fb -- the sweet escape (w/ Shaynah)

Tu as bien vu les changements : le ciel et les étoiles ne changent pas et pourtant, le lumineux sourire de Shaynah se fait de plus en plus tendu, crispé d'une façon que tu ne comprends pas. Tu la pensais heureuse, toujours plus, tu la pensais vivre dans un rêve, au milieu d'un paradis sans vagues et sans tempête pour renverser son petit navire sur le chemin du mariage.
Quelque chose la secoue, la fête approchant, une chose innommable et inarrêtable, tu le sens bien. Une chose qui résonne en toi et que pourtant tu n'arrives pas à nommer, à mettre le doigt dessus sans lever les yeux au ciel. Tu dois avoir tort, il n'y a pas de doute.

Shaynah est heureuse. Shaynah a sauter dans cette relation, sourire aux lèvres et cheveux aux vents, ce pétillant que tu ne peux qu'imaginer dans le coin de son regard brun.
Des années que tu la connais et ce brun de paillette disparait petit à petit, dévorée par une prison dorée, les barreaux qui se resserrent de seconde en seconde.

La fête est dans quelques jours seulement et tu dois retrouver la brune non loin des Bois Vibrants. Tu n'as pas besoin de te cacher, pas ici, mais c'est tout de même plus pratique de discuter à l'abri des quelques oreilles indiscrètes et dans un lieu calme, loin des chants et des cris de la cité d'Eldham.

Boucles aux vents, tu es en train de partager un petit morceau de pain dur avec un rat. Assis, les jambes croisées dans une position très enfantine malgré ton âge avancé, tu te plains des différents membres d'équipage au rongeur qui ne semble pas t'écouter le moins du monde ; mais tu ne lui en veux pas.
Rapidement, tu peux entendre des bruits de pas et tu tournes le visage vers Shaynah, un sourire taquin aux lèvres. « J'ai bien cru que tu n'arriverais jamais et que ce petit rat allait devoir prendre ta place pour converser ce soir. » tu énonces dans un rire amusé, ton regard pétillant d'amusement. « Bonjour Shaynah. Comment va la plus belle des femmes de Bélès ? » un regard vers le rat qui couine fort son mécontentement et tu penches la tête avec un regard désolé. « Seconde plus belle femme de Bélès, excusez moi très chère. »

Ô douce idylle. Qu'était-elle devenue ? Elle s'était enfoncée dans ce rêve, la belle Shaynah. Un rêve beaucoup trop beau pour être réalité. Il était charmant. Il était attentionné. Le palpitant dans sa poitrine accélérait à chaque mot qu'il prononçait. Les papillons dans le ventre. La jeune femme ne pensait jamais ressentir de tels sentiments un jour pour quelqu'un. Elle en avait entendu des histoires d'amour. Toutes plus belles les unes que les autres. Quelque part, au fond d'elle, elle rêvait de vivre une histoire comme celles-là.

Naïve petite chose. Elle n'avait rien vu venir. Cependant, ne dit-on pas que l'amour rend aveugle ? Le temps passait et elle sentait son étreinte se refermer autour d'elle. Elle asphyxiait. Depuis qu'elle avait dit oui à sa demande, tout avait basculé. Oh, elle essayait de le cacher, Shaynah, disant que c'était elle qui le voulait. Qu'elle voulait quitter la troupe. Qu'elle voulait arrêter de danser. Sottises. Elle se voilait la face. Et ne voulait guère se l'avouer.

Plus les jours passent et plus les yeux de la Syràn s'assombrissent. Son sourire se faisait absent. Elle a besoin d'air. De respirer. Elle devait sortir d'ici, même si ce n'était que pour quelques minutes.

Ses pas se firent rapides alors qu'elle traversait les rues de Eldham. Elle se retournait de temps à autre pour voir si elle n'était pas suivie. Paranoïa. Pourtant, elle savait qu'il était capable de la faire suivre. Il l'empêchait de sortir la plupart du temps. De voir ses amis. Mais pas ce soir. Peu importe ce qu'il dirait à son retour, elle devait sortir. Shaynah se faufile entre les passants. Contournent les rues bondées pour emprunter les ruelles jusqu'à ce qu'elle quitte la cité pour rejoindre les bois vibrants.

Enfin. Elle le vit. Jasper. Cet homme et elle partageaient une amitié malgré leur différence d'âge. Ce qui pouvait en surprendre plus d'un. Il était ce dont elle avait besoin en ce moment. Le voilà assis, tel un enfant, nourrissant un rat pour passer le temps. Un léger sourire étira ses lèvres lorsque ses paroles parvinrent à ses oreilles. « Tu sembles être en bonne compagnie, avec la plus belle femme de Bélès, dis donc. Bonjour, Jasper. » Son regard se posa sur le rat un moment avant qu'elle ne vienne s'asseoir à côté de l'homme. Elle ne put retenir un soupir alors que ses yeux se levèrent vers le ciel étoilé. « Ça pourrait aller mieux... Probablement la nervosité du mariage. » Mensonge. Bien que le grand jour approche, Shaynah n'était guère nerveuse. Elle avait peur.

Elle te ment. C’est la première pensée qui traverse ton esprit alors que la sulfureuse brune s’installe à tes côtés avec un petit sourire fatigué; elle te ment. Quelque chose semble éteint en elle, comme une flamme en manque d’oxygène, comme un oiseau en cage. Une partie manquante, une liberté disparue.
Tu continues de partager ton maigre morceau de pain avec le rongeur, préférant ne pas la regarder tout de suite. Tu n’as jamais été le plus doué pour parler, le plus à même d’exprimer tes sentiments et de laisser les autres te confier des choses. Parfois, avec les Crocs, tu y arrives ; mais seulement au milieu de la nuit, le sang remplacé par de l’alcool, les yeux plus dilatés encore que la pleine lune dans le ciel sombre.

Tu espères que Shaynah sait ; qu’elle peut te parler, tout te dire, et que tu seras bien la dernière personne à la juger. Quoi qu’il se passe, tu peux jurer avoir vécu, fait ou vu pire.
Pourquoi mentir ? Pourquoi placer le blâme sur un futur mariage qui la remplissait tant de joie les semaines précédentes ?

Ton regard croise enfin le sien et c’est à ce moment là que tu regrettes de si peu contrôler ton don de télépathie. Tu aurais pu te fondre dans son esprit, te glisser entre ses pensées pour saisir celle qui t’intéresse. Une frustration grimpante, entre le regret de ne pas savoir le faire et ce mauvais gout dans le fond de ta gorge rien qu’à l’idée de trahir sa confiance de la sorte.

Alors à la place, tu penches la tête, tel le chiot que tu es. « Tu vas me dire que tu te pavanes devant les plus grands noms de Bélès, mais que le mariage te fait peur ? Je n’y crois pas. » Mensonge dissimulé dans un rire, tu hausses les épaules. « Ton mariage sera ton jour, à toi et toi seule. Un peu ton mari, aussi, mais vraiment juste un peu. » tu finis par relever tes genoux contre ton torse. « Je serais pas là, tu le sais, mais j’ai déjà demandé aux volatiles du coin de faire attention ce jour là, rien ne viendra gâcher ta fête. » sourire complice vers cette amie qui t’est si chère.

En ce moment, Shaynah enviait les étoiles. Si brillantes. Si belles. Et surtout, hors d'atteinte. Personne ne pouvait les capturer. Les attraper et les garder pour eux. Elles étaient libres de briller comme elles l'entendaient. Elle aurait aimé être comme ces astres, mais elle ignorait si elle pouvait y parvenir. Sa liberté lui manquait. En fait, si elle voulait être honnête avec elle-même, la jeune femme devait plutôt dire que tout lui manquait. La Troupe. La danse. Sa famille. Sa liberté.

Elle essayait de se voiler la face, mais elle devait être réaliste. Sa relation avec son fiancé n'était plus la même. Il avait changé. Et elle aussi. Mais pas pour le mieux. L'obscurité l'engloutissait de plus en plus. Son regard pétillant n'était plus que l'ombre de lui-même. Sans compter les papillons dans son ventre qui avaient fait place à un goût amer.

La Syràn porta alors son attention sur son ami. Ses pupilles sombres reflétaient l'anxiété qu'elle éprouvait, tel un livre ouvert. Elle laisse un rire nerveux s'échapper de ses lèvres face à la remarque de Jasper. Effectivement, c'était ridicule. Son mensonge n'était guère réaliste. Il l'avait très certainement remarqué. Il se veut rassurant. Complice. Et elle lui en est reconnaissante. Si seulement il savait à quel point elle était heureuse qu'il soit là présentement. Tout comme lui, Shaynah releva ses genoux contre sa poitrine et y déposa sa tête. La mine basse. Elle réfléchit quelques instants à ses propos. Puis, d'une voix hésitante, elle lui demanda. « T-Tu crois qu'ils pourraient faire attention à autre chose... ? » Un début de confidence, malgré le doute. Une petite lueur d'espoir au creux de la poitrine. La belle n'avait pas encore eu de réponse de son frère, mais elle ne tarderait pas à en recevoir une. Peut-être que Jasper pourrait les aider. L'aider, elle.