i can tell you miss me (ella)

Y'a d'ces remous, d'ces valses d'eau claire et d'eau noire au creux des méandres, de ces perles pures qu'explosent l'une après l'autre. Y'a cette lumière qui baigne, douce et légère, vive et tapante, d'cette capacité à illuminer toute vie et toute mort. T'es dans le ventre de cette mer, avalé et ravalé par les flots. T'es nulle part, et partout à la fois. Y'a le bruit qui brise les vagues en deux, en trois, en quatre. En tout et rien à la fois.
Une inspiration.
T'ouvres les yeux sur le bleu et le vert, sur l'or et le blanc. Rejeté sur le rivage tu sens le feu dans ta gorge et le sel dans tes yeux. Tu suffoques, manques d'air, manques de souffle, manques de la terre ferme. Restes allongé, le souffle court, la main contre tes yeux. Prends le temps, juste, respire, inspire, expire. Ouvres les yeux. Fermes les yeux. Le sable fait mal. Relèves la tête, redresse le torse. T'es pas seul. Y'a quelqu'un avec toi et c'est pas normal. Assis, vite, comme si l'on t'avais piqué. Ton cœur bat à cent à l'heure, à deux mille à l'heure, à l'infini à l'heure. Mais tu vois, nimbée de lumière, celle dont tu as perçu la présence. « Alors, c'est là que tu te cachais. » La douceur de ta voix n'érailles pas la réalité. Tu lui tends la main pour qu'elle l'attrapes, pour qu'elle touche cette main qu'elle n'a plus touchée depuis des années. Des années, vraiment ? Tu soupires, ne quittes pas des yeux l'apparition. « Tu m'as manqué, Ella. » Le sourire est si sincère et si grand qu'il semble se refléter sur tous les murs de ce rêve, se réverbérer sous l'écume. « Où étais-tu donc partie ? » Tu questionnes ta douce, attrapant sa main en l'empêchant de te lâcher. Il n'est pas question qu'elle s'enfuie cette fois. Cette fois, elle ne partira pas. Elle ne partira plus. Ne vous abandonnera plus. Tu l'as retrouvée en chair et en rêve, oui, en rêve ? Tu lui touches le visage, il semble si réel sous tes doigts couleur mer.

Cela faisait longtemps que les cauchemars occupaient ses nuits, et si elle aimait le sommeil, Ella le fuyait de plus en plus. A chaque fois, elle finissait par étouffer, peu importe comment ça se produisait. Cette nuit, elle s'était retrouvée face à un miroir unique qui reflétait son visage - une jeunesse due à ses origines, des longs cheveux noirs bouclés qui lui tombaient jusqu'au milieu du dos, des lèvres pulpeuses, des orbes foncées et une peau qui avait des discrètes imperfections, du genre à ne pas se faire remarquer à moins de vraiment connaître son corps, ce que peu faisaient malgré son passif de prostituée. Enfin, les miroirs se multiplièrent, reflétèrent moult personnes qu'elle connaissait ; y vit sa mère fière, Astra enragée, Daran meurtrier, l'archonte manipulateur. Elle les regardait un par un, aucun de ces visages n'était réconfortant, aucun d'entre eux n'était réel pour l'instant, mais leur menace l'était. Enfin, la main de Daran sortit du miroir et Ella sursauta ; il faisait noir dans la pièce ; Astra lui attrapait l'avant-bras, sa mère lui murmurait à l'oreille ; l'archonte découvrait son tatouage sur sa cuisse ; elle paniquait, haletait, mais aucun son ne sortait de sa bouche, il n'y avait que le v i d e.

Puis, comme si le sol était en verre, il se brisa sous elle. La chute était longue et terrifiante, l'atterrissage au sol lui coupa le souffle pendant de longues minutes, allongée quelque part où elle n'était pas, elle le savait. C'était rare qu'un cauchemar prit les aspects d'un rêve, mais le ciel était bleu, il n'y avait pas un nuage, et elle respirait loin de toutes ces mains qui voulaient quelque chose d'elle. Cependant, ce qui était sous sa main était froid ; c'était du sable et elle trouva ça étrange qu'il fut aussi froid. Tout compte fait, elle se les caillait sur cette plage aux traits flous, à la mer infinie et aux vagues qui semblaient se mouvoir dans un certain vide qui l'effrayait. Mais ce qui la paralysait d'autant plus, alors qu'elle se relevait avec peine pour analyser là où ses songes la portaient, c'était Pantaleon.

Comme dit, elle ne faisait que rarement des rêves. Et même dans ses rêves, jamais aucun de ses amours n'était aussi détaillé, aussi attirant ; comme si ne plus les avoir près d'elle avait fait perdre toutes leurs nuances, leurs couleurs, leurs traits à Ella, et qu'elle ne parviendrait plus jamais à les saisir à nouveau. Pourtant, il n'y avait aucun doute dans le son de sa voix, et comme toujours, ça avait le don de la convaincre aussi. Si les premiers mots du roux lui échappèrent, sa main fut salvatrice, ses doigts se jetèrent presque à son contact et soudainement la chaleur revint. La chaleur d'un début d'été, lorsque les jours meilleurs étaient à venir ; la chaleur d'un feu de camps, quand ils riaient tous les quatre et que c'était plus incandescent que la lumière la plus pure possible. Enfin, Ella se jeta au coup de Pantaleon dans un geste fluide, ses jambes entourèrent sa taille tandis qu'elle s'installait sur lui pour une longue étreinte. Elle serra Python dans ses bras et ses poumons se remplirent d'air à nouveau, mais là, loin derrière la plage, elle voyait l'obscurité, encore. Alors la sorcière enfouit sa tête dans le creux de son cou, s'y cacha un instant.

-Très loin de vous, mon amour, répondit-elle simplement dans un murmure avant de le regarder dans les yeux, la main du guerrier qui caressait tendrement son visage et elle se laissa aller à ce contact. J'ai mal partout, soigne-moi, qu'elle réclama, mais ne précisa pas d'où la douleur venait ; c'était en dedans qu'elle était heurtée et qu'elle souffrait, mais ça transcendait la douleur physique, à présent.

Y'a rien de plus joli qu'un beau rêve où tout est possible. Rien de plus tendre que le sourire de l'une des personnes qu'on aime. Rien de plus agréable que d'avoir sa main contre la sienne comme s'il n'y avait aucun kilomètre, aucun océan, aucun espace vous séparant. Comme si elle était là et n'avait jamais quitté bord. Un coucher de soleil invisible qui s'infiltre entre ses mèches. Une goutte de pluie qui réveille la rosée du matin. C'est comme si elle n'était jamais partie et tu doutes qu'il s'agisse d'un rêve. Un rêve peut-il retranscrire si clairement cette sensation, cette chaleur, cette douceur, cette tendresse ? Peut-il vraiment être si vif et si raisonnable ? Peut-il te donner la sensation de transcender les mondes et le temps ? Elle prend une place qu'elle n'a jamais quittée dans ton cœur et contre toi, s'installe entre tes bras, et l'odeur saline de ses cheveux sonne bien trop réelle quand elle s'épouse contre toi. Sous tes doigts elle parle, réclame, à soigner et tout ton corps s'alarme et s'alerte. Tu ne sais où elle a mal tu ne sais où elle est douleur. Ta main qui la tenait par la taille s'éloigne, passe contre sa peau cristal, s'attend à trouver la source. Démon sous la surface qui s'agite contre celui ou celle qui aurait blessé ta tendre. Tu ne sais qu'elle a mal en dedans, et que tu ne peux pas soigner avec tes herbes. Parcours sa peau du regard, incapable de te détacher d'elle durant cette inspection. « Dis moi où mon amour. » Ton oreille sur son cœur, tu murmures. Tes mains contre son corps où tu sais que la douleur n'a pas sonné, tu poses. « Laisses moi te soigner ma déesse. » Divine, saline, mordante, piquante. Laisses moi te guérir. Entre tes mains et contre tes lèvres. D'épars baisers, tu continues de contempler son corps, de l'allonger contre le sable pour chercher la source de sa douleur. Un peu de désespoir s’entend dans ta voix quand tu ne trouves pas. De frustration qui s'entend quand tu passes ta main à nouveau dans ses cheveux, penché sur elle. « Dis moi où te trouver. » Dis moi comment. Dis moi quand, pour que je viennes te sauver. Dis moi tout dès maintenant, que je viennes te délivrer. Je parcourrais terre et mer, je partirais par vaux et ciels, je te trouverais si tu me le demandes. Dis moi les mots que j'attends, Ella. Dis moi ceux qui nous brûlent les lèvres et les rêves. Tu déposes ta tête contre sa poitrine, écoutes les battements de son cœur, la main entrelacée à la sienne encore. L'amour soufflé contre cette blessure, comme un pansement qui ne couvres pas entièrement les plaies. Il faudrait qu'elle revienne. Il faut qu'elle revienne. « Je ferais mieux quand tu reviendra. » Quand elle te retrouvera. Quand elle te reviendra. Quand elle vous reviendra.  

Elle s'était souvent sentie comme un miroir un peu médiocre, qui déformait la vérité mais d'une façon tellement persuasive que les gens finissaient par y croire, au lieu de la détruire. Pourtant, ça faisait longtemps qu'iels auraient dû la détruire ; vipère aux mensonges si aisés entre ses lèvres, le poison qui ne cessait de couleur même quand elle voulait s'arrêter. Ne valait pas mieux que ses adelphes, au final, sauf qu'elle prétendait que oui tout en fuyant, tout en grattant pour quelques minutes de vie. Pour une fois, elle avait envie que Panta la serra si fort qu'elle en serait brisée, qu'il n'y aurait plus besoin de se soucier de ce mauvais miroir et qu'elle pourrait enfin se libérer de ce fardeau. Mais ses bras étaient chauds et rassurants, puis on aurait dit qu'il faisait reculer la marre de sang qui trainait sur le sable, qui lui rappelait terriblement celle qu'elle avait vu pour la première fois à la mort de Bod, et elle se sentit si ridiculement petite. C'était peut-être l'effet des muscles du roux qui lui donnaient l'effet d'être une petite chose, si insignifiante, mais d'habitude ce n'était pas le cas ; il la rendait même plus grande, plus forte, parce qu'elle se nourrissait de cette bravoure qui le décriait - sauf quand la nuit tombait et que les ombres prenaient possession du monde.

Mains lumineuses qui l'auscultent, cherchent après cette douleur dont elle avait parlé mais qu'elle ne pouvait pas décrire, émanait de tout son être, comme si elle était faite d'un millier de morceaux de verres tranchants et qu'à chaque fois qu'elle heurtait quelqu'un, la douleur était d'autant plus vive chez elle.

-Je crains que j'ai mal à tout mon corps, aveux qui lui noua la gorge tandis qu'il la suppliait de le laisser faire.

Mais elle n'y pouvait rien si elle était abîmée et brisée, Ella. Elle s'rafistolait comme elle pouvait et il semblait soudainement que les baisers du guerrier arrivaient à la réparer, la soigner, un instant, mais du moment où ses lèvres quittaient le bout de peau, tout se détachait encore une fois. Elle tendit le bras vers le ciel, qu'elle trouvait proche, il lui sembla passer sa main en travers celui-ci... mais ne toucha que de l'eau. Elle songea qu'elle aurait aimé être une sorcière des tempêtes plutôt qu'une sorcière de la tromperie, mais on ne choisissait pas plus sa nature qu'on ne choisissait sa famille. Sa main redescendit et se posa sur l'épaule de Panta, eut l'incroyable sensation que ça allait mieux ; qu'elle était un peu plus entière même si ce n'était pas tout à fait ça. Allongée sur le sable froid, le bruit des vagues n'était pas aussi berçant que son souffle contre sa peau bronzée, et elle ferma les yeux un instant, se reposa pour la première fois depuis des mois, des années. Mais sa demande la glaça, rendit sa respiration irrégulière alors que le ciel pas vraiment ciel se couvrait, comme si un orage se préparait. Elle aimait bien les orages, Ella, pouvait passer des heures à regarder les éclairs et entendre tonner.

-Je ne reviendrai pas, la vérité qui la heurtait tout autant et elle était presque sûre d'entendre déjà tonner. Tu n'as pas besoin de faire mieux, je ne crois pas que tu puisses me soigner comme tu le voudrais, elle murmura tandis que sa main s'échappa de celle du Magriel, vint glisser ses deux mains sur le long de son dos avant de se glisser dans sa chevelure bouclée, puis sur son visage pour le diriger vers elle, le regarder d'un peu plus près.

La Fiel fit ce qu'il y avait de plus naturel et elle déposa ses lèvres sur celles de son amour, il goûtait les couleurs les plus vives possibles et il sentait le sucre et la fraise, douce odeur qui venait emplir ses narines tandis qu'elle prolongeait ce baiser, avait du mal à l'idée de le laisser, alors qu'elle devait encore partir. C'était toute sa vie, partir, fuir ; qu'y pouvait-elle, si elle était née avec les mauvais gènes ?

-Tu devrais me laisser partir, je suis en train de faire de l'ombre à tes rayons de soleil. Je ne voudrais pas te plonger dans la nuit alors que je ne peux plus te protéger, murmure contre ses lèvres tandis qu'il y avait le cœur qui battait à la chamade, audible et perceptible, l'impression que ça va sortir de sa cage thoracique.

Je ne reviendrais pas. Je. Ne. Reviendrais. Pas.
Ça te glaces le sang. Ça t'attrapes tout à l'intérieur et ça t'empêches de réfléchir. Elle ne reviendra pas. Ça prend tes tripes et ça les retourne. La crasse et la douleur. « C'est impossible. » Que tu ne puisses la soigner. Qu'elle ne puisse revenir. Tu n'attends que ça. Que sa présence auprès de toi, de vous. Elle manque à vos vies, ne le voit-elle pas ? Ne le sent-elle pas, de là où elle se trouve ? Ne penses-t'elle pas à vous ? N'est-elle pas comme vous, comme toi, à penser constamment à ce cœur que vous partagez ? Ne sent-elle pas que si elle souffre c'est parce qu'elle est loin ? Ne sait-elle pas que vous êtes incomplets sans elle ? Est-elle à ce point égoïste qu'elle te repousse ? Ne se sent-elle pas souffrir parce que vous la complétez ? Dans ses yeux tu vois tout et tu vois rien. Tu vois deux prunelles de douleur. La pluie tombe de tes yeux, tombe de ton cœur, se déverse sur la plage comme la marée. S'agitent les remous de tes pensées et de la mer. De l'océan qui vous sépare et vous ramène l'un à l'autre. Tu fermes les yeux, ne veux pas qu'elle voie dans tes yeux quoi ? Tu ne sais pas. Quelque chose que tu ne veux pas lui dire, que tu ne veux pas lui montrer, peut-être ta propre souffrance ? Alors tu fermes les yeux, forts, comme un enfant qui joue à cache-cache. Tu attrapes sa main, la serre contre la tienne. Elle ne partira pas, elle n'en a pas le droit. Ouvre les yeux, quand ses lèvres touchent les tiennes. La regarde comme si c'était la première fois. Elle sent toujours le sel et le bonheur. « Je ne veux pas. » Que tu partes. « Je ne peux pas. » Soudain le tonnerre. Tu dois la ramener avec toi. Elle doit vous retrouver. « J'ai froid sans toi. » Reviens, mon soleil.
Je ne reviendrais pas.
Ça te hante.
Le torrent s'agite derrière toi. L'ombre et les vagues crépitent d'éclairs. Tiens toujours sa main, la pose contre ta joue et l'y gardes. « S'il te plais, pars de là où tu es. » Tu souffles contre ses lèvres. « Tu es en danger là-bas. » Sentencieux. « Je ne sais pas te protéger si tu es loin. » Reviens, reviens, reviens. Tu hurles si fort dans ta tête qu'elle l'entends. Elle ne peut que l'entendre. L'ombre s'agite elle aussi. S'étend sous tes yeux. Elle transforme, elle prend, elle empiète. Tu lèves les yeux et derrière il n'y a que du vide. La peur t'étreint, l'angoisse t'enserres, l'inquiétude manges tes nerfs. « FUIS. »