(ichorvo#3) heartbreak is one thing, my ego's another

La bonne entente manifeste entre Petrichor et Arrhel enchantait tranquillement Corvo. Il savait bien évidemment le garçon charmant mais ce qui avait toujours fait sa force était d'accueillir l’imprévisibilité avec un sourire aimable. C’était ce qui lui avait valu l’intérêt du prince - bien au-delà du fait qu’Arrhel portait, dans son sang de roturier, les quelques reflets purs et dorés d’une lignée d’empereurs ; il savait s’accommoder de tout et de tout le monde. Ce qui pouvait être chez certains un signe de faiblesse, mais soulignait chez le jeune-homme un sens aiguisé de la manipulation. Corvo avait grande hâte de voir ce que son bâtard allait pouvoir tirer de l’archiatre, sans tout à fait ignorer qu’il le donnait en pâture à Petrichor et non l’inverse : sous ses airs affables et complaisants, elle aussi pouvait se montrer redoutable. C’était comme de mettre dans un bassin deux requins de même taille, et laisser au hasard, ou aux dieux, le soin de décider qui mangerait l’autre.

Pour l’heure, lesdits squales rivalisaient de politesses et de ronds de jambes. Corvo voyait perceptiblement dans le grand jeux d’Arrhel ses façons de stratège, et il décelait dans la manœuvre de Petrichor l’envie d’en faire son larbin. La cour, parfois, pouvait être aussi distrayante que ces spectacles de rue brillamment mimés à Eldham. “Oh, faites donc, mon ami : je puis même vous en faire la lecture ; il fut déjà bien aimable à son Altesse de me présenter à vous.” Jusqu’ici silencieux et en retrait - aussi en retrait que Corvo Helemys, géant et carré, pouvait l’être - un large sourire étira franchement les lèvres du conseiller. Il ne faisait même plus semblant d’être embêté à l’idée de devoir céder le meilleur des assistants, et travaillait sa bonne humeur aussi éclatante que soudaine sur un petit hochement entendu des plus serviables. “Mais je vous en prie.” Oui, vraiment ; il avait grande hâte de voir où tout cela mènerait.

“Altesse, avez-vous encore besoin de moi ou de messire Arrhel ?” Corvo inspira puissamment, l’air distrait. “Ma foi non,” expira-t-il. Il écarta brièvement ses bras, comme pour mesurer le vide qui y avait été fait, et ramena ses quelques rouleaux de parchemins autrement plus légers contre sa tunique. “Ne lui confiez pas plus d’honneurs qu’il n’en mérite pour l’instant, ma dame,” releva-t-il cependant, son coffre troublant encore le calme soporifique du lieu. “Arrhel. Juste Arrhel.” Il tourna son regard perçant et rieur vers le garçon. “Mais qui sait. Peut-être un jour sera-t-il récompensé pour ses bons et loyaux services, lui aussi.” Parce qu’il semblait le prendre avec force légèreté et bonhomie apparente, on eût dit que la politique méritocratique de l’Empereur plaisait à son frère. “Peut-être seras-tu même fait comte, Arrhel !” Et un rire ronfla puissamment sous le poitrail du prince, qui prit le temps de laisser la joie s’installer sur le jeune visage. Avant de réduire son rire et de durcir le sourire qui lui succéda. “Chaque chose en son temps.” Arrhel réduisit lui aussi sa joie, tressaillant sous son beau vernis d’adaptabilité.

Corvo n’était pas totalement cruel. Il ne repoussait pas la possibilité de légitimer un jour Arrhel, et le doter ainsi d’une reconnaissance autrement plus prestigieuse que son rang de petit bourgeois, mais il voulait attendre de voir si le garçon était véritablement fait de la même étoffe que lui, ou si, comme ses cousins, il finirait par être une déception. “Bien ! Je vous laisse à votre étude.” Le général relâcha complètement son attention sur Arrhel, dont les épaules se détendirent, et pivota de trois-quarts pour faire demi-tour. Avant de les quitter tous deux, il se pencha légèrement vers Petrichor pour lui souffler sur un air de connivence : “Renversez ici autant de vin qu'il vous plaira.” C’était dit d'un ton sérieux, presque méchant pour les scribes sur qui il dardait son regard dur. Presque complice aussi, pour le profil blafard vers lequel ses yeux se ramenèrent le temps d’apprécier le rouge des lèvres, imaginées sucrées et fruitées d’avoir autant bu. Pas un mot de plus ne fut ajouté à son départ.