jeune femme ne chute trop brusquement et ne provoque un choc supplémentaire à son organisme. Puis elle couvrit les plaies de linges propres et secs, pour éviter que les saletés ne viennent contaminer les plaies. Elle s’apprêtait à rassembler ce qu’il lui faudrait pour traiter plus en profondeur les brûlures lorsque la soudaine agitation de sa patiente attira son attention. Avant qu’elle n’ait eu l’envie de se redresser, Lyarra posa doucement ses mains sur ses épaules pour l’en empêcher. « Je vous en prie, ne bougez pas. N’ayez crainte, vous êtes en sécurité. Je m’appelle Lyarra, je fais partie du coven des Nymphéas. Je vais m’occuper de vos blessures, mais il ne faut surtout pas que vous vous agitiez. Est-ce que ça va aller ? » La douleur induite par les brûlures était l’une des pires ; aussi Lyarra s’empara-t-elle d’un élixir qui ferait taire la douleur et le lui tendit, sans la brusquer. « Buvez. Cela va faire disparaître la douleur, vous serez soulagée. Je ne peux rien vous donner d’autre à boire pour le moment, je suis navrée. Il faut éviter un choc supplémentaire à votre corps, le temps que je m’occupe de vos brûlures. Je vous en prie, buvez. Il y a de l’ail de l’étoile et du maté d’abîme. Ce n’est pas très bon, mais c’est efficace. » Elle l’encouragea d’un sourire, la petite fiole tendue vers la jeune femme. « Je ne doute pas de vos capacités à pouvoir supporter la douleur, mais ce n’est pas parce que vous le pouvez que vous le devez. »